Barbe Bleue (la) de Perrault

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La Barbe bleue revint de son voyage dès le soir-même, et dit qu’il avait reçu des lettres, dans le chemin, qui lui avaient appris que l’affaire pour laquelle il était parti venait d’être terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu’elle put pour lui témoigner qu’elle était ravie de son prompt retour.
 
La Barbe bleue revint de son voyage dès le soir-même, et dit qu’il avait reçu des lettres, dans le chemin, qui lui avaient appris que l’affaire pour laquelle il était parti venait d’être terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu’elle put pour lui témoigner qu’elle était ravie de son prompt retour.
  
Le lendemain, il lui redemanda les clefs ; et elle les lui donna, mais d’une main si tremblante, qu’il devina sans peine tout ce qui s’était passé.
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Le lendemain, il lui redemanda les clefs ; et elle les lui donna, mais d’une main si tremblante, qu’il devina sans peine tout ce qui s’était passé.<br/>
 
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« D’où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n’est point avec les autres ?<br/>
« D’où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n’est point avec les autres ?
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— Il faut, dit-elle, que je l’aie laissée là-haut sur ma table.<br/>
 
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— Il faut, dit-elle, que je l’aie laissée là-haut sur ma table.
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— Ne manquez pas, dit la Barbe bleue, de me la donner tantôt. »
 
— Ne manquez pas, dit la Barbe bleue, de me la donner tantôt. »
  
Après plusieurs remises, il fallut apporter la clef. La Barbe bleue, l’ayant considérée, dit à sa femme :
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Après plusieurs remises, il fallut apporter la clef. La Barbe bleue, l’ayant considérée, dit à sa femme :<br/>
 
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« Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef ?<br/>
« Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef ?
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— Je n’en sais rien, répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort.<br/>
 
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— Je n’en sais rien, répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort.
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— Vous n’en savez rien ! reprit la Barbe bleue ; je le sais bien, moi. Vous avez voulu entrer dans le cabinet ! Eh bien, madame, vous y entrerez et irez prendre votre place auprès des dames que vous y avez vues. »
 
— Vous n’en savez rien ! reprit la Barbe bleue ; je le sais bien, moi. Vous avez voulu entrer dans le cabinet ! Eh bien, madame, vous y entrerez et irez prendre votre place auprès des dames que vous y avez vues. »
  
Elle se jeta aux pieds de son mari en pleurant, et en lui demandant pardon, avec toutes les marques d’un vrai repentir, de n’avoir pas été obéissante. Elle aurait attendri un rocher, belle et affligée comme elle était mais la Barbe bleue avait le cœur plus dur qu’un rocher.
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Elle se jeta aux pieds de son mari en pleurant, et en lui demandant pardon, avec toutes les marques d’un vrai repentir, de n’avoir pas été obéissante. Elle aurait attendri un rocher, belle et affligée comme elle était mais la Barbe bleue avait le cœur plus dur qu’un rocher.<br/>
 
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« Il faut mourir, madame, lui dit-il, et tout à l’heure.<br/>
« Il faut mourir, madame, lui dit-il, et tout à l’heure.
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— Puisqu’il faut mourir, répondit-elle en le regardant les yeux baignés de larmes, donnez-moi un peu de temps pour prier Dieu.<br/>
 
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— Puisqu’il faut mourir, répondit-elle en le regardant les yeux baignés de larmes, donnez-moi un peu de temps pour prier Dieu.
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— Je vous donne un demi-quart d’heure, reprit la Barbe bleue ; mais pas un moment davantage. »
 
— Je vous donne un demi-quart d’heure, reprit la Barbe bleue ; mais pas un moment davantage. »
  
Lorsqu’elle fut seule, elle appela sa sœur, et lui dit « Ma sœur Anne, car elle s’appelait ainsi, monte, je te prie, sur le haut de la tour pour voir si mes frères ne viennent point : ils m’ont promis qu’ils me viendraient voir aujourd’hui ; et si tu les vois, fais-leur signe de se hâter. » La sœur Anne monta sur le haut de la tour ; et la pauvre affligée lui criait de temps en temps : « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »
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Lorsqu’elle fut seule, elle appela sa sœur, et lui dit « Ma sœur Anne, car elle s’appelait ainsi, monte, je te prie, sur le haut de la tour pour voir si mes frères ne viennent point : ils m’ont promis qu’ils me viendraient voir aujourd’hui ; et si tu les vois, fais-leur signe de se hâter. » La sœur Anne monta sur le haut de la tour ; et la pauvre affligée lui criait de temps en temps :<br/>
 
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« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »<br/>
Et la sœur Anne, lui répondait :
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Et la sœur Anne, lui répondait :<br/>
 
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« Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie. »
 
« Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie. »
  
Cependant, la Barbe bleue, tenant un grand coutelas à sa main, criait de toute sa force à sa femme :
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Cependant, la Barbe bleue, tenant un grand coutelas à sa main, criait de toute sa force à sa femme :<br/>
 
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« Descends vite ou je monterai là-haut.<br/>
« Descends vite ou je monterai là-haut.
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— Encore un moment, s’il vous plaît », lui répondait sa femme.<br/>
 
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Et aussitôt elle criait tout bas :<br/>
— Encore un moment, s’il vous plaît », lui répondait sa femme.
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« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »<br/>
 
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Et aussitôt elle criait tout bas :
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« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »
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Et la sœur Anne répondait : « Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie.
 
Et la sœur Anne répondait : « Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie.
  
— Descends donc vite, criait la Barbe bleue, ou je monterai là-haut.
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— Descends donc vite, criait la Barbe bleue, ou je monterai là-haut.<br/>
 
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— Je m’en vais », répondait la femme et puis elle criait :<br/>
— Je m’en vais », répondait la femme et puis elle criait :
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« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?<br/>
 
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— Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussière qui vient de ce côté-ci…<br/>
« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?
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— Sont-ce mes frères ?<br/>
 
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— Hélas ! non, ma sœur : c’est un troupeau de moutons…<br/>
— Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussière qui vient de ce côté-ci…
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— Ne veux-tu pas descendre ? criait la Barbe bleue.<br/>
 
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— Encore un moment », répondait sa femme, et puis elle criait :<br/>
— Sont-ce mes frères ?
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« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?<br/>
 
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— Je vois, répondit-elle, deux cavaliers qui viennent de ce côté, mais ils sont bien loin encore.<br/>
— Hélas ! non, ma sœur : c’est un troupeau de moutons…
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— Ne veux-tu pas descendre ? criait la Barbe bleue.
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— Encore un moment », répondait sa femme, et puis elle criait :
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« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?
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— Je vois, répondit-elle, deux cavaliers qui viennent de ce côté, mais ils sont bien loin encore.
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— Dieu soit loué ! s’écria-t-elle un moment après, ce sont mes frères ; je leur fais signe tant que je puis de se hâter. »
 
— Dieu soit loué ! s’écria-t-elle un moment après, ce sont mes frères ; je leur fais signe tant que je puis de se hâter. »
  
La Barbe bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds tout épleurée et tout échevelée.
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La Barbe bleue se mit à crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter à ses pieds tout épleurée et tout échevelée.<br/>
 
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« Cela ne sert à rien, dit la Barbe bleue ; il faut mourir. »<br/>
« Cela ne sert à rien, dit la Barbe bleue ; il faut mourir. »
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Puis, la prenant d’une main par les cheveux, et de l’autre, levant le coutelas en l’air, il allait lui abattre la tête. La pauvre femme, se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir.<br/>
 
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Puis, la prenant d’une main par les cheveux, et de l’autre, levant le coutelas en l’air, il allait lui abattre la tête. La pauvre femme, se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir.
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« Non, non, dit-il, recommande-toi bien à Dieu » ; et, levant son bras…
 
« Non, non, dit-il, recommande-toi bien à Dieu » ; et, levant son bras…
  

Version du 9 janvier 2012 à 15:20

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