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Anguille (l')
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Ce conte haïtien, collecté par Louis Janvier, est issue de la Revue des Traditions Populaires n° 1-4. == Texte intégral == Il y avait une fois une anguille qui vivait heureuse dans l'eau. Des oiseaux avaient l'intention d'aller ravager un champ. Ils demandèrent à l'anguille si elle voulait venir avec eux. L'anguille répondit :<br/> — Oui; mais je n'ai pas d'ailes.<br/> — Viens avec nous, nous t'en prêterons.<br/> L'anguille consentit. Chacun des oiseaux lui donna un morceau d'aile. Il ne leur restait plus qu'à partir pour aller dévaster le champ. L'anguille se servit de ses ailes et, comme tous les oiseaux, prit sa volée. Arrivée dans le champ, comme les autres bêtes, l'anguille commença à dévaster : elle mangea des patates, elle mangea de tout. Le maître du jardin qui faisait sa tournée vint; il surprit toutes ces bêtes. Quand elles le virent, toutes coururent vers l'anguille et lui dirent :<br/> :Anguille, donne-moi mon aile, :Anguille, donne-moi mon aile. L'anguille resta sans aile. Elle glissa sous l'herbe. Elle ne pouvait faire un pas. Le maître du jardin accourut et se saisit de l'an- guille. Il l'avait entendue qui disait : Comment ferai-je? Comment ferai-je? En grande pompe, il emporta l'anguille et l'enferma dans une cage. Il la fit chanter. Il vit qu'avec un violon et un tambourin il pourrait donner un beau bal : il invita beaucoup de personnes, toute une belle société. Quand tout le monde fut réuni, il fit paraître l'anguille. Elle chanta :<br/> :Ô mon maître, je n'étais pas venue seule, On m'avait accompagnée; :Je n'étais pas venue dévaster votre champ, :J'étais venue manger seulement une patate, :Donnez-moi la liberté, je chanterai pour vous, Je divertirai votre société. :Ô mon maître, je n'étais pas venue seule, On m'avait accompagnée; :J'étais venue manger une patate, :Je n'étais pas venue dévaster votre champ, :Donnez-moi la liberté, je chanterai pour vous, Je divertirai votre société. Au même moment le bal commença. Tout le monde se mit en rond. Le bal commençant, le violon se mit à jouer :<br/> :Ouin, ouin, ouin, ouin, ouin, ouin; Jean Pierre Miragoué, :Ouin, ouin, ouin, ouin, ouin, oûin; Jean Pierre Miragoué, :Ah ! mirangouin goué ! ah ! mirangouin goué :C'est moi Jean Pierre Miragoué : Pim ! bap! Tout le monde resta ébahi. On n'avait jamais vu une aussi belle danse. On pria le joueur do violon, l'anguille et le tambourinaire de recommencer. L'anguille dit :<br/> — Non, je ne puis recommencer. Si je recommence, la chose perdra tout son piment.<br/> Pourtant, l'anguille dit :<br/> — Violon, un petit menuet.<br/> On commença à danser. Tout le monde trouva cela joli. On recommença d'applaudir l'anguille. C'était un samedi soir. Comme on voyait que l'anguille était un peu fatiguée, on remit à dimanche pour danser toute la journée, car l'anguille avait déclaré qu'elle ne pouvait danser le soir, ayant besoin de son sommeil. Comme le paysan craignait que les bêtes ne vinssent dévorer son champ, il alla faire une tournée. Sa fille qui avait pris un grand plaisir à entendre chanter l'anguille et qui avait dansé, plus que personne, quand son père fut parti, alla découvrir l'endroit où on avait caché l'anguille, la mit dehors et lui dit :<br/> — Si vous chantez pour moi, je vous donnerai la liberté.<br/> L'anguille répondit :<br/> — Je ne demande que cela. Comme auprès de la rivière il y a un bel endroit mais beau, beau, beau, allons-y; je servirai de joueur de violon, de tambourinaire et je chanterai.<br/> On alla. Arrivées, l'anguille se mit à chanter. :O mon maître, je n'étais pas venue seule, Et, tout en disant cela, l'anguille fit un petit saut en arrière. La petite fille crut que c'était un chic de l'anguille pour que la chose fût plus belle. Tout ébahie, elle regardait ce que faisait l'anguille. Et l'anguille continua de chanter : :On m'avait accompagnée, ... Et l'anguille fit un autre petit saut, :Je ne venais pas dévaster ton champ, ... Et l'anguille fit un autre saut, :J'étais venue manger seulement une patate, ... Et l'anguille leva encore sa queue et fit une pirouette en arrière. :Donne-moi la liberté, je chanterai pour toi Je divertirai ta société. Aussitôt qu'elle eut dit ceci, l'anguille plongea. La jeune fille, sachant que son père la gronderait si elle ne lui rendait pas son anguille, plongea à son tour. Ah! c'était fini, l'anguille était déjà loin. Au désespoir, elle chercha dans tous les trous du bassin le gîte où l'anguille avait pu se nicher. Elle ne trouva pas ce qu'elle cherchait. Enfin, elle mit la main dans un trou et s'empara d'une toute petite anguille. Bien contente, excessivement contente, elle sortit de l'eau, mit la petite anguille à terre et lui dit de chanter, car elle croyait que toutes les anguilles savaient chanter. Mais la petite anguille, pour toute réponse, quand elle l'interrogea, lui répondit : :Houa ! houa ! houa ! La fillette courut et alla enfermer la petite anguille dans la cage où elle avait pris la grosse anguille; puis, elle mit un poids de cinquante livres sur le couvercle et alla s'asseoir au devant de la porte. Le père radieux, sortant de son jardin, pensait à la belle fête qu'il comptait donner le lendemain. Avant de s'asseoir, il dit :<br/> — Je vais donner à manger à l'anguille pour qu'elle soit bien portante demain ; car demain, tout le monde du voisinage viendra en habit à queue de morue entendre la belle voix de mon anguille.<br/> Il arrive, il découvre la boite, il regarde, il dit :<br/> — Oh ! oh ! on dit que la couleuvre peut devenir petite quand elle veut, mais mon anguille était plus grosse; peut-être que, pour la même raison, elle est devenue plus petite. Que je voie quel est ce grand changement. Il décrocha son violon et, disant à l'anguille de chanter, il commença : :Ouin, ouin, ouin, ouin, ouin, ouin, Jean Pierre Miragoué Et il n'entendit point l'anguille chanter. Il prit un petit morceau de bois, donna un petit coup à l'anguille; elle ne dit rien encore. Il frappa plus fort. Pour toute réponse l'anguille fit : :Houa! houa! houa! Il appela la petite fille et lui dit que c'était elle qui avait perdu son anguille. Sur le visage qu'elle fit seulement, il vit que c'était elle qui avait fait le coup. Le père, désespéré, songeant aux promesses qu'il avait faites, sachant que s'il ne tenait ses promesses il serait déshonoré lui et sa famille, décrocha sa carabine et son sabre. Il coupa la tête de l'anguille. Sur le corps de l'anguille, il coupa la tête de la jeune fille; il but une balle et il tomba sur le cadavre de son enfant. Et puis on m'a donné un petit coup de pied, on m'a envoyé jusqu'ici, pour vous conter ce petit mensonge. [[Catégorie: Revue des Traditions Populaires, année 1886]] [[Catégorie: Haïti]] [[Catégorie: Louis Janvier]]
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