Fabien Delorme, conteur

Les genres de la littérature orale

Conte, mythe, épopée, légende, nouvelle, récit de vie, merveilleux, facétieux, etc. Difficile de s'y retrouver dans les différents genres de la littérature orale, d'autant qu'ils s'interpénètrent fréquemment et que certains récits peuvent, selon leur version, appartenir à l'une ou l'autre des catégories. Cette page tente de définir, autant que faire se peut, ces différents genres.

Loin d'être complète, cette page est encore en construction et sera mise à jour aussi régulièrement que possible. Si vous voyez des erreurs ou avez des commentaires, n'hésitez pas à me contacter.

Tableau récapitulatif

Genre Véridique ou revendiqué comme tel Fait appel au surnaturel Forme la plus fréquente Récit localisé géographiquement/historiquement
Le mythe oui oui Récit oral oui/parfois
L'épopée oui en général, oui Récit oral en vers oui/oui
Le conte merveilleux non oui Récit oral populaire en prose, parfois récit écrit non/non
Le conte facétieux non en général, non Récit oral populaire en prose parfois, pour en renforcer l'impact/rarement
La légende oui en général, oui Récit oral populaire oui/oui
La nouvelle non non ou pas accepté comme tel (cf fantastique) Récit littéraire en prose oui/oui
La fable non en général non, même si les animaux en sont souvent les protagonistes Récit littéraire non/non
Le récit de vie oui non Récit oral issu de collectages contemporains oui/oui

Le mythe

Ilmatar

Genre le plus ancien d'après certains auteurs, il regroupe toutes les croyances d'un peuple expliquant l'origine du monde (cosmogonie), son fonctionnement et la place laissée à l'Homme. Il y est donc question, selon les cas, de chaos primordial (chez les Grecs par exemple), de monde créé en 6 jours par un dieu unique (chez Les Chrétiens), à l'inverse, de dieux créés par les éléments primordiaux (par l'accouplement de l'eau douce et de l'eau salée chez les Sumériens), etc.

Les protagonistes d'un mythe sont généralement des divinités ou des personnages assimilés (dieux, demi-dieux, démons, etc.). Le mythe a très souvent un lien fort avec la religion et est parfois sacré.

L'ensemble des mythes d'un peuple constitue sa mythologie. Il est à noter que ces mythes peuvent être plus ou moins cohérents entre eux et que plusieurs versions proches d'un même mythe peuvent coexister. Pour s'en convaincre, on pourra consulter la mythologie grecque dont les sources écrites sont abondantes et parfois contradictoires.

L'épopée

Kalevala

Il s'agit d'un grand récit héroïque, souvent en vers, parfois en prose, en général chantés par des professionnels.

L'épopée raconte les exploits d'un ou plusieurs grands héros, fondateurs d'un peuple. On pourra citer Ulysse, Achille et Hector dans L'Illiade et L'Odyssée, Antar, Gilgamesh, David de Sassoun, Gésar de Ling dans les épopées éponymes, Väinämöinen et Ilmarinen dans le Kalevala, Roland dans La Chanson de Roland, etc.

Au même titre que la mythologie est l'ensemble, parfois incohérent, des mythes d'une même culture, une épopée est constituée de l'ensemble des récits épiques d'un même peuple, parfois rassemblés sous un même texte plus ou moins cohérent. Le Kalevala finlandais est constitué de la sorte, issu de la fusion par Ellias Lönrott au XIXème siècle d'un ensemble de runos qu'il a recueillis dans tous le pays. D'après Lönrott, c'est comme ça qu'Homère aurait procédé pour réaliser L'Illiade et L'Odyssée, par fusion de plusieurs chants qui lui auraient préexisté.

Les épopées sont souvent racontées par des professionnels. On recensera notamment les bardes celtes, les aèdes et rhapsodes de la Grèce antique, les troubadours et trouvères du moyen-âge français, les griots africains, les aşık turcs, etc. Souvent, ces artistes connaissent des histoires d'une longueur phénoménale, jouent d'un instrument de musique et sont capables d'improviser une partie de leur récitation chantée, en vers. Si la tradition des épopées s'est perdue depuis de nombreux siècles dans la plupart des pays occidentaux, notamment en France où les troubadours et autres trouvères sont passés de mode bien avant le début de la renaissance, elle reste présente dans certaines régions du monde, avec plus ou moins de vivacité. Les guslars croatiens continuent de chanter les exploits de leur peuple et de créer des récits liés à l'histoire récente. L'Égyptien Sayyed al Dowwi est à ma connaissance le dernier à connaître et à réciter dans sa quasi-totalité la Geste Hilalienne, récit épique de plus d'un million de vers dont la récitation intégrale dure plusieurs jours et dont le texte n'a pas encore été totalement collecté.

Le conte au sens large

C'est le genre le plus documenté et le plus vaste. Il est difficile à définir précisément car il englobe un grand nombre de récits différents. D'une manière générale, il s'agit d'un récit de fiction se présentant comme tel, au contraire de la légende, de l'épopée ou du mythe. Il s'agit d'un récit d'origine populaire, au contraire du mythe et de l'épopée mais au même titre que la légende.

On en distingue plusieurs sous-genres :

Le conte merveilleux

Tom Pouce

Il s'agit d'un conte faisant appel à des éléments merveilleux, c'est-à-dire se situant dans un monde ou le surnaturel et la magie sont très présents sans que cela ne surprenne les protagonistes. Il correspond à ce que l'on appelle souvent « conte de fée », bien qu'il ne fasse pas toujours appel aux fées, loin de là. C'est donc dans cette catégorie que rentrent la plupart des contes de Perrault ou des frères Grimm. À cause notamment de ces derniers, on considère depuis le XVIIè siècle, et à tort, que le conte merveilleux est à destination des enfants.

Il se situe autant sur le plan symbolique que sur le plan narratif et les éventuelles incohérences, violences et invraisemblances dont il semble regorger s'expliquent plus aisément dès lors qu'on l'aborde sous cet angle. Les protagonistes en sont souvent des personnages sans nom, sans profondeur psychologique, identifiés par une caractéristique ou une fonction : le roi, la princesse, la belle au bois dormant, le diable, l'ogre, etc. Même Cendrillon est identifiée par sa tâche (nettoyer les cendres) et le petit Chaperon Rouge par une pièce de vêtement (qui est d'ailleurs accessoire : elle est absente des versions orales du même conte). Les lieux et décors y sont également très sommairement décrits, le conte merveilleux plus que les autres encore se focalisant sur le déroulement de l'action.

Hors du monde connu, hors du temps, libre d'éléments culturels, faisant appel à des thématiques universelles, le conte merveilleux s'adapte à toutes les cultures et l'on retrouve les mêmes histoires dans le monde entier. Les divers collectages ont permis de recenser parfois plusieurs centaines de versions d'un même conte merveilleux. La question de l'origine géographique d'un conte donné est très difficile à trancher étant donnée la nature quasi-exclusivement orale de ce genre jusqu'à récemment. Il est d'autant plus difficile d'y répondre que certains théoriciens considèrent que les contes merveilleux ont aussi pu naître à divers endroits du globe, en même temps ou pas, étant donné qu'ils permettre de répondre à des questions que la plupart des cultures sont amenées à se poser à un moment de leur évolution.

L'importance des éléments symboliques dans le conte merveilleux en a fait un sujet de prédilection pour les psychanalystes, notamment pour Jung qui y trouve l'illustration de ses concepts d'inconscient collectif, d'archétype, d'animus et anima, etc. Sa collaboratrice Marie-Louise von Franz est l'auteure d'une dizaine d'ouvrages sur le sujet. Les freudiens ne sont pas en reste et peuvent consulter l'ouvrage, que dis-je, le best-seller de Bettlheim, Psychanalyse des contes de fées.

Le conte facétieux

Le conte facétieux est une histoire à caractère comique, souvent satirique. Il sert à railler les travers des hommes et des femmes : avidité, tromperie, naïveté, etc., en se moquant des puissants, vaincus par les plus rusés qu'eux, ou au contraire des idiots et autres simples d'esprit.

Il peut être totalement réaliste ou contenir des éléments de merveilleux.

Bien que sa thématique soit généralement universelle, le conteur choisira souvent de l'adapter à sa propre culture, afin d'en renforcer l'effet sur son public. Ainsi, on raillera plus aisément les habitants de tel village voisin ou telle personne précise, présente ou non dans l'assistance, plutôt que ceux d'une contrée inconnue.

Souvent méconnus, parfois méprisés, laissés de côté par nombre de collecteurs qui leur préféraient les contes merveilleux plus nobles à leurs yeux, les contes facétieux représentent néanmoins un corpus colossal, le plus important en nombre de récits si l'on prend en compte la classification Aarne-Thompson (qui en dénombre près de 800, contre « seulement » 450 contes merveilleux).

Le conte de sagesse

Il s'agit d'une histoire dont la seule finalité est de donner, sinon une morale explicite, un élément de réflexion.

La nouvelle

Il s'agit avant tout d'un genre littéraire. Par rapport au conte, la nouvelle se situe dans un cadre réaliste, même s'il s'agit d'un récit explicitement fictif. En outre, la nouvelle a tendance à être plus descriptive et à donner plus de profondeur psychologique aux personnages, alors que le conte se focalise quasi-exclusivement sur l'action de personnages archétypique, sans relief, parfois même sans nom.

Toutefois, on l'a vu, il y a des exceptions, tous les contes ne font pas appel au merveilleux, certains conteurs sont plus descriptifs que d'autres et il est parfois difficile de savoir si un récit écrit donné relève de la nouvelle plutôt que du conte. Maupassant a écrit de nombreux « contes et nouvelles », je serais bien en peine de dire lesquels relèvent de chaque catégorie... De même, la littérature médiévale et du début de la renaissance recèle de nombreux recueils utilisant indifféremment les termes de contes, nouvelles, fables pour des récits très proches. Quelle différence entre les récits des Contes de Cantorbéry, les fables des Nuits facétieuses, les fabliaux médiévaux et les nouvelles des Cent Nouvelles nouvelles ?

La fable

Kalîla et Dimna

Genre plus souvent écrit qu'oral, il s'agit d'un récit construit autour d'une morale généralement explicite. Parfois la morale est la conclusion de l'histoire, parfois l'histoire n'est là que pour illustrer la morale.

Les représentants les plus célèbres de ce genre sont Ésope et Jean de la Fontaine, toutefois le recueil le plus ancien actuellement recensé est le Pañchatantra indien. Marie de France, célèbre pour ses Lais, a aussi écrit des fables.

Les fabliaux médiévaux relèvent a priori de cette catégorie, mais nombreux sont ceux qui ont été repris en tant que contes, par exemple dans les Contes de Cantorbéry. Dans ces cas-là, ils relèvent généralement du conte facétieux.

La légende

Contrairement au conte, à la fable ou à la nouvelle, mais au même titre que le mythe ou que l'épopée, elle est basée sur des événements supposés réels, même si elle peut faire appel au surnaturel. Elle est située historiquement et géographiquement, au contraire du conte par exemple. Il s'agit souvent d'une histoire courte et centrée sur un épisode précis.

Les légendes dites urbaines sont une variante moderne des légendes anciennes et l'une des rares survivances de l'oralité dans les régions industrialisées. On y retrouve cependant des motifs anciens présents dans de nombreux contes ou légendes anciennes.

Le récit de vie

Il s'agit d'une forme récente, racontant les événements réels survenus au conteur ou à une personne qu'il a pu rencontrer. Par essence, il s'agit donc d'un récit basé sur des faits réels et contemporains, même si la narration peut faire appels à des éléments fictifs ou volontairement exagérés dans un but de dramatisation.

C'est un genre manifestement très répandu en Amérique, que ce soit au Canada ou aux États-Unis, mais beaucoup moins en Europe.

Bien que ce genre ait été défini très récemment, il est probable que les récits épiques et autres légendes aient été créées ainsi, par modifications successives de faits réels.

Crédit photos : wikipédia

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