Dit des perdrix (le)

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Elle se plante dans la rue afin de guetter son mari, et ne le voit pas revenir, elle sent frétiller sa langue, songeant à la perdrix qui reste ; elle deviendra enragée si elle ne peut en avoir ne serait-ce qu'un petit bout. Détachant le cou doucement, elle le mange avec délice ; elle s'en pourlèche les doigts.
 
Elle se plante dans la rue afin de guetter son mari, et ne le voit pas revenir, elle sent frétiller sa langue, songeant à la perdrix qui reste ; elle deviendra enragée si elle ne peut en avoir ne serait-ce qu'un petit bout. Détachant le cou doucement, elle le mange avec délice ; elle s'en pourlèche les doigts.
  
« Hélas ! dit-elle, que ferais-je ? Que dire, si je mange tout ? Mais pourrais-je laisser le reste ? J'en ai une si grande envie ! Ma foi, advienne que pourra, il faut que je la mange toute. » L'attente dure si longtemps que la dame se rassasie. Mais voici venir le vilain ; il pousse la porte et s écrie :
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« Hélas ! dit-elle, que ferais-je ? Que dire, si je mange tout ? Mais pourrais-je laisser le reste ? J'en ai une si grande envie ! Ma foi, advienne que pourra, il faut que je la mange toute. » L'attente dure si longtemps que la dame se rassasie. Mais voici venir le vilain ; il pousse la porte et s'écrie :<br/>
 
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« Dis, les perdrix sont-elles cuites ?<br/>
« Dis, les perdrix sont-elles cuites ?
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— Sire, fait-elle, tout va mal, car les chats me les ont mangées. »
 
— Sire, fait-elle, tout va mal, car les chats me les ont mangées. »
  
A ces mots, le vilain bondit et court sur elle comme un fou. Il lui eut arraché les yeux, quand elle crie:
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A ces mots, le vilain bondit et court sur elle comme un fou. Il lui eut arraché les yeux, quand elle crie:<br/>
 
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« C'était pour rire. Arrière, suppôt de Satan ! Je les tiens au chaud, bien couvertes.<br/>
« C'était pour rire. Arrière, suppôt de Satan ! Je les tiens au chaud, bien couvertes.
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— J'aurais chanté de belles laudes, foi que je dois à saint Lazare. Vite, mon bon hanap de bois et ma plus belle nappe blanche ! Je vais l'étendre sur ma chape sous cette treille, dans le pré.<br/>
 
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— Mais prenez donc votre couteau; il a besoin d'être affûté, faites-le couper un peu sur cette pierre, dans la cour. »<br/>
— J'aurais chanté de belles laudes, foi que je dois à saint Lazare. Vite, mon bon hanap de bois et ma plus belle nappe blanche ! Je vais l'étendre sur ma chape sous cette treille, dans le pré.
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— Mais prenez donc votre couteau; il a besoin d'être affûté, faites-le couper un peu sur cette pierre, dans la cour. »
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L'homme jette sa cape et court, son couteau tout nu dans la main.
 
L'homme jette sa cape et court, son couteau tout nu dans la main.
  
Mais arrive le chapelain, qui pensait manger avec eux ; il va tout droit trouver la dame et l'embrasse très doucement, mais elle se borne à répondre :
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Mais arrive le chapelain, qui pensait manger avec eux ; il va tout droit trouver la dame et l'embrasse très doucement, mais elle se borne à répondre :<br/>
 
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« Sire, au plus tôt fuyez, fuyez ! Je ne veux pas vous voir honni, ni voir votre corps mutilé. Mon mari est allé dehors pour aiguiser son grand couteau ; il prétend qu'il veut vous couper les couilles s'il peut vous tenir.<br/>
« Sire, au plus tôt fuyez, fuyez ! Je ne veux pas vous voir honni, ni voir votre corps mutilé. Mon mari est allé dehors pour aiguiser son grand couteau ; il prétend qu'il veut vous couper les couilles s'il peut vous tenir.
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— Ah ! puisses-tu songer à Dieu ! fait le prêtre, que dis-tu là ? Nous devions manger deux perdrix que ton mari a pris ce matin.<br/>
 
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— Hélas ! ici, par Saint Martin, il n'y a perdrix ni oiseau. Ce serait un bien bon repas ; votre malheur me ferait peine. Mais regardez-le donc là-bas comme il affûte son couteau !<br/>
— Ah ! puisses-tu songer à Dieu ! fait le prêtre, que dis-tu là ? Nous devions manger deux perdrix que ton mari a pris ce matin.
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— Hélas ! ici, par Saint Martin, il n'y a perdrix ni oiseau. Ce serait un bien bon repas ; votre malheur me ferait peine. Mais regardez-le donc là-bas comme il affûte son couteau !
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— Je le vois, dit-il, par mon chef. Tu dis, je crois la vérité. »
 
— Je le vois, dit-il, par mon chef. Tu dis, je crois la vérité. »
  
Et le prêtre, sans s'attarder, s'enfuit le plus vite qu'il peut. Au même instant, elle s'écrie :
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Et le prêtre, sans s'attarder, s'enfuit le plus vite qu'il peut. Au même instant, elle s'écrie :<br/>
 
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« Venez vite, sire Gombaut.<br/>
« Venez vite, sire Gombaut.
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— qu'as-tu ? dit-il, que Dieu te garde.<br/>
 
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— qu'as-tu ? dit-il, que Dieu te garde.
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— Ce que j'ai ? Tu vas le savoir. Si vous ne pouvez courir vite, vous allez y perdre, je crois ; car par la foi que je vous dois, le prêtre emporte vos perdrix ! »
 
— Ce que j'ai ? Tu vas le savoir. Si vous ne pouvez courir vite, vous allez y perdre, je crois ; car par la foi que je vous dois, le prêtre emporte vos perdrix ! »
  
Pris de colère, le bonhomme, gardant son couteau à la main, veut rattraper le chapelain. En l'apercevant, il lui crie :
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Pris de colère, le bonhomme, gardant son couteau à la main, veut rattraper le chapelain. En l'apercevant, il lui crie :<br/>
 
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« Vous ne les emporterez pas ! Vous les emportez toutes chaudes ! Si j arrive à vous rattraper, il vous faudra bien les laisser. Vous seriez mauvais camarade en voulant les manger sans moi. »
 
« Vous ne les emporterez pas ! Vous les emportez toutes chaudes ! Si j arrive à vous rattraper, il vous faudra bien les laisser. Vous seriez mauvais camarade en voulant les manger sans moi. »
  
 
Et regardant derrière lui, le chapelain voit le vilain qui accourt, le couteau en main. Il se croit mort, s'il est atteint ; il ne fait pas semblant de fuir, et l'autre pense qu'à la course il pourra reprendre son bien. Mais le prêtre, le devançant, vient s'enfermer dans sa maison.
 
Et regardant derrière lui, le chapelain voit le vilain qui accourt, le couteau en main. Il se croit mort, s'il est atteint ; il ne fait pas semblant de fuir, et l'autre pense qu'à la course il pourra reprendre son bien. Mais le prêtre, le devançant, vient s'enfermer dans sa maison.
  
Le vilain s'en retourne chez lui et interroge sa femme : « Allons ! fait-il, il faut me dire comment il t'a pris les perdrix. » Elle lui répond :
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Le vilain s'en retourne chez lui et interroge sa femme : « Allons ! fait-il, il faut me dire comment il t'a pris les perdrix. » Elle lui répond :<br/>
 
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« Que Dieu m' aide ! Sitôt que le prêtre me vit, il me pria, si je l'aimais, de lui montrer les deux perdrix : il aurait plaisir à les voir. Et je le conduisis tout droit là où je les tenais couvertes. Il ouvrit aussitôt les mains, il les saisit et s'échappa. Je ne pouvais pas le poursuivre, mais je vous ai vite averti. »<br/>
« Que Dieu m' aide ! Sitôt que le prêtre me vit, il me pria, si je l'aimais, de lui montrer les deux perdrix : il aurait plaisir à les voir. Et je le conduisis tout droit là où je les tenais couvertes. Il ouvrit aussitôt les mains, il les saisit et s'échappa. Je ne pouvais pas le poursuivre, mais je vous ai vite averti. »
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Il répond : « C'est peut-être vrai; laissons donc le prêtre où il est. »
 
Il répond : « C'est peut-être vrai; laissons donc le prêtre où il est. »
  

Version du 5 janvier 2012 à 12:58

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