Fanch Scouarnec

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Source : Mélusine;1878;Fanch Scouarnec, conte
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Ce conte, collecté par Luzel auprès de Barba Tassel à Plouaret en 1868, est paru dans la revue Mélusine en 1878 (c. 465).
breton;c. 465.
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==Texte intégral==
 
==Texte intégral==
 
Un seigneur riche s'en revenait, seul et à cheval, de Brest à Rennes. À Brest, son valet l'avait quitté et s'était embarqué. Il lui en fallait un autre, pour le remplacer, et, sur sa route, il avait déjà fait des propositions à plus d'un; mais tous avaient refusé ; les conditions ne leur plaisaient pas. Entre Plounevez-Moëdec et Belle-Isle-en-Terre (au pont Saint-Élo, sans doute), il vit sur le bord de la route une petite chaumière dont la porte et l'unique fenêtre étaient ouvertes. Il était descendu de cheval, pour monter la côte à pied. Il alla à la chaumière demander du feu pour allumer sa pipe.
 
Un seigneur riche s'en revenait, seul et à cheval, de Brest à Rennes. À Brest, son valet l'avait quitté et s'était embarqué. Il lui en fallait un autre, pour le remplacer, et, sur sa route, il avait déjà fait des propositions à plus d'un; mais tous avaient refusé ; les conditions ne leur plaisaient pas. Entre Plounevez-Moëdec et Belle-Isle-en-Terre (au pont Saint-Élo, sans doute), il vit sur le bord de la route une petite chaumière dont la porte et l'unique fenêtre étaient ouvertes. Il était descendu de cheval, pour monter la côte à pied. Il alla à la chaumière demander du feu pour allumer sa pipe.
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Le lendemain, il envoya Fanch garder ses pourceaux.
 
Le lendemain, il envoya Fanch garder ses pourceaux.
Vint à passer un marchand de pourceaux qui allait à la foire, à Lannion.
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— Veux-tu me vendre, tes pourceaux, mon gars? demanda-t-il à Fanch.
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Vint à passer un marchand de pourceaux qui allait à la foire, à Lannion.<br/>
— Je ne demande pas mieux, répondit celui-ci.
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— Veux-tu me vendre, tes pourceaux, mon gars? demanda-t-il à Fanch.<br/>
— Combien en veux-tu ?
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— Je ne demande pas mieux, répondit celui-ci.<br/>
— Deux cents écus, et la queue d'un d'eux.
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— Combien en veux-tu ?<br/>
— Tope-là! c'est entendu.
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— Deux cents écus, et la queue d'un d'eux.<br/>
— Et de l'argent tout de suite.
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— Tope-là! c'est entendu.<br/>
— Oui, oui, tout de suite.
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— Et de l'argent tout de suite.<br/>
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— Oui, oui, tout de suite.<br/>
 
Et le marchand paya deux cents écus, puis partit emmenant les pourceaux.
 
Et le marchand paya deux cents écus, puis partit emmenant les pourceaux.
Il y avait tout près de là un étang dont une partie était toute marécageuse et obstruée par les herbes et les joncs. Fanch entra dans le marais, jusqu'au ventre, et se mit à crier à tue-tête. Il avait mis dans la vase le gros bout de la queue de pourceau qui lui était restée, et feignait de tirer dessus, de toutes ses forces, en criant : Au secours ! au secours ! accourez vite ! Le seigneur était à se promener dans le bois, non loin de l'étang, et il accourut aux cris.
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— Qu'est-ce encore? demanda-t-il, en voyant Fanch dans la vase jusqu'au ventre.
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Il y avait tout près de là un étang dont une partie était toute marécageuse et obstruée par les herbes et les joncs. Fanch entra dans le marais, jusqu'au ventre, et se mit à crier à tue-tête. Il avait mis dans la vase le gros bout de la queue de pourceau qui lui était restée, et feignait de tirer dessus, de toutes ses forces, en criant : Au secours ! au secours ! accourez vite ! Le seigneur était à se promener dans le bois, non loin de l'étang, et il accourut aux cris.<br/>
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— Qu'est-ce encore? demanda-t-il, en voyant Fanch dans la vase jusqu'au ventre.<br/>
 
— Venez, vite, à mon secours, mon pauvre maître, ou nous les perdrons tous ! Un animal comme je n'en ai jamais vu, d'un aspect effrayant, un diable de l'enfer,
 
— Venez, vite, à mon secours, mon pauvre maître, ou nous les perdrons tous ! Un animal comme je n'en ai jamais vu, d'un aspect effrayant, un diable de l'enfer,
 
je le crois bien, est sorti de l'étang, au moment où j'y songeais le moins, puis il y est rentré, entraînant mes pourceaux, qui se tenaient tous par la queue. Je tiens encore la queue du dernier, voyez! venez m'aider à tirer dessus, car si nous pouvons l'avoir, tous les autres viendront à la suite! venez, vite, car je vais lâcher prise !
 
je le crois bien, est sorti de l'étang, au moment où j'y songeais le moins, puis il y est rentré, entraînant mes pourceaux, qui se tenaient tous par la queue. Je tiens encore la queue du dernier, voyez! venez m'aider à tirer dessus, car si nous pouvons l'avoir, tous les autres viendront à la suite! venez, vite, car je vais lâcher prise !
Et le seigneur entra, sans hésiter, dans l'étang, et se mit aussi à tirer sur la queue, avec Fanch. Mais celui-ci, lâchant prise aussitôt, il tomba et s'enfonça dans la vase, et faillit y être étouffé.
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— Hélas! nous les perdons encore! Ils sont allés dans l'enfer ! s'écria Fanch.
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Et le seigneur entra, sans hésiter, dans l'étang, et se mit aussi à tirer sur la queue, avec Fanch. Mais celui-ci, lâchant prise aussitôt, il tomba et s'enfonça dans la vase, et faillit y être étouffé.<br/>
L'autre, s'étant dépêtré, avec beaucoup de peine, menaçait et jurait.
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— Hélas! nous les perdons encore! Ils sont allés dans l'enfer ! s'écria Fanch.<br/>
— Comment, mon maître, vous êtes donc fâché? Lui demanda Fanch ironiquement.
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L'autre, s'étant dépêtré, avec beaucoup de peine, menaçait et jurait.<br/>
— Donne-moi la paix, fils de p...! Je voudrais te voir au diable !
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— Comment, mon maître, vous êtes donc fâché? Lui demanda Fanch ironiquement.<br/>
— Si vous êtes fâché, vous n'avez qu'à me donner mes cent écus, avec un sac de liards, suivant nos conventions, et je partirai quand vous voudrez; mais avant
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— Donne-moi la paix, fils de p...! Je voudrais te voir au diable !<br/>
de m'en aller, vous savez, je vous taillerai une courroie depuis la nuque
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— Si vous êtes fâché, vous n'avez qu'à me donner mes cent écus, avec un sac de liards, suivant nos conventions, et je partirai quand vous voudrez; mais avant de m'en aller, vous savez, je vous taillerai une courroie depuis la nuque.<br/>
— Et qui t'a dit que je suis fâché?... et pourtant il y aurait bien lieu, j'espère; tu me ruineras complètement !
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— Et qui t'a dit que je suis fâché?... et pourtant il y aurait bien lieu, j'espère; tu me ruineras complètement !<br/>
— Que voulez-vous? je ne puis pas empêcher le diable d'emporter vos pourceaux !
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— Que voulez-vous? je ne puis pas empêcher le diable d'emporter vos pourceaux !<br/>
— Demain, je te donnerai une autre occupation, et aussitôt ton année finie, tu partiras, puisque tu n'es bon à lien.
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— Demain, je te donnerai une autre occupation, et aussitôt ton année finie, tu partiras, puisque tu n'es bon à lien.<br/>
— Comme vous voudrez ; mais quand est-ce que mon année finit aussi?
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— Comme vous voudrez ; mais quand est-ce que mon année finit aussi?<br/>
 
— Quand le coucou chantera.
 
— Quand le coucou chantera.
Le lendemain, le seigneur dit à Fanch :
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— Prends ce fusil, et accompagne-moi au bois ; les braconniers me détruisent tout mon gibier, et les pauvres de tout le pays font leur provision de bois à
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Le lendemain, le seigneur dit à Fanch :<br/>
mes dépens ; je veux y mettre bon ordre.
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— Prends ce fusil, et accompagne-moi au bois ; les braconniers me détruisent tout mon gibier, et les pauvres de tout le pays font leur provision de bois à mes dépens ; je veux y mettre bon ordre.<br/>
 
— C'est bien ! répondit Fanch, cela me va.
 
— C'est bien ! répondit Fanch, cela me va.
Et il mit le fusil sur son épaule, et suivit son maître au bois. Dès en entrant, ils virent une vieille femme qui portait un grand faix sur son dos.
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— Tire dessus? dit le seigneur à Fanch.
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Et il mit le fusil sur son épaule, et suivit son maître au bois. Dès en entrant, ils virent une vieille femme qui portait un grand faix sur son dos.<br/>
— Faut-il le faire?
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— Tire dessus! dit le seigneur à Fanch.<br/>
— Oui, oui !
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— Faut-il le faire?<br/>
— Et si je la tue?
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— Oui, oui !<br/>
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— Et si je la tue?<br/>
 
— Tant pis pour elle ! Ça lui apprendra à me voler mon bois.
 
— Tant pis pour elle ! Ça lui apprendra à me voler mon bois.
Et Fanch tira, pan! et la vieille roula à terre, avec son faix. Ils allèrent à elle.
 
— Elle est morte ! dit le seigneur.
 
— Net ! répondit Fanch, malheureusement pour vous, car je ne voudrais pas être à votre place. Cette vieille à deux fils, deux fameux gaillards, ma foi ! et quand ils sauront que vous avez tué leur mère.
 
— Mais c'est toi qui l'as tuée.
 
— Oui, mais sur votre ordre ; je suis votre domestique, et je vous dois obéissance, mais c'est vous aussi qui paierez pour moi.
 
— Tu me fais peur : va, vite, chercher deux pelles au château, pour la mettre en terre, et personne n'en saura rien. Tu en trouveras dans le corridor, auprès de
 
la chambre de ma femme et de ma fille. Mets-les dans un sac, pour que personne ne voie, et reviens, vite.
 
Fanch se rendit au château, et trouva ouverte la porte de la chambre de la dame, qui y était avec sa fille. Il entra et dit :
 
— Mon maître m'a ordonné de vous mettre toutes les deux dans un sac.
 
— Qu'est-ce que vous dites, imbécile ! il faut que vous ayez perdu la tête !
 
— Vous allez l'entendre le dire lui-même.
 
Et, se mettant à la fenêtre, il demanda au seigneur, qui l'attendait en bas :
 
— Toutes les deux dans un sac, n'est-ce pas, Monseigneur ?
 
— Oui, toutes les deux, et dépêche-toi! (Il voulait dire deux pelles. )
 
— Entendez-vous? je dois obéir à mon maître.
 
Et il se précipita sur la mère et la fille, et réussit, non sans peine, car elles se défendaient de leur mieux, à les enfermer dans un sac. Le seigneur, en entendant le bruit et les cris qu'elles poussaient, accourut, pour voir ce qui se passait.
 
— Quel tour m'as-tu encore joué, misérable, démon incarné ? s'écria-t-il, en voyant le sac qui se roulait sur le plancher et en entendant les cris qui en sortaient.
 
— Eh ! je les ai mises dans le sac ; ne m'aviez vous pas dit de vous apporter deux filles dans un sac ?
 
— Deux pelles, imbécile !
 
— Dame ! moi j'avais compris deux filles (i) !
 
— J'ai envie de te passer mon épée au travers du corps !
 
  
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Et Fanch tira, pan! et la vieille roula à terre, avec son faix. Ils allèrent à elle.<br/>
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— Elle est morte ! dit le seigneur.<br/>
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— Net ! répondit Fanch, malheureusement pour vous, car je ne voudrais pas être à votre place. Cette vieille à deux fils, deux fameux gaillards, ma foi ! et quand ils sauront que vous avez tué leur mère.<br/>
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— Mais c'est toi qui l'as tuée.<br/>
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— Oui, mais sur votre ordre ; je suis votre domestique, et je vous dois obéissance, mais c'est vous aussi qui paierez pour moi.<br/>
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— Tu me fais peur : va, vite, chercher deux pelles au château, pour la mettre en terre, et personne n'en saura rien. Tu en trouveras dans le corridor, auprès de la chambre de ma femme et de ma fille. Mets-les dans un sac, pour que personne ne voie, et reviens, vite.
  
(i) Fanch est censé avoir compris plac'h (fille) au lieu de pâl (pelle).
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Fanch se rendit au château, et trouva ouverte la porte de la chambre de la dame, qui y était avec sa fille. Il entra et dit :<br/>
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— Mon maître m'a ordonné de vous mettre toutes les deux dans un sac.<br/>
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— Qu'est-ce que vous dites, imbécile ! il faut que vous ayez perdu la tête !<br/>
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— Vous allez l'entendre le dire lui-même.<br/>
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Et, se mettant à la fenêtre, il demanda au seigneur, qui l'attendait en bas :<br/>
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— Toutes les deux dans un sac, n'est-ce pas, Monseigneur ?<br/>
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— Oui, toutes les deux, et dépêche-toi! (Il voulait dire deux pelles. )<br/>
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— Entendez-vous? je dois obéir à mon maître.
  
 
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Et il se précipita sur la mère et la fille, et réussit, non sans peine, car elles se défendaient de leur mieux, à les enfermer dans un sac. Le seigneur, en entendant le bruit et les cris qu'elles poussaient, accourut, pour voir ce qui se passait.<br/>
— Vous êtes fâché, il me semble, mon maître ?
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— Quel tour m'as-tu encore joué, misérable, démon incarné ? s'écria-t-il, en voyant le sac qui se roulait sur le plancher et en entendant les cris qui en sortaient.<br/>
— Fâché, fâché... et qui ne le serait pas, à ma place?
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— Eh ! je les ai mises dans le sac ; ne m'aviez vous pas dit de vous apporter deux filles dans un sac ?<br/>
— Oh! alors , je vais vous tailler courroie
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— Deux pelles, imbécile !<br/>
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— Dame ! moi j'avais compris deux filles<ref>Fanch est censé avoir compris ''plac'h'' (fille) au lieu de ''pâl'' (pelle).</ref> !<br/>
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— J'ai envie de te passer mon épée au travers du corps !<br/>
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— Vous êtes fâché, il me semble, mon maître ?<br/>
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— Fâché, fâché... et qui ne le serait pas, à ma place?<br/>
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— Oh! alors , je vais vous tailler courroie.<br/>
 
— Mais je ne suis pas fâché du tout, je n'ai rien dit de semblable ; tu sais bien que j'ai bon caractère et que je ne me fâche jamais. Mais, va-t-en, vite, au bois, emporte deux pelles dans un sac, tu entends bien, deux pelles, et fais ce que je t'ai dit.
 
— Mais je ne suis pas fâché du tout, je n'ai rien dit de semblable ; tu sais bien que j'ai bon caractère et que je ne me fâche jamais. Mais, va-t-en, vite, au bois, emporte deux pelles dans un sac, tu entends bien, deux pelles, et fais ce que je t'ai dit.
Le seigneur retira sa femme et sa fille du sac, puis ils avisèrent au moyen de se défaire de Fanch, le plus tôt possible.
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— On était convenu, dit la dame, que son année finirait quand chanterait le coucou.
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Le seigneur retira sa femme et sa fille du sac, puis ils avisèrent au moyen de se défaire de Fanch, le plus tôt possible.<br/>
— Oui, mais le coucou n'est pas près de chanter encore !
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— On était convenu, dit la dame, que son année finirait quand chanterait le coucou.<br/>
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— Oui, mais le coucou n'est pas près de chanter encore !<br/>
 
— Bah ! ce garçon-là est si bête, qu'il ne doit pus connaître à quelle époque de l'année le coucou chante ; demain, je ferai chanter le coucou, moi.
 
— Bah ! ce garçon-là est si bête, qu'il ne doit pus connaître à quelle époque de l'année le coucou chante ; demain, je ferai chanter le coucou, moi.
Le lendemain, au moment où Fanch se rendait au bois, son fusil sur l'épaule, il entendit : Coucou! Coucou! sur un grand chêne qui était auprès de la porte de la cour.
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— Tiens ! tiens ! dit-il, le coucou, dans ce pays-ci, chante au mois de février ! Tout à l'heure je t'apprendrai à attendre ton temps pour chanter, vilaine bête !
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Le lendemain, au moment où Fanch se rendait au bois, son fusil sur l'épaule, il entendit : Coucou! Coucou! sur un grand chêne qui était auprès de la porte de la cour.<br/>
Et il tira, pan ! Et la dame tomba morte à ses pieds.
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— Tiens ! tiens ! dit-il, le coucou, dans ce pays-ci, chante au mois de février ! Tout à l'heure je t'apprendrai à attendre ton temps pour chanter, vilaine bête !<br/>
— Tiens! le singulier coucou! dit-il.
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Et il tira, pan ! Et la dame tomba morte à ses pieds.<br/>
— Ah! démon, s'écria le seigneur, tu as tué ma femme ! Je vais te tuer aussi, comme un chien !
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— Tiens! le singulier coucou! dit-il.<br/>
— Ah ! pour cette fois, mon maître, vous êtes bien fâché, et je vais vous tailler courroie.
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— Ah! démon, s'écria le seigneur, tu as tué ma femme ! Je vais te tuer aussi, comme un chien !<br/>
— Mais non, je ne suis pas fâché, puisque je ne me fâche jamais, moi. Mais, à partir de ce moment, tu n'auras plus rien à faire au château, que manger, boire, dormir, et te promener ; car tu me réduirais à la mendicité !
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— Ah ! pour cette fois, mon maître, vous êtes bien fâché, et je vais vous tailler courroie.<br/>
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— Mais non, je ne suis pas fâché, puisque je ne me fâche jamais, moi. Mais, à partir de ce moment, tu n'auras plus rien à faire au château, que manger, boire, dormir, et te promener ; car tu me réduirais à la mendicité !<br/>
 
— A merveille! c'est là où j'en voulais arriver.
 
— A merveille! c'est là où j'en voulais arriver.
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Un jour, le coucou chanta aussi, au mois de mai. Et l'on donna à Fanch ses cent écus, un sac de liards et son congé. Et il retourna dans son pays, sans qu'on lui eût taillé courroie, plus heureux que beaucoup d'autres qui l'avaient précédé dans ce château ; car il y avait là une salle où l'on voyait un grand nombre de courroies appendues et rangées contre le mur.
 
Un jour, le coucou chanta aussi, au mois de mai. Et l'on donna à Fanch ses cent écus, un sac de liards et son congé. Et il retourna dans son pays, sans qu'on lui eût taillé courroie, plus heureux que beaucoup d'autres qui l'avaient précédé dans ce château ; car il y avait là une salle où l'on voyait un grand nombre de courroies appendues et rangées contre le mur.
 
Avec les cinq cents écus qu'il avait eus des boeufs, les deux cents écus des pourceaux, et les cent écus et le sac de liards de ses gages, il se trouvait être riche.
 
Avec les cinq cents écus qu'il avait eus des boeufs, les deux cents écus des pourceaux, et les cent écus et le sac de liards de ses gages, il se trouvait être riche.
 
Aussi, se maria-t-il à une des plus riches héritières de sa commune, et, pendant trois jours entiers, il y eut des fêtes et des festins auxquels furent invités tous les gens de sa commune, les pauvres comme les riches(i).
 
Aussi, se maria-t-il à une des plus riches héritières de sa commune, et, pendant trois jours entiers, il y eut des fêtes et des festins auxquels furent invités tous les gens de sa commune, les pauvres comme les riches(i).
  
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==Autre version relevée par le collecteur==
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Une autre version de ce conte présente des variantes assez intéressantes. En voici un résumé succinct.
  
Conté en breton par Barba Tassel,Plouaret,
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Un roi a trois fils, dont le plus jeune est bossu. Devenu vieux, le roi promet la couronne à celui de ses trois fils qui se signalera par le plus bel exploit. Tous les trois ils doivent voyager pendant un an et un jour, mais successivement, pour chercher des aventures. L'ainé part le premier, avec la bourse bien garnie et monté sur un beau cheval. Mais il dépense tout son argent, vends on chevalet se trouve réduit à la misère. Un jour qu'il mangeait son pain sec près d'une fontaine,au moment où il se penchait sur l'eau, pour en boire, il vit une coquille de Saint-Jacques monter du fond et venir s'offrir à lui, afin qu'il pût boire plus facilement. Mais il la repoussa avec dédain. Il pénétra ensuite dans un grand bois où il vit, après avoir erré longtemps,une hutte couverte de feuillage et de fougères, et dans laquelle demeurait une petite vieille femme. Celle-ci lui indiqua dans le bois un château où il trouverait sûrement de l'occupation, car on y changeait de domestique presque tous les jours. Il se rendit au château et fut reçu comme domestique, aux conditions suivantes: faire exactement tout ce qu'on lui commanderait,et ne jamais se fâcher, quoiqu'il pût lui arriver, sous peine d'être obligé de se laisser enlever un ruban ou courroie, de peau, depuis la nuque jusqu'à la plante des pieds; son année finirait quand le coucou chanterait, et il aurait un boisseau d'argent, s'il en atteignait la fin sans avoir failli aux conditions. Mais,dès le second jour, il se fâcha, et le seigneur lui enleva la courroie convenue, puis il le renvoya sans le sou. Il s'en retourna à la maison,l'air piteux et malade.
décembre1868.
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F.-M. LUZEL.
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Comparez: Hahn, Griechischeund albanesische Moerchen, nosll et 34; Schott, Walachische Moerchen, pag. 229;
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JahrbuchfurromanischeundenglischeLitteratur, tome VIII, p. 246 (conte italien); Webster, Basque Legends, p. 6 et ll;Wenzig, Weslslavischer Moerchenschatxp,. 5; Schleicher, Litauischa Moerchen,p. 45; Proehle, Moerchenfur die Jugend, n° 16; Zingcrle, Kinder und Hausmoerchenaus Süddeuischland,p. 223; Arne, Nogle Fortoellinger,Sagn ogAEventyr,indsamledei Slagelse-Egnen, Slagelse 1862, p. 63; Asbjoernsen et Moe, Norske Folkeeventyr,2e édition , p. 394 et 396 ; Campbell, Popular Taiesof the West
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Le second fils partit alors. Il lui arriva absolument comme à son frère aîné. Il dépensa son argent, vendit son cheval,dédaigna aussi la coquille de saint Jacques de la fontaine,arriva à la hutte de la même vieille femme, puis au même château,où il fut pris aux mêmes conditions,y laissa aussi une courroie de sa peau et retourna en fin chez son père, aussi misérable et aussi honteux que le premier.
  
(i) Une autre version de ce conte présente des variantes assez intéressantes. En voici un résumé succinct. Un roi a trois fils, dont le plus jeune est bossu. Devenu vieux, le roi promet la couronne à celui de ses trois fils qui se signalera par le plus bel exploit. Tous les trois ils doivent voyager pendant un an et un jour, mais successivement, pour chercher des aventures. L'ainé part le premier, avec la bourse bien garnie et monté sur un beau cheval. Mais il dépense tout son argent, vends on chevalet se trouve réduit à la misère. Un jour qu'il mangeait son pain sec près d'une fontaine,au moment où il se penchait sur l'eau, pour en boire, il vit une coquille de Saint-Jacques monter du fond et venir s'offrir à lui, afin qu'il pût boire plus facilement. Mais il la repoussa avec dédain. Il pénétra ensuite dans un grand bois où il vit, après avoir erré longtemps,une hutte couverte de feuillage et de fougères, et dans laquelle demeurait une petite vieille femme. Celle-ci lui indiqua dans le bois un château où il trouverait sûrement de l'occupation, car on y changeait de domestique presque tous les jours.. Il se rendit au château et fut reçu comme domestique, aux conditions suivantes: faire exactement tout ce qu'on lui commanderait,et ne jamais se fâcher, quoiqu'il pût lui arriver, sous peine d'être obligé de se laisser enlever un ruban ou courroie, de peau, depuis la nuque jusqu'à la plante des pieds; son année finirait quand le coucou chanterait, et il aurait un boisseau d'argent, s'il en atteignait la fin sans avoir failli aux conditions. Mais,dès le second jour, il se fâcha, et le seigneur lui enleva la courroie convenue, puis il le renvoya sans le sou. Il s'en retourna à la maison,l'air piteux et malade.
+
Le tour du bossu venu, il voulut partir aussi.<br/>
Le second fils partit alors. Il lui arriva absolument comme à son frère aîné. Il dépensa son argent, vendit son cheval,dédaigna aussi la coquille de saint Jacques de la fontaine,arriva à la hutte de la même vieille femme, puis au même château,où il fut pris aux mêmes conditions,y laissa aussi une courroie de
+
— A quoi bon? Lui dit son père?<br/>
sa peau et retourna en fin chez son père, aussi misérable et aussi
+
Mais il insista, et on le laissa aller,mais sans cheval et avec fort peu d'argent. Il arriva à la même fontaine que ses frères, et s'y arrêta comme eux, pour se reposer un peu et casser une croûte. La même coquille vint s'offrir à lui, quand il voulut boire; mais,loin de la repousser,il l'accueillit au contraire avec reconnaissance et la remercia du service qu'elle lui avait rendu.
honteux que le premier.
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Le tour du bossu venu, il voulut partir aussi.
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— A quoi bon? Lui dit son père? Mais il insista, et on le laissa aller,mais sans
+
cheval et avec fort peu d'argent. Il arriva à la même fontaine que ses frères, et s'y arrêta comme eux, pour se reposer un peu et casser une croûte. La même coquille vint s'offrir à lui, quand il voulut boire; mais,loin de la repousser,il l'accueillit au contraire avec reconnaissance et la remercia du service qu'elle lui avait rendu.
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Plus loin, la vieille bonne femme de la hutte le reçut avec bienveillance, l'encouragea et le conseilla. Il alla ensuite au château, où il fut accepté comme domestique,aux mêmes conditions que ses deux frères. Puis, les mêmes épisodes et les mêmes détails,à très-peu de chose près, que dans notre conte. Mais au lieu de laisser au château une courroie de sa peau, ce fut lui, au contraire, qui en enleva une au seigneur,et l'emporta,ainsi que celles enlevées à ses deux frères, à qui il les restitua. La vieille femme de la hutte dans le bois, qu'il revit au retour, lui enleva sa bosse, en la frottant avec un onguent magique, et, en arrivant à la maison,il se maria avec une belle princesse,et son père lui céda sa couronne.
 
Plus loin, la vieille bonne femme de la hutte le reçut avec bienveillance, l'encouragea et le conseilla. Il alla ensuite au château, où il fut accepté comme domestique,aux mêmes conditions que ses deux frères. Puis, les mêmes épisodes et les mêmes détails,à très-peu de chose près, que dans notre conte. Mais au lieu de laisser au château une courroie de sa peau, ce fut lui, au contraire, qui en enleva une au seigneur,et l'emporta,ainsi que celles enlevées à ses deux frères, à qui il les restitua. La vieille femme de la hutte dans le bois, qu'il revit au retour, lui enleva sa bosse, en la frottant avec un onguent magique, et, en arrivant à la maison,il se maria avec une belle princesse,et son père lui céda sa couronne.
  
 
Cette version,comme on le voit, diffère assez peu de celle que nous donnons ici.
 
Cette version,comme on le voit, diffère assez peu de celle que nous donnons ici.
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Cette coutume de tailler courroie de peau parait-être bien ancienne.
 
Cette coutume de tailler courroie de peau parait-être bien ancienne.
Ont rouve dans Plaute: De meo lergo degiturcorium; et dans Jehan de Sainlré (XV° siècle) : Ha! Madame,dit Madame à la royne: Vous taillez larges courroies d'autruycuir,(chap.24.)—Cela rappelle aussi l'histoire de la livre de chair du Marchand de Venise, de Shakespeare,laquelle histoire se trouve également dans le Dolopathos. Highlands,n° 45 ; Kennedy, the Fireside Storiesof Ireland p. 74.
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On trouve dans Plaute : "De meo lergo degiturcorium"; et dans Jehan de Sainlré (XV° siècle) : "Ha! Madame,dit Madame à la royne: Vous taillez larges courroies d'autruycuir",(chap.24.)
Dans ces différents contes, un maître et un serviteur prennent un engagement réciproque par lequel aucun des deux ne doit se fâcher contre l'autre, ou, selon
+
Cela rappelle aussi l'histoire de la livre de chair du Marchand de Venise, de Shakespeare, laquelle histoire se trouve également dans le Dolopathos. Highlands,n° 45 ; Kennedy, the Fireside Storiesof Ireland p. 74.
quelques versions, ne doit exprimer de regret sur l'engagement.
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Si l'un se fâche, ou exprime du regret, l'autre lui doit, dans la plupart des contes, tailler dans le dos une ou plusieurs lanières de peau. Dans le conte
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Dans ces différents contes, un maître et un serviteur prennent un engagement réciproque par lequel aucun des deux ne doit se fâcher contre l'autre, ou, selon quelques versions, ne doit exprimer de regret sur l'engagement.
italien, il doit être écorché ; dans le conte moravo-valaque de Wenzig, il doit perdre le nez, et dans les contes allemands, il doit perdre les oreilles. Dans
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Si l'un se fâche, ou exprime du regret, l'autre lui doit, dans la plupart des contes, tailler dans le dos une ou plusieurs lanières de peau. Dans le conte italien, il doit être écorché ; dans le conte moravo-valaque de Wenzig, il doit perdre le nez, et dans les contes allemands, il doit perdre les oreilles. Dans plusieurs contes, le maître conclut successivement cet arrangement avec trois frères, dont les deux aînés sont malheureux et ne réussissent pas. Les coups par lesquels le serviteur cherche à faire naître la colère ou les regrets de son maître, sont quant aux uns, les mêmes ou très-semblables dans plusieurs contes, et quant aux autres, particuliers à tel ou tel de ces contes.
plusieurs contes, le maître conclut successivement cet arrangement avec trois frères, dont les deux aînés sont malheureux et ne réussissent pas. Les coups par lesquels le serviteur cherche à faire naître la colère ou les regrets de son maître, sont quant aux uns, les mêmes ou très-semblables dans plusieurs contes, et quant aux autres, particuliers à tel ou tel de ces contes.
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Un conte Afghan, évidemment corrompu et publié par Thorburn, Bannu, or our Afghan Frontier, p. 199, tient une place à part :
 
Un conte Afghan, évidemment corrompu et publié par Thorburn, Bannu, or our Afghan Frontier, p. 199, tient une place à part :
 
Dans ce récit, le serviteur doit tous les jours semer une corbeille de grains, préparer pour la famille une corbeille de bois de chauffage et le vivre; en retour, le maître doit lui fournir une charrue et un couple de boeufs; celui des deux qui ne tient pas son engagement doit perdre le nez. Dès le premier jour, le serviteur ne peut remplir tout son office, et le maître lui coupe le nez. Il retourne chez lui et raconte sa mésaventure à son frère qui entre au service du maître aux mêmes conditions. Celui-ci répand tout le grain, tue un des boeufs et brise la charrue, et, rentré à la maison, dit au maître qu'il a rempli ses engagements. Il en fait autant le second jour. Le troisième jour, le maître ne peut lui fournir ni grain, ni charrue, ni boeuf,et perd son nez.
 
Dans ce récit, le serviteur doit tous les jours semer une corbeille de grains, préparer pour la famille une corbeille de bois de chauffage et le vivre; en retour, le maître doit lui fournir une charrue et un couple de boeufs; celui des deux qui ne tient pas son engagement doit perdre le nez. Dès le premier jour, le serviteur ne peut remplir tout son office, et le maître lui coupe le nez. Il retourne chez lui et raconte sa mésaventure à son frère qui entre au service du maître aux mêmes conditions. Celui-ci répand tout le grain, tue un des boeufs et brise la charrue, et, rentré à la maison, dit au maître qu'il a rempli ses engagements. Il en fait autant le second jour. Le troisième jour, le maître ne peut lui fournir ni grain, ni charrue, ni boeuf,et perd son nez.
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(i) J'omets deux autres occupations de la mère qui ne se trouvent dans aucun des autres récits.
 
(i) J'omets deux autres occupations de la mère qui ne se trouvent dans aucun des autres récits.
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Comparez: Hahn, Griechischeund albanesische Moerchen, nosll et 34; Schott, Walachische Moerchen, pag. 229;
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JahrbuchfurromanischeundenglischeLitteratur, tome VIII, p. 246 (conte italien); Webster, Basque Legends, p. 6 et ll;Wenzig, Weslslavischer Moerchenschatxp,. 5; Schleicher, Litauischa Moerchen,p. 45; Proehle, Moerchenfur die Jugend, n° 16; Zingcrle, Kinder und Hausmoerchenaus Süddeuischland,p. 223; Arne, Nogle Fortoellinger,Sagn ogAEventyr,indsamledei Slagelse-Egnen, Slagelse 1862, p. 63; Asbjoernsen et Moe, Norske Folkeeventyr,2e édition , p. 394 et 396 ; Campbell, Popular Taiesof the West
  
 
[[Catégorie: Revue Mélusine]]
 
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[[Catégorie: Conte facétieux]]
 
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[[Catégorie: François-Marie Luzel]]
 
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[[Catégorie:Barba Tassel]]
 
[[Catégorie: AT 1000]]
 
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[[Catégorie:Bretagne]]
 
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Version du 13 janvier 2012 à 21:20


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