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Histoire de la femme qui aimait le beurre
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Ce conte écrit par Émile Blémont est paru dans la ''Revue des Traditions Populaires'', A1 T1 N7 page 192. ==Avertissement de l'éditeur== Nous nous proposons d'offrir de temps à autre à nos lecteurs des contes, populaires seulement d'origine, et dûs à la plume d'écrivains exercés, parmi lesquels nous pouvons citer MM.Paul Arène, Emile Pouvillon, Ch. Frémine, Emile Blémont, Ch. Lancelin, Léser, etc. C'est là encore du Folk-lore, parfois du meilleur. Le propre du thème populaire est, en effet, de varier sans cesse. S'il est curieux d'observer les déformations qu'il.subit dans le cerveau d'un illettré, il ne l'est pas moins de voir ce que ce môme thème est devenu entre les mains d'un artiste ou d'un poète. Seulement, il faut avertir. C'est ce qu'on a parfois négligé de faire, témoin les controverses auxquelles ont donné lieu les contes de Ch. Deulin, fort intéressants mais évidemment arrangés et composés de pièces et de morceaux. ==Texte intégral== A Gabriel Vicaire. Connaissez-vous l'histoire de la femme qui aimait le beurre ? C'est un conte de nourrices, mais non point de nourrices françaises, ni même européennes. Il est éclos, il y a bien des siècles probablement, en plein centre de l'Asie. Il fait partie de la curieuse Odyssée du Khan marchant bel et bien, le héros du royaume de Magudha. On serait tenté d'y voir, cependant, une allégorie transparente, se rapportant à notre propre civilisation et à notre propre histoire. Je le résume en quelques lignes. La femme qui aimait le beurre avait un mari qui aimait la viande. Ils vivaient au nord de l'Inde, dans le voisinage d'une ville appelée Taban-Minggan. Ils n'avaient point d'enfants, et pour tout bien possédaient neuf vaches. L'homme tuait régulièrement tous les veaux dès leur naissance ; et il les dévorait, tandis que sa femme battait le beurre. Un beau jour, les veaux vinrent à manquer. Après quelques hésitations l'homme Carnivore, conseillé par son féroce appétit, se mit dans la tête d'abattre une des neuf vaches nourricières. — Bah! se dit-il, qu'elles soient huit ou neuf, ça n'a pas la moindre importance. Il en tua une et la mangea. La digestion faite, il réfléchit. — Bah ! se dit-il de nouveau, quand elles ne seraient que sept au lieu d'être huit, il n'y aurait pas grand mal à ça. Et ainsi de suite, il les avala toutes, jusqu'à ce qu'il n'en restât plus qu'une. Celle-ci, la femme qui aimait le beurre, la défendit comme la prunelle de ses yeux. Le jour, elle ne la perdait pas de vue ; la nuit,elle couchait auprès de la bête. Malheureusement elle avait le sommeil dur, et un matin elle retrouva la bête en morceaux. Elle se mit à pleurer et dit : — Comment ferai-je mon beurre maintenant! Hélas! hélas! je vais mourir de faim. Puis elle se mit en colère, fut battue et se sauva. Et comme elle se sauvait, son mari coupa un des pis de la vache tuée et le jeta après elle. Elle s'en saisit machinalement, et se réfugia, éplorée, dans les montagnes. Elle s'arrêta sous une hutte abandonnée, et là, tombant à genoux, implora avec ferveur les Trois précieux Trésors du monde et le Maître de la terre et des cieux. Or, en se relevant, elle laissa tomber le pis de sa dernière vache, lequel se ficha en terre et devint une source jaillissante de beau lait d'un blanc bleuâtre. Elle en fit d'excellent beurre. Au bout de quelques jours, elle pensa à son mari. — Le pauvre homme, il doit mourir de faim! Cédant à son coeur généreux, elle prit un panier de provisions, retourna vers leur maison, monta sur le toit et regarda par le trou de la cheminée. Il était assis à sa place habituelle, n'ayant pour nourriture qu'un petit paquet de cendres qu'il divisait avec une petite cuillère. Et il murmurait : — Voici tout ce qui me reste pour aujourd'hui, et voilà tout ce qui me reste pour demain. Elle laissa tomber le panier de provisions et reprit le chemin des montagnes. — Qui, diable! peut m'avoir envoyé ce panier? pensa l'homme. Ce ne peut être que ma bonne femme. Elle aura compris que je n'avais plus rien à me mettre sous la dent. Et comme elle revenait chaque nuit lui jeter de quoi vivre, il suivit une fois ses pas sur la neige, découvrit sa retraite, y pénétra en son absence, aperçut le pis de vache, ne put résister à la tentation, le coupa, le mangea, et emporta chez lui tout ce qu'il trouva là de provisions. La pauvre femme, voyant que son asile avait été découvert et pillé, dût quérir ailleurs sa subsistance. Elle traversa les montagnes, arriva dans une grande prairie arrosée de ruisseaux, où des troupeaux de moutons paissaient l'herbe. Elle put y traire les brebis, et fit du beurre tant qu'elle voulut. Au bout de quelques jours, le souvenir de son mari lui revint de nouveau, et, de nouveau elle retourna, malgré la distance, lui porter des aliments. De nouveau aussi, il découvrit son asile ; il y tua tout, y mangea tout. La malheureuse femme fut obligée d'aller encore une fois à la découverte. Chemin faisant, elle fut surprise par un terrible orage. Elle s'abrita dans une caverne formée par des rochers, et s'y endormit sur de la paille qui se trouvait là. Mais cette caverne servait d'habitation à une troupe de lions, de tigres, d'ours, et autres animaux sauvages, qui avaient un lièvre pour domestique. Le soir, ils rentrèrent tous au logis et se couchèrent sans voir la bonne femme. Seulement, pendant la nuit, elle remua; une paille piqua le nez du lièvre, et le lièvre dit au tigre, son voisin : — Qu'est-ce que ça signifie? A l'aube ils cherchèrent, et ils trouvèrent la voyageuse. Ils lui reprochèrent vertement d'être entrée sans leur permission. Ils voulurent l'étrangler. Le lièvre prit sa défense : — Les femmes, allégua-t-il, sont de vigilants et fidèles animaux ; donnez-moi celle-ci, pour m'aider à faire le ménage et la cuisine. Ils la donnèrent au lièvre; elle l'aida à faire la cuisine et le ménage; et les bêtes sauvages ne la laissèrent manquer de rien. Encore une fois elle songea à son homme; et, ne pouvant se résigner à lui savoir le ventre creux, elle alla encore une fois lui porter à manger. C'était du bon gibier, pour le coup, qu'elle lui portait. Et, naturellement, une fois encore l'homme la suivit et découvrit son asile. N'y voyant personne et n'y trouvant rien à dévorer, il attendit. Elle fut effrayée, à son retour, de le trouver là. — Les bêtes vont te déchirer! s'écria-t-elle. Il n'en voulut rien croire. — Puisqu'elles t'entretiennent, elles m'entretiendront bien pardessus le marché. Ne pouvant le faire partir, elle le cacha près d'elle dans la paille. A la nuit, les animaux revinrent à la maison. — Oh! dit le lièvre, je flaire ici quelque intrus. Le tigre répondit : — Demain, nous verrons. Au petit jour ils cherchèrent, et ils trouvèrent l'homme dans la paille. Ils furent extrêmement courroucés. Le lièvre eut alors beau faire et beau dire ; on ne l'écouta pas. — Une première créature en a amené chez nous une seconde, observa l'ours; les deux en feraient bientôt venir quatre; les quatre, seize ; à la fin, nous ne serions plus en nombre ni en force. Convaincues par ce raisonnement, les bêtes se jetèrent sur la femme et sur l'homme, et les mirent tous deux en lambeaux. [[Catégorie: Revue des Traditions Populaires, année 1886]] [[Catégorie: Conte de sagesse]] [[Catégorie: Emile Blémont]]
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