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La Crème du crime # 6 - John Dickson Carr
Le sixième épisode de la Crème du crime, enregistré en septembre 2016, était consacré à John Dickson Carr.
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Le meurtre en chambre close
Aujourd’hui, je vais vous parler de John Dickson Carr. Et d’une manière générale, je vais aborder en détail le sous-genre de la littérature policière dans lequel il a sévi : le meurtre en chambre close.
Le meurtre en chambre close, c’est un cas particulier du genre que j’ai présenté la dernière fois, en parlant de Louise Penny : à savoir, le roman policier dit « classique ». Mais oui, rappelez-vous, c’est celui où on a un enquêteur qui va essayer de trouver qui a commis un meurtre, en interrogeant tous les suspects, en étudiant leurs témoignages, en recoupant tous les alibis, etc. Et tout ça pour, à quelques pages de la fin, nous révéler, dans une scène où tous les suspects sont réunis, qui est le coupable, en démontrant par a + b qu’il n’y a aucun doute possible. Et, tout au long de sa lecture, le lecteur a tenté de résoudre le mystère par lui-même, en analysant les indices, et en tentant d’esquiver toutes les fausses pistes que l’auteur a semé ça et là, pour compliquer le travail de tout le monde.
Le meurtre en chambre close, que j’appellerai maintenant « chambre close », pour simplifier, c’est un cas particulier de ce genre de romans. J’irai plus loin : c’est la quintessence de ce genre, un aboutissement. Certains diront une voie de garage, mais j’y reviendrai tout à l’heure. Un aboutissement parce que, dans ces romans-là, non seulement un meurtre mystérieux a eu lieu, et tout le monde cherche qui est le coupable, évidemment, mais en plus, ce meurtre est tout bonnement… impossible, en tout cas en apparence. Eh oui, typiquement, la victime a été retrouvée morte dans une pièce fermée de l’intérieur. Quand l’enquêteur entre sur les lieux du crime, il est obligé de forcer la porte, la victime gît, et le coupable n’est évidemment pas sur place.
Non seulement on ne sait pas qui a fait le coup, mais on ne comprend pas non plus comment l’événement a pu se produire. Et bien sûr, il n’y a pas de passage secret ou autre cachette dans le genre, ça serait trop facile sinon. Bon, évidemment, il y a une explication tout à fait logique et rationnelle, et, comme d’habitude, l’enquêteur, à la fin de l’histoire, va nous expliquer ce qui s’est passé. Et, si le roman est bien fait, le lecteur n’en reviendra pas d’avoir été mystifié tout du long.
C’est un peu de la prestidigitation : il y a un truc, c’est obligé, et en tant que spectateur on est fasciné et on cherche à comprendre comment c’est possible. La différence, c’est qu’à la fin, l’auteur est obligé de révéler son « truc ». Et c’est ça qui rend ce genre si difficile à écrire : puisque, à chaque fois, on explique le « truc », l’explication rationnelle derrière un événement apparemment impossible, eh bien à chaque fois, on est obligé de trouver une nouvelle astuce, de faire mieux que la fois précédente.
Edgar Allan Poe, le précurseur
Je dis que c’est un aboutissement et un sous-genre particulier, mais ce qu’on oublie, c’est que le meurtre en chambre close est à l’origine même de la littérature policière. Bon, il y a toujours des débats en la matière, mais le consensus, c’est que la toute première œuvre policière de l’histoire, c’est le « Double assassinat dans la rue Morgue », une nouvelle écrit par Edgar Allan Poe en 1841, eh oui, rendez-vous compte, ça fait déjà 175 ans. Et cette nouvelle raconte l’histoire de deux personnes qui sont retrouvées assassinées dans leur immeuble, fermé à clé de l’intérieur, alors que personne n’a pu s’enfuir par les fenêtres non plus. Et ça, évidemment, c’est une chambre close. C’est donc un genre qui est à l’origine de la littérature policière, et qui a connu ses heures de gloire au tout début du XXè siècle. Et, l’un des grands noms de ce genre, que dis-je, le grand maître incontesté, c’est John Dickson Carr.
John Dickson Carr, le maître incontesté du meurtre en chambre close
Il est né en 1906, aux États-Unis, en Pennsylvanie plus précisément. Et il est mort à l’âge de 70 ans, en 1977, toujours aux États-Unis. Il était passionné par les romans de Conan Doyle, et aussi par un autre grand nom de la littérature policière du début du XXè siècle, qui est devenu beaucoup moins connu de nos jours, Gilbert Keith Chesterton, qui a notamment écrit les enquêtes du Père Brown, et dont je vous parlerai sans doute un jour. Il admire Chesterton au point qu’un de ses enquêteurs fétiches, Gideon Fell, en est fortement inspiré. Fell, c’est un brillant linguiste, c’est un bon vivant, et il est tellement énorme qu’il est obligé de s’aider de deux canes pour marcher. Et, évidemment, c’est un enquêteur hors pair, qui assiste la police dans des situations compliquées.
Carr a aussi été énormément influencé par le roman gothique, vous savez, toute cette ambiance, avec les châteaux hantés, sous la pluie battante, perdus au beau milieu des plaines, toute cette atmosphère très inquiétante… La plupart des romans de Carr sont plongés dans une ambiance de ce genre. Et il faut dire que les histoires s’y prêtent bien : on parle de crimes en apparence impossible, où tout donne à croire que les meurtres ont été produits par des créatures d’outre-tombe, par des forces surnaturelles, alors que, et c’est là tout l’intérêt, l’explication est purement rationnelle. Un lecteur particulièrement attentif et aguerri sera capable de trouver la solution avant la révélation finale. Mais attention, s’il est en théorie possible de résoudre le mystère, c’est souvent très difficile. Même Agatha Christie le disait : elle se faisait rarement piéger par les romans policiers, mais elle avait toujours beaucoup de mal à résoudre ceux de John Dickson Carr.
« Trois cercueils se refermeront », chef d’œuvre du genre
« Trois cercueils se refermeront », peut-être le meilleur roman de meurtres en chambre close, aux éditions du Masque.
Carr est donc un grand maître en matière de chambres closes. Et l’un de ses plus grands succès, qui est tenu par pas mal de spécialistes pour être le plus grand roman du genre de tous les temps, c’est « Trois cercueils se refermeront ». C’est un roman où l’on retrouve Gideon Fell, le héros récurrents de Carr dont je vous ai parlé plus tôt, dans un roman à l’ambiance particulièrement gothique. Un personnage, qui s’appelle Grimaud, est assassiné par ce qui semble être un être surnaturel. Grimaud savait qu’une créature d’outre-tombe allait lui rendre visite, et, effectivement, un soir, le personnel de la maison voit arriver chez lui un être étrange, à l’allure inquiétante. Cette créature va rendre visite à Grimaud, dans son bureau, où ils s’enferment tous les deux. Et, bien évidemment, quelques heures plus tard, l’homme est retrouvé mort dans son bureau, seul dans la pièce fermée de l’intérieur, et il est impossible qu’un individu se soit enfui, que ce soit par la fenêtre (il a neigé et on n’a retrouvé aucune trace), mais aussi dans la maison (la porte du bureau, qui est la seule issue de la pièce, a été surveillée sans arrêt entre l’entrée de l’être étrange et la découverte du cadavre).
Mais ce n’est pas tout : peu de temps après, dans une ruelle éloignée, alors qu’il avait fini de neiger, deux témoins entendent un coup de feu. Ils se retournent et voient un homme, mort, au milieu de la rue. Autour de lui, aucune empreinte de pas, si ce n’est celles de l’homme en question, et toutes les fenêtres de la rue sont restées fermées. Ce meurtre, comme le premier est inexplicable et attribué à cette mystérieuse créature d’outre-tombe. Eh bien, on est mené en bateau du début à la fin, et, comme d’habitude, dans les dernières pages, on découvre la solution du mystère, totalement rationnelle, d’une simplicité déconcertante, et on est ravi d’avoir été mystifié de la sorte. Souvent, dans les chambres closes, les solutions les plus simples sont les plus saisissantes.
Des romans de qualité variable
Carr a écrit beaucoup de romans au cours de sa vie, mais je préfère préciser que tous ne sont pas des chefs d’œuvre. On reconnaît, en général, que sa production d’avant-guerre (typiquement, ses œuvres écrites dans les années 30) est bien supérieure à celle de la fin de sa vie.
Le meurtre en chambre close en général
Évidemment, Carr n’est pas le seul a avoir brillé dans le genre. On dit que c’est un genre où les Anglais et les Américains ont particulièrement brillé, mais que les plus chauvins d’entre vous se rassurent, les Français ne sont pas en reste. Dans les années 50, notamment, Pierre Boileau a pas mal sévi dans le genre, et l’un de ses meilleurs romans, à mon avis, c’est « Le Repos de Bacchus ». L’histoire d’une œuvre d’art exposée dans un château qui disparait, qui semble s’être évaporée, alors que le voleur a été appréhendé avant de pouvoir s’enfuir. Et pourtant, les complices du voleur réussissent à revenir dans le château, à voler l’œuvre et à repartir, en passant à travers la grille du château. Et, là encore, la solution de ce vol impossible est d’un simplicité tellement enfantine qu’on se demande comment on n’a pas pu y penser nous-mêmes.
Et, plus proche de nous, puisqu’il écrit encore, il y a Paul Halter, qui s’est spécialisé dans ce genre lui aussi, qui a écrit une bonne vingtaine de romans aux solutions toutes plus originales les unes que les autres. Mais, malheureusement pour lui, c’est un genre de niche, réservé aux spécialistes, et les dures loi du marché lui ont rendu la vie difficile. Alors que ses romans sont reconnus par les amateurs comme des chefs d’œuvre du genre, ces dernières années il a eu le plus grand mal à se faire éditer, et il a même dû recourir à l’autoédition pour diffuser ses œuvres.
Il faut dire que c’est un genre en fin de vie, qui a eu beaucoup de mal à survivre à l’arrivée du roman noir, beaucoup plus réaliste, beaucoup plus rythmé, beaucoup plus punchy, autour des années 1950 environ. Et puis, c’est un genre qui a parfois du mal à se renouveler, on a souvent l’impression que toutes les solutions possibles ont déjà été exploitées, et que l’on ne fait que ressortir les mêmes vieilles ficelles, avec un emballage différent à chaque fois. Résultat, aujourd’hui, c’est très difficile de trouver des œuvres inédites dans ce genre-là.
La seule publication récente à ma connaissance (au moment de l’enregistrement de la chronique, fin 2016), c’est le deuxième tome de « La Grande anthologie des chambres closes et du crime impossible », avec beaucoup de nouvelles de beaucoup d’auteurs différents, et des textes inédits. C’est paru aux Éditions Manannan, qui est, soit dit en passant, une petite maison d’édition régionale (dans les Hauts de France). J’en ai discuté brièvement avec le responsable de cette maison d’édition, et il m’a confirmé que le genre était quasiment mort en France, et que les seules publications récentes se faisaient dans les pays asiatiques, où le genre semble avoir encore pas mal d’adeptes. Mais, évidemment, ces œuvres sont très peu traduites. Donc, si vous aimez les chambres closes et si vous lisez le japonais, vous pourrez sans doute trouver votre bonheur.
« Trois cercueils se refermeront » de John Dickson Carr, peut-être le meilleur roman de meurtres en chambre close, aux éditions du Masque.
« Le Repos de Bacchus » de Pierre Boileau, l'un des meilleurs romans du genre, par un auteur Français.
« La Quatrième porte » de Paul Halter, l'un des spécialistes Français contemporain.
« La Grande anthologie des chambres closes et du crime impossibles », recueil de nouvelles proposé par les Éditions Manannan.
« La Grande anthologie des chambres closes et du crime impossibles », deuxième tome du recueil de nouvelles proposé par les Éditions Manannan.