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Janvier et Février
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'''Janvier et Février, ''ou'' le ruban de peau rouge'''. Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-du-Nord). — Décembre 1868. ==Texte intégral== :''Eur wech a oa, eur wich a vô'' :''Commansament ann holl gaozo :'' :''Na eus na mar na marteze'' :''Hen eus tri droad ann trébez.'' :Il y avait une fois, il y aura un jour, :C’est le commencement de tous les contes : :Il n’y a ni si ni peut-être, :Un trépied a toujours trois pieds. Il y avait une fois un vieux seigneur, qui avait deux fils, nommés Janvier et Février. Comme vous le savez, Janvier vient toujours avant Février, de sorte qu’il était l’aîné. Quand il fut à l’âge de dix-huit ou vingt ans, il s’ennuyait chez son père, et voulut voyager. Il partit donc, avec la bourse légère, car ils n’étaient pas riches. Après avoir marché pendant trois jours, il se trouva dans une grande avenue de vieux chênes, au bout de laquelle était un beau château. — Il faut, se dit-il, que je demande si l’on n’a pas besoin d’un domestique, dans ce château. Et il frappa à la porte. Elle s’ouvrit aussitôt. — Bonjour ! dit-il au portier ; n’a-t-on pas besoin d’un domestique ici ? — Oui vraiment ; il vient d’en partir un, et il faut le remplacer ; suivez-moi, et je vais vous conduire au maître.... Voici, maître, un homme qui cherche condition. — Fort bien ! répondit le seigneur, j’ai précisément besoin d’un valet, dans le moment. Et s’adressant à Janvier : — Que savez-vous faire ? — Je sais faire un peu de tout. Monseigneur. — C’est bien, vous avez assez bonne mine, et vous me plaisez. Voici quelles sont mes conditions : Vous irez, tous les jours, travailler aux champs, au bois, au jardin, partout où l’on vous dira. Au coucher du soleil, vous viendrez à la maison, et alors, vous devrez prendre soin des enfants et faire tout ce qu’ils vous demanderont. Vous aurez de beaux gages, cent écus par an, et votre année finira, quand chantera le coucou. — C’est à merveille, et je ne demande rien de plus, répondit Janvier. — Il y a encore une chose que je ne dois pas vous laisser ignorer, reprit le seigneur : vous ne devrez jamais vous fâcher, quoi que l’on vous dise ou fasse, autrement, vous serez renvoyé sans le sou, et de plus, l’on vous taillera courroie, c’est-à-dire qu’on vous enlèvera un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’aux talons<ref>L'expression ''tailla correann'' ou ''sevel correann'' : tailler courroie ou lever courroie, est proverbiale, dans tout le pays de Lannion et de Tréguier. Elle est employée dans le sens de susciter des embarras, des difficultés, donner du fil à retordre, comme on dit en français. Ce doit être un souvenir de la très ancienne coutume d'après laquelle, lorsque deux hommes s'étaient engagés vis-à-vis l'un de l'autre, celui qui manquait à la parole donnée était condamné à avoir une bande de peau enlevée, depuis la nuque jusqu'à la plante du pied, et acceptait cette peine, sans essayer de s'y soustraire. La même coutume se retrouve dans les traditions populaires des Gaëls de l'Ecosse, comme on le voit dans le recueil de F.-J. Campbell. Popular tales of the West Higlands orally collected with a translation. Edinburgh, 4 vol. in-12, 1860-1862. Elle existait aussi chez les Romains, et on lit dans Plaute : ''De meo tergo degitur corium''. Cela rappelle enfin l'histoire de la livre de chair, réclamée par le Juif Shylock, dans le Marchand de Venise, de Shakespeare. Cette histoire de la livre de chair se trouve également dans Li Romans de Dolopathos, du commencement du XIIIe siècle, quatrième conte, pages 244 et suivantes de l'édition Charles Brunet et A. de Montaiglon. Paris, P. Jannet, 1856.</ref>. — Cela n’est plus aussi bien... Mais, vous-même, Monseigneur, si vous vous fâchez le premier ?... — Si je me fâche le premier, c’est à moi qu’on enlèvera le ruban de peau rouge ; mais, je ne me fâche jamais, moi. — A la bonne heure ! Le lendemain matin, on donna une faucille à Janvier et on lui dit d’aller couper de l’ajonc, sur la grande lande. — Mais, je ne sais pas où est la grande lande, dit-il. — Voici un chien, lui répondit-on, en lui montrant un grand boule-dogue, qui vous y conduira et restera avec vous, jusqu’au coucher du soleil. Il se dirige donc vers la lande, conduit par le chien. Il se met à l’ouvrage. Quand il fut fatigué, il voulut se reposer un peu et fumer une pipe. Aussitôt le chien vint à lui, en grognant et en montrant les dents. — Tiens ! tiens ! le beau chien ! lui dit-il, et il voulut le caresser. Mais, le chien était toujours menaçant. — Diable de chien ! s’écria Janvier. Il lui fallut laisser sa pipe et se remettre au travail. A midi, une servante vint lui apporter son dîner. Il s’assit, sur le gazon, à l’ombre d’un hêtre, pour manger sa soupe. La servante avait apporté deux écuellées de soupe, dont l’une, de pain blanc, pour le chien, et l’autre, de pain noir, pour Janvier. Janvier mangea sa soupe, d’assez mauvaise humeur, puis il voulut fumer une pipe. Mais, le chien grogna encore et montra les dents, et il lui fallut se remettre immédiatement à l’ouvrage. Au coucher du soleil, le chien prit la route du château, et Janvier le suivit. On lui donna encore de la soupe de pain noir, pour son souper. Pendant qu’il la mangeait, les enfants se mirent à crier : — J’ai envie de... — Allons ! Janvier, dit la maîtresse, accompagnez les enfants dehors. Il se leva et sortit avec les marmots. Quand il rentra, on avait fini de manger ; il n’y avait plus rien sur la table. — N’aurai-je pas aussi un peu de lard ? de-manda-t-il, timidement. — C’est trop tard ! répondit la maîtresse. — Triste souper, après une si rude journée do travail ! murmura-t-il. — Vous n’êtes pas content ? lui demanda le seigneur. — Je ne suis pas fâché non plus ; je n’en mourrai pas, pour un mauvais souper, j’en ai fait bien d’autres. Et il alla se coucher, là-dessus. Le lendemain matin, il retourna à la lande, toujours accompagné du chien, et cette journée se passa comme la précédente. Quand il voulait se reposer un peu, le chien lui montrait les dents, et il fallait se remettre au travail. A midi, la même servante vint encore avec deux écuellées de soupe : l’une, de pain blanc, pour le chien, et l’autre, de pain noir, pour Janvier. Au coucher du soleil, le chien et le valet revinrent ensemble au château. Janvier était fatigué et avait faim. A peine avait-il entamé son écuelle, que les enfants se mirent encore à crier : — J’ai envie de faire pipi, disait l’un ; j’ai envie de faire caca ! disait l’autre. Janvier ne faisait pas semblant de les entendre. — Allons ! Janvier, lui dit le seigneur, faites votre devoir, accompagnez les enfants dehors ; vous ne les entendez donc pas ? — Je les entends bien, et dans un instant, quand j’aurai mangé un peu... — Non, non, tout de suite ! tout de suite ! Et il lui fallut sortir, à l’instant. — Vite ! allons, vite, petits ! disait-il aux enfants. Mais, il eut beau les presser, quand il rentra, le souper était encore terminé, et il ne restait plus rien sur la table. Et comme personne ne lui offrait rien, il s’aventura à dire : — J’ai bien travaillé aujourd’hui, maître, et j’ai faim. — Tant pis, mon ami. car ici l’habitude est que celui qui arrive, quand la table est desservie, n’a plus droit à rien. — Comment ! travailler toute la journée, sans un moment de repos, et n’avoir rien à manger, le soir ! Ce n’est pas là une vie à pouvoir en vivre... — Vous n’êtes pas content ? — Tout autre à ma place aurait lieu de n’être pas content. — Vous savez nos conditions ; nous allons, alors, vous lever courroie. Allons, les gars !... Et aussitôt quatre grands valets se jetèrent sur le pauvre Janvier, le dépouillèrent de ses vêtements, puis le couchèrent sur le ventre, sur la table et lui levèrent un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’aux talons. Après quoi, on lu renvoya, sans le sou. Il s’en retourna à la maison, triste et malade. Son père, en le voyant revenir, lui dit : — Tu n’as pas été loin, mon fils, et le bien-être n’a pas augmenté, chez nous. Janvier conta tout à son frère Février, qui promit de le venger. Il partit aussitôt, arriva au même château que son frère, et s’engagea au service du seigneur, aux mêmes conditions, c’est-à-dire qu’il travaillerait aux champs, dans la journée, aurait soin des enfants, après le coucher du soleil, aurait un ruban de peau rouge enlevé de la nuque aux talons, le jour où il se fâcherait, et enfin, que ses gages seraient de cent écus par an et que son année finirait, quand le coucou chanterait. On l’envoya, dès le lendemain, couper de la lande, et le boule-dogue l’accompagna aussi, A midi, la servante vint, avec deux écuellées de soupe, l’une de pain blanc, l’autre de pain noir. Le chien mangea encore le pain blanc et Février, le pain noir. Q.uand il voulait se reposer un peu, le chien grognait, lui montrait les dents et le forçait de se remettre au travail, si bien qu’il se dit : — Voici un camarade dont il faudra que je me débarrasse. Au coucher du soleil, ils revinrent tous les deux au château. Quand ils arrivèrent, les autres valets avaient déjà presque fini de manger. Une servante donna sa soupe à Février. Mais, aussitôt les enfants se mirent à crier : — J’ai envie de faire pipi ! J’ai envie de faire caca !... Février ne bougeait pas. Mais, le maître lui dit : — Eh bien ! vous n’entendez donc pas, Février ? Et il se leva et sortit avec les enfants. Quand il revint, il n’y avait plus rien sur la table. — Ici, lui dit le maître, l’habitude est que celui qui arrive, quand le repas est fini, n’a plus droit à rien. — Vraiment ? C’est bon à savoir, répondit Février. — N’êtes-vous pas content ? — Je ne dis pas cela ; mais, à l’avenir, je ferai attention. Et il alla se coucher, sans souper. Le lendemain, il alla encore couper de la lande, et toujours avec le chien. Au bout de quelque temps, il voulut fumer une pipe. Le chien grogna et lui montra les dents, et, comme il n’en tenait aucun compte, le chien s’avança sur lui, pour le mordre. — Doucement, camarade ! dit Février, qui lui coupa la tète avec sa faucille. Puis il fuma sa pipe, tout à son aise. A midi, la servante vint, comme à l’ordinaire, lui apporter à manger, et fut étonnée de voir le chien mort, et Février qui dormait, à l’ombre. Elle courut annoncer la chose à son maître. Quand Février rentra, le soir, sans le chien : — Tu as tué mon chien, misérable ! lui cria e seigneur, furieux. — Oui, je l’ai tué, répondit-il tranquillement ; est-ce que vous n’êtes pas content ? — Oh ! après tout, pour un chien, ce n’est pas la peine de se fâcher ; viens souper. Et il dissimula sa colère. Pendant que Février mangeait sa soupe, dans a cuisine, les enfants vinrent encore l’importuner en disant : — J’ai envie ! Je veux sortir !... — Eh bien ! allez au diable, et me laissez enfin manger, tranquille ! s’écria-t-il, impatienté. Et il jeta les enfants par la fenêtre dans la cour. — Que fais-tu, misérable ? Tu veux donc tuer les enfants ? s’écria le seigneur, furieux. — Vous vous fâchez, maître ? — Et qui ne se fâcherait pas ?... Puis se reprenant aussitôt : — Mais, j’ai un si bon caractère, que je ne me fâche jamais, moi ; mais, il ne faut pas recommencer. Voilà le seigneur et sa femme embarrassés de avoir comment se défaire de Février, car ils voyaient bien que celui-ci ne se laisserait pas duper, comme son frère. Le lendemain, on ne l’envoya pas couper de la lande. Le seigneur lui dit : — Venez avec moi faire un tour au bois ; on’ y coupe les plantes, on abat les arbres, et on me fait un tort considérable. Malheur à ceux que je surprendrai à me voler, car je ne les épargne pas ! Et ils partirent, portant chacun un fusil sur l’épaule. Dès en entrant dans le bois, ils vire une vieille femme qui ramassait quelques brins de bois sec, pour cuire les pommes de terre de son repas. Le seigneur ajusta, tira et la tua roide. — Quel malheur ! s’écria Février ; je connais cette vieille et je sais qu’elle a trois fils qui la vengeront et ne vous manqueront pas ; en vérité, je ne voudrais pas être à votre place. Voilà le seigneur bien embarrassé ; que faire ?... — Va, vite, à la maison, dit-il à Février, et apporte deux pelles, que tu trouveras au fond du corridor, près de la chambre de ma femme, pour que nous enterrions la vieille, dans le bois, et personne ne saura ainsi ce qu’elle sera devenue. Février court au château. En passant dans le corridor, il voit la dame et sa fille, âgée de dix-huit ans, dans une chambre, la porte grande ouverte. Il entre et dit : — Mon maître m’a commandé de venir vous embrasser. Et il se jette sur la dame et l’embrasse de force. Il veut en faire autant de la fille. Les deux femmes se débattent et crient à la violence. Février ouvre la fenêtre, et s’adressant au seigneur, qui l’attend en bas : — Vous avez dit toutes les deux, n’est-ce pas, mon maître ? — Oui, toutes les deux, et dépêche-toi, répond-il. Et Février traite aussi la fille comme la mère, puis il s’en va, prend deux pelles dans le corridor et descend. — Qu’ont donc ma femme et ma fille pour crier de la sorte ? lui demande le seigneur. — C’est qu’elles ont vu un loup, répond-il tranquillement. Ils enterrent la vieille femme et retournent au château. La dame se jeta au visage de son mari en criant et pleurant de rage : — Misérable ! infâme !... tu permets à ce manant, à ce démon, de faire violence à ta femme et à ta fille !... — Est-il donc possible qu’il ait encore fait cela ?... s’écria le seigneur en se tournant, furieux, vers Février. — Je ne l’ai fait qu’avec votre permission, maître, dit celui-ci ; je vous ai demandé, par la fenêtre, s’il fallait les embrasser toutes les deux, et vous m’avez répondu : — Oui, toutes les deux, et dépêche-toi ! N’est-ce pas vrai ? Votre femme et votre fille l’ont bien entendu, — Je t’ai dit d’apporter les deux pelles, et pas autre chose, misérable ! — Pour le coup, il me semble que vous vous fâchez, maître ? — Et qui ne serait pas fâché, monstre ?... — Fort bien, mais, vous savez nos conditions, le ruban de peau rouge... — Je n’ai pas dit que je suis fâché, mais, tout autre à ma place le serait, et avec raison. Voilà le seigneur bien embarrassé, car il voyait clairement qu’il avait affaire à un drôle bien déluré, et qu’il ne duperait pas, comme son frère. La dame était d’avis qu’on le renvoyât tout de suite, le jour même. — Alors, il faudra lui donner cent écus, répliquait le seigneur, puisque son année n’est pas terminée. — Qu’on les lui donne tout de suite, et qu’il parte. — Oui, mais le ruban de peau rouge, qu’il me faudra aussi me laisser enlever. — Il a été convenu, n’est-ce pas, que son année finirait, quand le coucou chanterait ? Eh bien ! le coucou chantera demain ; je me charge de le faire chanter, moi. Le lendemain matin, le seigneur dit à Février : — Prenez un fusil et allons tous les deux à la chasse. Au moment où ils sortaient de la cour, ils entendirent, dans un chêne, au-dessus de leurs têtes : Coucou ! coucou ! — Comment ! dit Février, ici les coucous chantent donc, au mois de février ? Jamais je n’avais encore entendu pareille chose ; mais, je vais apprendre à cet oiseau à attendre son heure pour chanter. Et il tira dans l’arbre, et aussitôt quelque chose, qui ne ressemblait pas à un coucou, dégringola de branche en branche, et tomba lourdement à ses pieds. C’était la châtelaine elle-même, qui était montée sur l’arbre, pour faire chanter le coucou. — Malheur à toi ! cria le seigneur, en couchant en joue Février. Mais, celui-ci releva le canon du fusil, et le coup partit en l’air. — Pour le coup, dit-il alors, vous voilà fâché, maître ? — Oui, cria-t-il, fou de colère, je suis fâché, et tu me le paieras !... — Non, maître, c’est vous qui paierez, car vous savez nos conditions, et il faut payer, quand on a perdu. Hélas ! le seigneur dut, en effet, se laisser enlever un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’à la plante du pied, et, de plus, payer cent écus. Février revint à la maison avec l’argent et les deux rubans de peau rouge, car il emporta aussi celui de son frère Janvier, qui était suspendue à un clou, au mur de la salle, parmi un grand nombre d’autres. On fît alors un grand repas. La trisaïeule de ma grand’mère, comme elle était un peu parente de la mère de Janvier et Février, fut aussi du festin, et c’est ainsi que s’est conservé dans ma famille le souvenir de cette belle histoire, et que j’ai pu vous la conter, sans y rien ajouter de mon cru. ==Note du collecteur== J’ai publié dans Mélusine, tome Ier, colonne 465 et suivantes, une autre version plus développée de ce conte. {{Ref}} [[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]] [[Catégorie:Marguerite Philippe]]
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