Histoire de la femme qui aimait le beurre

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HISTOIRE DE LA FEMME QUI AIMAIT LE BEURRE (1)
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Ce conte écrit par Émile Blémont est paru dans la ''Revue des Traditions Populaires'', A1 T1 N7 page 192.
  
Revue des Traditions Populaires 1886 07 25 A1 T1 N7 page 192
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==Avertissement de l'éditeur==
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Nous nous proposons d'offrir de temps à autre à nos lecteurs des contes, populaires seulement d'origine, et dûs à la plume d'écrivains exercés, parmi lesquels nous pouvons citer MM.Paul Arène, Emile Pouvillon, Ch. Frémine, Emile Blémont, Ch. Lancelin, Léser, etc. C'est là encore du Folk-lore, parfois du meilleur. Le propre du thème populaire est, en effet, de varier sans cesse.
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S'il est curieux d'observer les déformations qu'il.subit dans le cerveau d'un illettré, il ne l'est pas moins de voir ce que ce môme thème est devenu entre les mains d'un artiste ou d'un poète. Seulement, il faut avertir. C'est ce qu'on a parfois négligé de faire, témoin les controverses auxquelles ont donné lieu les contes de Ch. Deulin, fort intéressants mais évidemment arrangés et composés de pièces et de morceaux.
  
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==Texte intégral==
 
A Gabriel Vicaire.
 
A Gabriel Vicaire.
Connaissez-vous l'histoire de la. Femme qui aimait le beurre ?
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Connaissez-vous l'histoire de la femme qui aimait le beurre ?
 
C'est un conte de nourrices, mais non point de nourrices françaises, ni même européennes. Il est éclos, il y a bien des siècles probablement, en plein centre de l'Asie. Il fait partie de la curieuse Odyssée du Khan marchant bel et bien, le héros du royaume de Magudha. On serait tenté d'y voir, cependant, une allégorie transparente, se rapportant à notre propre civilisation et à notre propre histoire. Je le résume en quelques lignes.
 
C'est un conte de nourrices, mais non point de nourrices françaises, ni même européennes. Il est éclos, il y a bien des siècles probablement, en plein centre de l'Asie. Il fait partie de la curieuse Odyssée du Khan marchant bel et bien, le héros du royaume de Magudha. On serait tenté d'y voir, cependant, une allégorie transparente, se rapportant à notre propre civilisation et à notre propre histoire. Je le résume en quelques lignes.
 
La femme qui aimait le beurre avait un mari qui aimait la viande. Ils vivaient au nord de l'Inde, dans le voisinage d'une ville appelée Taban-Minggan. Ils n'avaient point d'enfants, et pour tout bien possédaient neuf vaches.
 
La femme qui aimait le beurre avait un mari qui aimait la viande. Ils vivaient au nord de l'Inde, dans le voisinage d'une ville appelée Taban-Minggan. Ils n'avaient point d'enfants, et pour tout bien possédaient neuf vaches.
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Puis elle se mit en colère, fut battue et se sauva. Et comme elle se sauvait, son mari coupa un des pis de la vache tuée et le jeta après elle. Elle s'en saisit machinalement, et se réfugia, éplorée, dans les montagnes. Elle s'arrêta sous une hutte abandonnée, et là, tombant à genoux, implora avec ferveur les Trois précieux Trésors du monde et le Maître de la terre et des cieux. Or, en se relevant, elle laissa tomber le pis de sa dernière vache, lequel se ficha en terre et devint une source jaillissante de beau lait d'un blanc bleuâtre. Elle en fit d'excellent beurre.
 
Puis elle se mit en colère, fut battue et se sauva. Et comme elle se sauvait, son mari coupa un des pis de la vache tuée et le jeta après elle. Elle s'en saisit machinalement, et se réfugia, éplorée, dans les montagnes. Elle s'arrêta sous une hutte abandonnée, et là, tombant à genoux, implora avec ferveur les Trois précieux Trésors du monde et le Maître de la terre et des cieux. Or, en se relevant, elle laissa tomber le pis de sa dernière vache, lequel se ficha en terre et devint une source jaillissante de beau lait d'un blanc bleuâtre. Elle en fit d'excellent beurre.
  
Au bout de quelques jours, elle pensa à son mari
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Au bout de quelques jours, elle pensa à son mari.
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— Le pauvre homme, il doit mourir de faim!
 
— Le pauvre homme, il doit mourir de faim!
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Cédant à son coeur généreux, elle prit un panier de provisions, retourna vers leur maison, monta sur le toit et regarda par le trou de la cheminée. Il était assis à sa place habituelle, n'ayant pour nourriture qu'un petit paquet de cendres qu'il divisait avec une petite cuillère. Et il murmurait :
 
Cédant à son coeur généreux, elle prit un panier de provisions, retourna vers leur maison, monta sur le toit et regarda par le trou de la cheminée. Il était assis à sa place habituelle, n'ayant pour nourriture qu'un petit paquet de cendres qu'il divisait avec une petite cuillère. Et il murmurait :
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— Voici tout ce qui me reste pour aujourd'hui, et voilà tout ce qui me reste pour demain.
 
— Voici tout ce qui me reste pour aujourd'hui, et voilà tout ce qui me reste pour demain.
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Elle laissa tomber le panier de provisions et reprit le chemin des montagnes.
 
Elle laissa tomber le panier de provisions et reprit le chemin des montagnes.
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— Qui, diable! peut m'avoir envoyé ce panier? pensa l'homme.
 
— Qui, diable! peut m'avoir envoyé ce panier? pensa l'homme.
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Ce ne peut être que ma bonne femme. Elle aura compris que je n'avais plus rien à me mettre sous la dent.
 
Ce ne peut être que ma bonne femme. Elle aura compris que je n'avais plus rien à me mettre sous la dent.
  
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Encore une fois elle songea à son homme; et, ne pouvant se résigner à lui savoir le ventre creux, elle alla encore une fois lui porter à manger. C'était du bon gibier, pour le coup, qu'elle lui portait. Et, naturellement, une fois encore l'homme la suivit et découvrit son asile. N'y voyant personne et n'y trouvant rien à dévorer, il attendit. Elle fut effrayée, à son retour, de le trouver là.
 
Encore une fois elle songea à son homme; et, ne pouvant se résigner à lui savoir le ventre creux, elle alla encore une fois lui porter à manger. C'était du bon gibier, pour le coup, qu'elle lui portait. Et, naturellement, une fois encore l'homme la suivit et découvrit son asile. N'y voyant personne et n'y trouvant rien à dévorer, il attendit. Elle fut effrayée, à son retour, de le trouver là.
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— Les bêtes vont te déchirer! s'écria-t-elle.
 
— Les bêtes vont te déchirer! s'écria-t-elle.
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Il n'en voulut rien croire.
 
Il n'en voulut rien croire.
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— Puisqu'elles t'entretiennent, elles m'entretiendront bien pardessus le marché.
 
— Puisqu'elles t'entretiennent, elles m'entretiendront bien pardessus le marché.
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Ne pouvant le faire partir, elle le cacha près d'elle dans la paille.
 
Ne pouvant le faire partir, elle le cacha près d'elle dans la paille.
 
A la nuit, les animaux revinrent à la maison.
 
A la nuit, les animaux revinrent à la maison.
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— Oh! dit le lièvre, je flaire ici quelque intrus.
 
— Oh! dit le lièvre, je flaire ici quelque intrus.
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Le tigre répondit :
 
Le tigre répondit :
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— Demain, nous verrons.
 
— Demain, nous verrons.
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Au petit jour ils cherchèrent, et ils trouvèrent l'homme dans la paille. Ils furent extrêmement courroucés. Le lièvre eut alors beau faire et beau dire ; on ne l'écouta pas.
 
Au petit jour ils cherchèrent, et ils trouvèrent l'homme dans la paille. Ils furent extrêmement courroucés. Le lièvre eut alors beau faire et beau dire ; on ne l'écouta pas.
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— Une première créature en a amené chez nous une seconde, observa l'ours; les deux en feraient bientôt venir quatre; les quatre, seize ; à la fin, nous ne serions plus en nombre ni en force.
 
— Une première créature en a amené chez nous une seconde, observa l'ours; les deux en feraient bientôt venir quatre; les quatre, seize ; à la fin, nous ne serions plus en nombre ni en force.
Convaincues par ce raisonnement, les bêtes se jetèrent sur la femme et sur l'homme, et les mirent tous deux en lambeaux.
 
 
EMILE BLÉMONT
 
 
 
(1) Nous nous proposons d'offrir de temps à autre à nos lecteurs des contes, populaires seulement d'origine, et dûs à la plume d'écrivains exercés, parmi lesquels nous pouvons citer MM.Paul Arène, Emile Pouvillon, Ch. Frémine, Emile Blémont, Ch. Lancelin, Léser, etc. C'est là encore du Folk-lore, parfois du meilleur. Le propre du thème populaire est, en effet, de varier sans cesse.
 
S'il est curieux d'observer les déformations qu'il.subit dans le cerveau d'un illettré, il ne l'est pas moins de voir ce que ce môme thème est devenu entre les mains d'un artiste ou d'un poète. Seulement, il faut avertir. C'est ce qu'on a parfois négligé de faire, témoin les controverses auxquelles ont donné lieu les contes de Ch. Deulin, fort intéressants mais évidemment arrangés et composés de pièces et de morceaux.
 
 
 
  
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Convaincues par ce raisonnement, les bêtes se jetèrent sur la femme et sur l'homme, et les mirent tous deux en lambeaux.
 
[[Catégorie: Revue des Traditions Populaires, année 1886]]
 
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[[Catégorie: Conte de sagesse]]
 
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[[Catégorie: Emile Blémont]]
 
[[Catégorie: Emile Blémont]]

Version actuelle en date du 12 janvier 2012 à 10:45

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