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Marquise de Salusses ou la patience de Griselidis
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==Texte intégral== :Au pied des célèbres montagnes :Où le Pô s'échappant de dessous ses roseaux, :Va dans le sein des prochaines campagnes :Promener ses naissantes eaux, :Vivait un jeune et vaillant Prince, :Les délices de sa Province: :Le ciel, en le formant, sur lui tout à la fois :Versa ce qu'il a de plus rare, :Ce qu'entre ses amis d'ordinaire il sépare, :Et qu'il ne donne qu'aux grands Rois. :Comblé de tous les dons et du corps et de l'âme, :Il fut robuste, adroit, propre au métier de Mars, :Et par l'instinct secret d'une divine flamme, :Avec ardeur il aima les beaux Arts. :Il aima les combats, il aima la victoire, :Les grands projets, les actes valeureux, :Et tout ce qui fait vivre un beau nom dans l'histoire; :Mais son cœur tendre et généreux :Fut encor plus sensible à la solide gloire :De rendre ses Peuples heureux. :Ce tempérament héroïque :Fut obscurci d'une sombre vapeur :Qui, chagrine et mélancolique, :Lui faisait voir dans le fond de son cœur :Tout le beau sexe infidèle et trompeur: :Dans la femme où brillait le plus rare mérite, :Il voyait une âme hypocrite, :Un esprit d'orgueil enivré, :Un cruel ennemi qui sans cesse n'aspire :Qu'à prendre un souverain empire :Sur l'homme malheureux qui lui sera livré. :Le fréquent usage du monde, :Où l'on ne voit qu'Époux subjugués ou trahis, :Joint à l'air jaloux du Pays, :Accrut encor cette haine profonde. :Il jura donc plus d'une fois :Que quand même le Ciel pour lui plein de tendresse :Formerait une autre Lucrèce, :Jamais de l'hyménée il ne suivrait les lois. :Ainsi, quand le matin, qu'il donnait aux affaires, :Il avait réglé sagement :Toutes les choses nécessaires :Au bonheur du gouvernement, :Que du faible orphelin, de la veuve oppressée, :Il avait conservé les droits, :Ou banni quelque impôt qu'une guerre forcée :Avait introduit autrefois, :L'autre moitié de la journée :À la chasse était destinée, :Où les Sangliers et les Ours, :Malgré leur fureur et leurs armes :Lui donnaient encor moins d'alarmes :Que le sexe charmant qu'il évitait toujours. :Cependant ses sujets que leur intérêt presse :De s'assurer d'un successeur :Qui les gouverne un jour avec même douceur, :À leur donner un fils le conviaient sans cesse. :Un jour dans le Palais ils vinrent tous en corps :Pour faire leurs derniers efforts; :Un Orateur d'une grave apparence, :Et le meilleur qui fût alors, :Dit tout ce qu'on peut dire en pareille occurrence. :Il marqua leur désir pressant :De voir sortir du Prince une heureuse lignée :Qui rendît à jamais leur État florissant; :Il lui dit même en finissant :Qu'il voyait un Astre naissant :Issu de son chaste hyménée :Qui faisait pâlir le Croissant. :D'un ton plus simple et d'une voix moins forte, :Le Prince à ses sujets répondit de la sorte: :Le zèle ardent, dont je vois qu'en ce jour :Vous me portez aux nœuds du mariage, :Me fait plaisir et m'est de votre amour :Un agréable témoignage; :J'en suis sensiblement touché, :Et voudrais dès demain pouvoir vous satisfaire: :Mais à mon sens l'hymen est une affaire :Où plus l'homme est prudent, plus il est empêché. :Observez bien toutes les jeunes filles; :Tant qu'elles sont au sein de leurs familles, :Ce n'est que vertu, que bonté, :Que pudeur que sincérité, :Mais sitôt que le mariage :Au déguisement a mis fin :Et qu'ayant fixé leur destin :Il n'importe plus d'être sage, :Elles quittent leur personnage, :Non sans avoir beaucoup pâti, :Et chacune dans son ménage :Selon son gré prend son parti. :L'une d'humeur chagrine, et que rien ne récrée, :Devient une Dévote outrée, :Qui crie et gronde à tous moments; :L'autre se façonne en Coquette :Qui sans cesse écoute ou caquette, :Et n'a jamais assez d'Amants; :Celle-ci des beaux Arts follement curieuse, :De tout décide avec hauteur :Et critiquant le plus habile Auteur :Prend la forme de Précieuse; :Cette autre s'érige en Joueuse, :Perd tout, argent, bijoux, bagues, meubles de prix, :Et même jusqu'à ses habits. :Dans la diversité des routes qu'elles tiennent, :Il n'est qu'une chose où je vois :Qu'enfin toutes elles conviennent, :C'est de vouloir donner la loi. :Or je suis convaincu que dans le mariage :On ne peut jamais vivre heureux, :Quand on y commande tous deux; :Si donc vous souhaitez qu'à l'hymen je m'engage, :Cherchez une jeune beauté :Sans orgueil et sans vanité, :D'une obéissance achevée, :D'une patience éprouvée, :Et qui n'ait point de volonté, :Je la prendrai quand vous l'aurez trouvée. :Le Prince ayant mis fin à ce discours moral, :Monte brusquement à cheval, :Et court joindre à perte d'haleine :Sa meute qui l'attend au milieu de la plaine. :Après avoir passé des prés et des guérets, :Il trouve ses Chasseurs couchés sur l'herbe verte; :Tous se lèvent et tous alertes :Vont trembler de leurs cors les hôtes des forêts. :Des chiens courants l'aboyante famille, :Deçà, delà, parmi le chaume brille, :Et les limiers à l'œil ardent :Qui du fort de la Bête à leur poste reviennent, :Entraînent en les regardant :Les forts valets qui les retiennent. :S'étant instruit par un des siens :Si tout est prêt, si l'on est sur la trace, :Il ordonne aussitôt qu'on commence la chasse, :Et fait donner le Cerf aux chiens. :Le son des cors qui retentissent, :Le bruit des chevaux qui hennissent :Et des chiens animés les pénétrants abois, :Remplissent la forêt de tumulte et de trouble, :Et pendant que l'écho sans cesse les redouble, :S'enfoncent avec eux dans les plus creux du bois. :Le Prince, par hasard ou par sa destinée, :Prit une route détournée :Où nul des Chasseurs ne le suit; :Plus il court, plus il s'en sépare: :Enfin à tel point il s'égare :Que des chiens et des cors il n'entend plus le bruit. :L'endroit où le mena sa bizarre aventure, :Clair de ruisseaux et sombre de verdure, :Saisissait les esprits d'une secrète horreur; :La simple et naïve Nature :S'y faisait voir et si belle et si pure, :Que mille fois il bénit son erreur :Rempli des douces rêveries :Qu'inspirent les grands bois, les eaux et les prairies, :Il sent soudain frapper et son cœur et ses yeux :Par l'objet le plus agréable, :Le plus doux et le plus aimable :Qu'il eût jamais vu sous les Cieux. :C'était une jeune Bergère :Qui filait aux bords d'un ruisseau, :Et qui conduisant son troupeau, :D'une main sage et ménagère :Tournait son agile fuseau. :Elle aurait pu dompter les cœurs les plus sauvages; :Des lys, son teint a la blancheur :Et sa naturelle fraîcheur :S'était toujours sauvée à l'ombre des bocages: :Sa bouche, de l'enfance avait tout l'agrément, :Et ses yeux qu'adoucit une brune paupière, :Plus bleus que n'est le firmament, :Avaient aussi plus de lumière. :Le Prince, avec transport, dans le bois se glissant, :Contemple les beautés dont son âme est émue, :Mais le bruit qu'il fait en passant :De la Belle sur lui fit détourner la vue; :Dès qu'elle se vit aperçue, :D'un brillant incarnat la prompte et vive ardeur :De son beau teint redoubla la splendeur, :Et sur son visage épandue, :Y fit triompher la pudeur. :Sous le voile innocent de cette honte aimable, :Le Prince découvrit une simplicité, :Une douceur, une sincérité, :Dont il croyait le beau sexe incapable, :Et qu'il voit là dans toute leur beauté. :Saisi d'une frayeur pour lui toute nouvelle, :Il s'approche interdit, et plus timide qu'elle, :Lui dit d'une tremblante voix, :Que de tous ses veneurs il a perdu la trace, :Et lui demande si la chasse :N'a point passé quelque part dans le bois. :Rien n'a paru, Seigneur dans cette solitude, :Dit-elle, et nul ici que vous seul n'est venu; :Mais n'ayez point d'inquiétude, :Je remettrai vos pas sur un chemin connu. :De mon heureuse destinée :Je ne puis, lui dit-il, trop rendre grâce aux Dieux; :Depuis longtemps je fréquente ces lieux, :Mais j'avais ignoré jusqu'à cette journée :Ce qu'ils ont de plus précieux. :Dans ce temps elle voit que le Prince se baisse :Sur le moite bord du ruisseau, :Pour étancher dans le cours de son eau :La soif ardente qui le presse. :Seigneur, attendez un moment, :Dit-elle, et courant promptement :Vers sa cabane, elle y prend une tasse :Qu'avec joie et de bonne grâce, :Elle présente à ce nouvel Amant. :Les vases précieux de cristal et d'agate :Où l'or en mille endroits éclate, :Et qu'un Art curieux avec soin façonna, :N'eurent jamais pour lui, dans leur pompe inutile, :Tant de beauté que le vase d'argile :Que la Bergère lui donna. :Cependant pour trouver une route facile :Qui mène le Prince à la Ville, :Ils traversent des bois, des rochers escarpés :Et de torrents entrecoupés; :Le Prince n'entre point dans de route nouvelle :Sans en bien observer tous les lieux d'alentour :Et son ingénieux Amour :Qui songeait au retour :En fit une carte fidèle. :Dans un bocage sombre et frais :Enfin la Bergère le mène, :Où de dessous ses branchages épais :Il voit au loin dans le sein de la plaine :Les toits dorés de son riche Palais. :S'étant séparé de la Belle, :Touché d'une vive douleur, :À pas lents il s'éloigne d'Elle, :Chargé du trait qui lui perce le cœur; :Le souvenir de sa tendre aventure :Avec plaisir le conduisit chez lui. :Mais dès le lendemain il sentit sa blessure, :Et se vit accablé de tristesse et d'ennui. :Dès qu'il le peut il retourne à la chasse, :Où de sa suite adroitement :Il s'échappe et se débarrasse :Pour s'égarer heureusement. :Des arbres et des monts les cimes élevées, :Qu'avec grand soin il avait observées, :Et les avis secrets de son fidèle Amour, :Le guidèrent si bien que malgré les traverses :De cent routes diverses, :De sa jeune Bergère il trouva le séjour. :Il sut qu'elle n'a plus que son Père avec elle, :Que Griselidis on l'appelle, :Qu'ils vivent doucement du lait de leurs brebis, :Et que de leur toison qu'elle seule elle file, :Sans avoir recours à la ville, :Ils font eux-mêmes leurs habits. :Plus il la voit, plus il s'enflamme :Des vives beautés de son âme :Il connaît en voyant tant de dons précieux, :Que si la Bergère est si belle, :C'est qu'une légère étincelle :De l'esprit qui l'anime a passé dans ses yeux. :Il ressent une joie extrême :D'avoir si bien placé ses premières amours; :Ainsi sans plus tarder il fit dès le jour même :Assembler son Conseil et lui tint ce discours :Enfin aux Lois de l'Hyménée :Suivant vos vœux je me vais engager; :Je ne prends point ma femme en Pays étranger, :Je la prends parmi vous, belle, sage, bien née, :Ainsi que mes aïeux ont fait plus d'une fois. :Mais j'attendrai cette grande journée :A vous informer de mon choix. :Dès que la nouvelle fut sue, :Partout elle fut répandue. :On ne peut dire avec combien d'ardeur :L'allégresse publique :De tous côtés s'explique; :Le plus content fut l'Orateur, :Qui par son discours pathétique :Croyait d'un si grand bien être l'unique Auteur :Qu'il se trouvait homme de conséquence! :Rien ne peut résister à la grande éloquence, :Disait-il sans cesse en son cœur :Le plaisir fut de voir le travail inutile :Des Belles de toute la Ville :Pour s'attirer et mériter le choix :Du Prince leur Seigneur qu'un air chaste et modeste :Charmait uniquement et plus que tout le reste, :Ainsi qu'il l'avait dit cent fois. :D'habit et de maintien toutes elles changèrent, :D'un ton dévot elles toussèrent, :Elles radoucirent leurs voix, :De demi-pied les coiffures baissèrent, :La gorge se couvrit, les manches s'allongèrent, :À peine on leur voyait le petit bout des doigts. :Dans la Ville avec diligence, :Pour l'Hymen dont le jour s'avance, :On voit travailler tous les Arts: :Ici se font de magnifiques chars :D'une forme toute nouvelle, :Si beaux et si bien inventés, :Que l'or qui partout étincelle :En fait la moindre des beautés. :Là pour voir aisément et sans aucun obstacle :Toute la pompe du spectacle, :On dresse de longs échafauds, :Ici de grands Arcs triomphaux :Où du Prince guerrier se célèbre la gloire, :Et de l'Amour sur lui l'éclatante victoire. :Là, sont forgés d'un art industrieux, :Ces feux qui par les coups d'un innocent tonnerre, :En effrayant la Terre, :De mille astres nouveaux embellissent les Cieux. :Là d'un ballet ingénieux :Se concerte avec soin l'agréable folie, :Et là d'un Opéra peuplé de mille Dieux, :Le plus beau que jamais ait produit l'Italie, :On entend répéter les airs mélodieux. :Enfin, du fameux Hyménée, :Arriva la grande journée. :Sur le fond d'un Ciel vif et pur :À peine l'Aurore vermeille :Confondait l'or avec l'azur, :Que partout en sursaut le beau sexe s'éveille; :Le Peuple curieux s'épand de tous côtés, :En différents endroits des Gardes sont postés :Pour contenir la Populace, :Et la contraindre à faire place. :Tout le Palais retentit de clairons, :De flûtes, de hautbois, de rustiques musettes, :Et l'on n'entend aux environs :Que des tambours et des trompettes. :Enfin le Prince sort entouré de sa Cour :Il s'élève un long cri de joie, :Mais on est bien surpris quand au premier détour, :De la Forêt prochaine on voit qu'il prend la voie, :Ainsi qu'il faisait chaque jour. :Voilà, dit-on, son penchant qui l'emporte, :Et de ses passions, en dépit de l'Amour, :La Chasse est toujours la plus forte. :Il traverse rapidement :Les guérets de la plaine et gagnant la montagne, :Il entre dans le bois au grand étonnement :De la Troupe qui l'accompagne. :Après avoir passé par différents détours, :Que son cœur amoureux se plaît à reconnaître, :Il trouve enfin la cabane champêtre, :Où logent ses tendres amours. :Griselidis de l'Hymen informée, :Par la voix de la Renommée, :En avait pris son bel habillement; :Et pour en aller voir la pompe magnifique, :De dessous sa case rustique :Sortait en ce même moment. :Où courez-vous si prompte et si légère? :Lui dit le Prince en l'abordant :Et tendrement la regardant; :Cessez de vous hâter trop aimable Bergère: :La noce où vous allez, et dont je suis l'Epoux, :Ne saurait se faire sans vous. :Oui, je vous aime, et je vous ai choisie :Entre mille jeunes beautés, :Pour passer avec vous le reste de ma vie, :Si toutefois mes vœux ne sont pas rejetés. :Ah! dit-elle, Seigneur je n'ai garde de croire :Que je sois destinée à ce comble de gloire; :Vous cherchez à vous divertir. :Non, non, dit-il, je suis sincère, :J'ai déjà pour moi votre Père :(Le Prince avait eu soin de l'en faire avertir). :Daignez, Bergère, y consentir, :C'est là tout ce qui reste à faire. :Mais afin qu'entre nous une solide paix :Éternellement se maintienne, :Il faudrait me jurer que vous n'aurez jamais :D'autre volonté que la mienne. :Je le jure, dit-elle, et je vous le promets; :Si j'avais épousé le moindre du Village, :J'obéirais, son joug me serait doux; :Hélas! combien donc davantage, :Si je viens à trouver en vous :Et mon Seigneur et mon Epoux. :Ainsi le Prince se déclare, :Et pendant que la Cour applaudit à son choix, :Il porte la Bergère à souffrir qu'on la pare :Des ornements qu'on donne aux Épouses des Rois. :Celles qu'à cet emploi leur devoir intéresse :Entrent dans la cabane, et là diligemment :Mettent tout leur savoir et toute leur adresse :À donner de la grâce à chaque ajustement. :Dans cette Hutte où l'on se presse :Les Dames admirent sans cesse :Avec quel art la Pauvreté :S'y cache sous la Propreté; :Et cette rustique Cabane, :Que couvre et rafraîchit un spacieux Platane, :Leur semble un séjour enchanté. :Enfin, de ce Réduit sort pompeuse et brillante :La Bergère charmante; :Ce ne sont qu'applaudissements :Sur sa beauté, sur ses habillements; :Mais sous cette pompe étrangère :Déjà plus d'une fois le Prince a regretté :Des ornements de la Bergère :L'innocente simplicité. :Sur un grand char d'or et d'ivoire, :La Bergère s'assied pleine de majesté; :Le Prince y monte avec fierté, :Et ne trouve pas moins de gloire :À se voir comme Amant assis à son côté :Qu'à marcher en triomphe après une victoire; :La Cour les suit et tous gardent leur rang :Que leur donne leur charge ou l'éclat de leur sang. :La ville dans les champs presque toute sortie :Couvrait les plaines d'alentour :Et du choix du Prince avertie, :Avec impatience attendait son retour. :Il paraît, on le joint. Parmi l'épaisse foule :Du Peuple qui se fend le char à peine roule; :Par les longs cris de joie à tout coup redoublés :Les chevaux émus et troublés :Se cabrent, trépignent, s'élancent, :Et reculent plus qu'ils n'avancent. :Dans le Temple on arrive enfin, :Et là par la chaîne éternelle :D'une promesse solennelle, :Les deux Époux unissent leur destin; :Ensuite au Palais ils se rendent, :Où mille plaisirs les attendent, :Où la Danse, les Jeux, les Courses, les Tournois, :Répandent l'allégresse en différents endroits; :Sur le soir le blond Hyménée :De ses chastes douceurs couronna la journée. :Le lendemain, les différents États :De toute la Province :Accourent haranguer la Princesse et le Prince :Par la voix de leurs Magistrats. :De ses Dames environnée, :Griselidis, sans paraître étonnée, :En Princesse les entendit, :En Princesse leur répondit. :Elle fit toute chose avec tant de prudence, :Qu'il sembla que le Ciel eût versé ses trésors :Avec encor plus d'abondance :Sur son âme que sur son corps. :Par son esprit, par ses vives lumières, :Du grand monde aussitôt elle prit les manières, :Et même dès le premier jour. :Des talents, de l'humeur des Dames de sa Cour, :Elle se fit si bien instruire, :Que son bon sens jamais embarrassé :Eut moins de peine à les conduire :Que ses brebis du temps passé. :Avant la fin de l'an, des fruits de l'Hyménée :Le Ciel bénit leur couche fortunée; :Ce ne fut pas un Prince, on l'eût bien souhaité; :Mais la jeune Princesse avait tant de beauté :Que l'on ne songea plus qu'à conserver sa vie; :Le Père qui lui trouve un air doux et charmant :La venait voir de moment en moment, :Et la Mère encor plus ravie :La regardait incessamment. :Elle voulut la nourrir elle-même: :Ah! dit-elle, comment m'exempter de l'emploi :Que ses cris demandent de moi :Sans une ingratitude extrême? :Par un motif de Nature ennemi :Pourrais-je bien vouloir de mon Enfant que j'aime :N'être la Mère qu'à demi? :Soit que le Prince eût l'âme un peu mois enflammée :Qu'aux premiers jours de son ardeur, :Soit que de sa maligne humeur :La masse se fût rallumée, :Et de son épaisse fumée :Eût obscurci ses sens et corrompu son cœur :Dans tout ce que fait la Princesse, :Il s'imagine voir peu de sincérité. :Sa trop grande vertu le blesse, :C'est un piège qu'on tend à sa crédulité; :Son esprit inquiet et de trouble agité :Croit tous les soupçons qu'il écoute, :Et prend plaisir à révoquer en doute :L'excès de sa félicité. :Pour guérir les chagrins dont son âme est atteinte, :Il la suit, il l'observe, il aime à la troubler :Par les ennuis de la contrainte, :Par les alarmes de la crainte, :Par tout ce qui peut démêler :La vérité d'avec la feinte. :C'est trop, dit-il, me laisser endormir; :Si ses vertus sont véritables, :Les traitements les plus insupportables :Ne feront que les affermir. :Dans son Palais il la tient resserrée, :Loin de tous les plaisirs qui naissent à la Cour :Et dans sa chambre, où seule elle vit retirée, :À peine il laisse entrer le jour :Persuadé que la Parure :Et le superbe Ajustement :Du sexe que pour plaire a formé la Nature :Est le plus doux enchantement :Il lui demande avec rudesse :Les perles, les rubis, les bagues, les bijoux :Qu'il lui donna pour marque de tendresse, :Lorsque de son Amant il devint son Époux. :Elle dont la vie est sans tache, :Et qui n'a jamais eu d'attache :Qu'à s'acquitter de son devoir, :Les lui donne sans s'émouvoir :Et même, le voyant se plaire à les reprendre, :N'a pas moins de joie à les rendre :Qu'elle en eut à les recevoir :Pour m'éprouver mon Époux me tourmente, :Dit-elle, et je vois bien qu'il ne me fait souffrir :Qu'afin de réveiller ma vertu languissante, :Qu'un doux et long repos pourrait faire périr. :S'il n'a pas ce dessein, du moins suis-je assurée :Que telle est du Seigneur la conduite sur moi :Et que de tant de maux l'ennuyeuse durée :N'est que pour exercer ma constance et ma foi. :Pendant que tant de malheureuses :Errent au gré de leurs désirs :Par mille routes dangereuses, :Après de faux et vains plaisirs; :Pendant que le Seigneur dans sa lente justice :Les laisse aller aux bords du précipice :Sans prendre part à leur danger, :Par un pur mouvement de sa bonté suprême, :Il me choisit comme un enfant qu'il aime, :Et s'applique à me corriger. :Aimons donc sa rigueur utilement cruelle, :On n'est heureux qu'autant qu'on a souffert, :Aimons sa bonté paternelle :Et la main dont elle se sert. :Le Prince a beau la voir obéir sans contrainte :À tous ses ordres absolus: :Je vois le fondement de cette vertu feinte, :Dit-il, et ce qui rend tous mes coups superflus, :C'est qu'ils n'ont porté leur atteinte :Qu'à des endroits où son amour n'est plus. :Dans son Enfant, dans la jeune Princesse, :Elle a mis toute sa tendresse; :À l'éprouver si je veux réussir, :C'est là qu'il faut que je m'adresse, :C'est là que je puis m'éclaircir. :Elle venait de donner la mamelle :Au tendre objet de son amour ardent, :Qui couché sur son sein se jouait avec elle, :Et riait en la regardant: :Je vois que vous l'aimez, lui dit-il, cependant :Il faut que je vous l'ôte en cet âge encor tendre, :Pour lui former les mœurs et pour la préserver :De certains mauvais airs qu'avec vous l'on peut prendre; :Mon heureux sort m'a fait trouver :Une Dame d'esprit qui saura l'élever :Dans toutes les vertus et dans la politesse :Que doit avoir une Princesse. :Disposez-vous à la quitter, :On va venir pour l'emporter. :Il la laisse à ces mots, n'ayant pas le courage, :Ni les yeux assez inhumains, :Pour voir arracher de ses mains :De leur amour l'unique gage; :Elle de mille pleurs se baigne le visage, :Et dans un morne accablement :Attend de son malheur le funeste moment. :Dès que d'une action si triste et si cruelle :Le ministre odieux à ses yeux se montra, :Il faut obéir lui dit-elle; :Puis prenant son Enfant qu'elle considéra, :Qu'elle baisa d'une ardeur maternelle, :Qui de ses petits bras tendrement la serra, :Toute en pleurs elle le livra. :Ah! que sa douleur fut amère! :Arracher l'enfant ou le cœur :Du sein d'une si tendre Mère, :C'est la même douleur :Près de la Ville était un Monastère, :Fameux par son antiquité, :Où des Vierges vivaient dans une règle austère, :Sous les yeux d'une Abbesse illustre en piété. :Ce fut là que dans le silence, :Et sans déclarer sa naissance, :On déposa l'Enfant, et des bagues de prix, :Sous l'espoir d'une récompense :Digne des soins que l'on en aurait pris. :Le Prince qui tâchait d'éloigner par la chasse :Le vif remords qui l'embarrasse :Sur l'excès de sa cruauté, :Craignait de revoir la Princesse, :Comme on craint de revoir une fière Tigresse :À qui son faon vient d'être ôté; :Cependant il en fut traité :Avec douceur avec caresse, :Et même avec cette tendresse :Qu'elle eut aux plus beaux jours de sa prospérité. :Par cette complaisance et si grande et si prompte, :Il fut touché de regret et de honte; :Mais son chagrin demeura le plus fort: :Ainsi, deux jours après, avec des larmes feintes, :Pour lui porter encor de plus vives atteintes, :Il lui vint dire que la Mort :De leur aimable Enfant avait fini le sort. :Ce coup inopiné mortellement la blesse, :Cependant malgré sa tristesse, :Ayant vu son Époux qui changeait de couleur :Elle parut oublier son malheur :Et n'avoir même de tendresse :Que pour le consoler de sa fausse douleur :Cette bonté, cette ardeur sans égale :D'amitié conjugale, :Du Prince tout à coup désarmant la rigueur :Le touche, le pénètre et lui change le cœur :Jusque-là qu'il lui prend envie :De déclarer que leur Enfant :Jouit encore de la vie; :Mais sa bile s'élève et fière lui défend :De rien découvrir du mystère :Qu'il peut être utile de taire. :Dès ce bienheureux jour telle des deux Époux :Fut la mutuelle tendresse, :Qu'elle n'est point plus vive aux moments les plus doux :Entre l'Amant et la Maîtresse. :Quinze fois le Soleil, pour former les saisons, :Habita tour à tour dans ses douze maisons, :Sans rien voir qui les désunisse; :Que si quelquefois par caprice :Il prend plaisir à la fâcher :C'est seulement pour empêcher :Que l'amour ne se ralentisse, :Tel que le Forgeron qui pressant son labeur :Répand un peu d'eau sur la braise :De sa languissante fournaise :Pour en redoubler la chaleur :Cependant la jeune Princesse :Croissait en esprit et en sagesse; :À la douceur à la naïveté :Qu'elle tenait de son aimable Mère, :Elle joignit de son illustre Père :L'agréable et noble fierté; :L'amas de ce qui plaît dans chaque caractère :Fit une parfaite beauté. :Partout comme un Astre elle brille; :Et par hasard un Seigneur de la Cour :Jeune, bien fait et plus beau que le jour :L'ayant vu paraître à la grille, :Conçut pour elle un violent amour. :Par l'instinct qu'au beau sexe a donné la Nature, :Et que toutes les beautés ont :De voir l'invisible blessure :Que font leurs yeux, au moment qu'ils la font, :La Princesse fut informée :Qu'elle était tendrement aimée. :Après avoir quelque temps résisté :Comme on le doit avant que de se rendre, :D'un amour également tendre :Elle l'aima de son côté. :Dans cet Amant, rien n'était à reprendre, :Il était beau, vaillant, né d'illustres aïeux :Et dès longtemps pour en faire son Gendre. :Sur lui le Prince avait jeté les yeux. :Ainsi donc avec joie il apprit la nouvelle :De l'ardeur tendre et mutuelle :Dont brûlaient ces jeunes Amants; :Mais il lui prit une bizarre envie :De leur faire acheter par de cruels tourments :Le plus grand bonheur de leur vie. :Je me plairai, dit-il, à les rendre contents; :Mais il faut que l'Inquiétude, :Par tout ce qu'elle a de plus rude, :Rende encor leurs feux plus constants; :De mon Épouse en même temps :J'exercerai la patience, :Non point, comme jusqu'à ce jour, :Pour assurer ma folle défiance, :Je ne dois plus douter de son amour; :Mais pour faire éclater aux yeux de tout le Monde :Sa Bonté, sa Douceur sa Sagesse profonde, :Afin que de ces dons si grands, si précieux, :La Terre se voyant parée, :En soit de respect pénétrée, :Et par reconnaissance en rende grâce aux Cieux. :Il déclare en public que manquant de lignée, :En qui l'État un jour retrouve son Seigneur, :Que la fille qu'il eut de son fol hyménée :Étant morte aussitôt que née, :Il doit ailleurs chercher plus de bonheur; :Que l'Épouse qu'il prend est d'illustre naissance, :Qu'en un Couvent on l'a jusqu'à ce jour :Fait élever dans l'innocence, :Et qu'il va par l'hymen couronner son amour. :On peut juger à quel point fut cruelle :Aux deux jeunes Amants cette affreuse nouvelle; :Ensuite, sans marquer ni chagrin, ni douleur, :Il avertit son Épouse fidèle :Qu'il faut qu'il se sépare d'elle :Pour éviter un extrême malheur; :Que le Peuple indigné de sa basse naissance :Le force à prendre ailleurs une digne alliance. :Il faut, dit-il, vous retirer :Sous votre toit de chaume et de fougère :Après avoir repris vos habits de Bergère :Que je vous ai fait préparer :Avec une tranquille et muette constance, :La Princesse entendit prononcer sa sentence; :Sous les dehors d'un visage serein :Elle dévorait son chagrin, :Et sans que la douleur diminuât ses charmes, :De ses beaux yeux tombaient de grosses larmes, :Ainsi que quelquefois au retour du Printemps, :Il fait Soleil et pleut en même temps. :Vous êtes mon Époux, mon Seigneur et mon Maître :(Dit-elle en soupirant, prête à s'évanouir), :Et quelque affreux que soit ce que je viens d'ouïr :Je saurai vous faire connaître :Que rien ne m'est si cher que de vous obéir :Dans sa chambre aussitôt seule elle se retire, :Et là se dépouillant de ses riches habits, :Elle reprend paisible et sans rien dire, :Pendant que son cœur en soupire, :Ceux qu'elle avait en gardant ses brebis. :En cet humble et simple équipage, :Elle aborde le Prince et lui tient ce langage: :Je ne puis m'éloigner de vous :Sans le pardon d'avoir su vous déplaire; :Je puis souffrir le poids de ma misère, :Mais je ne puis, Seigneur, souffrir votre courroux; :Accordez cette grâce à mon regret sincère, :Et je vivrai contente en mon triste séjour :Sans que jamais le Temps altère :Ni mon humble respect, ni mon fidèle amour. :Tant de soumission et tant de grandeur d'âme :Sous un si vil habillement, :Qui dans le cœur du Prince en ce même moment :Réveilla tous les traits de sa première flamme, :Allaient casser l'arrêt de son bannissement. :Ému par de si puissants charmes, :Et prêt à répandre des larmes, :Il commençait à s'avancer :Pour l'embrasser, :Quant tout à coup l'impérieuse gloire :D'être ferme en son sentiment :Sur son amour remporta la victoire, :Et le fit en ces mots répondre durement: :De tout le temps passé j'ai perdu la mémoire, :Je suis content de votre repentir :Allez, il est temps de partir :Elle part aussitôt, et regardant son Père :Qu'on avait revêtu de son rustique habit, :Et qui, le cœur percé d'une douleur amère, :Pleurait un changement si prompt et si subit: :Retournons, lui dit-elle, en nos sombres bocages, :Retournons habiter nos demeures sauvages, :Et quittons sans regret la pompe des Palais; :Nos cabanes n'ont pas tant de magnificence, :Mais on y trouve avec plus d'innocence, :Un plus ferme repos, une plus douce paix. :Dans son désert à grand-peine arrivée, :Elle reprend et quenouille et fuseaux, :Et va filer au bord des mêmes eaux :Où le Prince l'avait trouvée. :Là son cœur tranquille et sans fiel :Cent fois le jour demande au Ciel :Qu'il comble son époux de gloire, de richesses, :Et qu'à tous ses désirs il ne refuse rien; :Un amour nourri de caresses :N'est pas plus ardent que le sien. :Ce cher Époux qu'elle regrette :Voulant encore l'éprouver :Lui fait dire dans sa retraite :Qu'elle ait à venir le trouver. :Griselidis, dit-il, dès qu'elle se présente, :Il faut que la Princesse à qui je dois demain :Dans le Temple donner la main, :De vous et de moi soit contente. :Je vous demande ici tous vos soins, et je veux :Que vous m'aidiez à plaire à l'objet de mes vœux; :Vous savez de quel air il faut que l'on me serve, :Point d'épargne, point de réserve; :Que tout sente le Prince, et le Prince amoureux. :Employez toute votre adresse :À parer son appartement, :Que l'abondance, la richesse, :La propreté, la politesse :S'y fassent voir également; :Enfin songez incessamment :Que c'est une jeune Princesse :Que j'aime tendrement. :Pour vous faire entrer davantage :Dans les soins de votre devoir, :Je veux ici vous faire voir :Celle qu'à bien servir mon ordre vous engage. :Telle qu'aux Portes du Levant :Se montre la naissante Aurore, :Telle parut en arrivant :La Princesse plus belle encore. :Griselidis à son abord :Dans le fond de son cœur sentit un doux transport :De la tendresse maternelle; :Du temps passé, de ses jours bienheureux, :Le souvenir en son cœur se rappelle. :Hélas! ma fille, en soi-même dit-elle, :Si le Ciel favorable eût écouté mes vœux, :Serait presque aussi grande, et peut-être aussi belle. :Pour la jeune Princesse en ce même moment :Elle prit un amour si vif, si véhément, :Qu'aussitôt qu'elle fut absente, :En cette sorte au Prince elle parla, :Suivant, sans le savoir, l'instinct qui s'en mêla: :Souffrez, Seigneur, que je vous représente :Que cette Princesse charmante, :Dont vous allez être l'Époux, :Dans l'aise, dans l'éclat, dans la pourpre nourrie, :Ne pourra supporter sans en perdre la vie, :Les mêmes traitements que j'ai reçus de vous. :Le besoin, ma naissance obscure, :M'avaient endurcie aux travaux. :Et je pouvais souffrir toutes sortes de maux :Sans peine et même sans murmure; :Mais elle qui jamais n'a connu la douleur :Elle mourra dès la moindre rigueur, :Dès la moindre parole un peu sèche, un peu dure. :Hélas! Seigneur je vous conjure :De la traiter avec douceur. :Songez, lui dit le Prince avec un ton sévère, :À me servir selon votre pouvoir; :Il ne faut pas qu'une simple Bergère :Fasse des leçons, et s'ingère :De m'avertir de mon devoir. :Griselidis, à ces mots, sans rien dire, :Baisse les yeux et se retire. :Cependant pour l'Hymen les Seigneurs invités, :Arrivèrent de tous côtés; :Dans une magnifique salle :Où le Prince les assembla :Avant que d'allumer la torche nuptiale, :En cette sorte il leur parla: :Rien au monde, après l'Espérance, :N'est plus trompeur que l'Apparence; :Ici l'on en peut voir un exemple éclatant. :Qui ne croirait que ma jeune Maîtresse, :Que l'Hymen va rendre Princesse, :Ne soit heureuse et n'ait le cœur content? :Il n'en est rien pourtant. :Qui pourrait s'empêcher de croire :Que ce jeune Guerrier amoureux de la gloire :N'aime à voir cet Hymen, lui qui dans les Tournois :Va sur tous ses Rivaux remporter la victoire? :Cela n'est pas vrai toutefois. :Qui ne croirait encor qu'en sa juste colère, :Griselidis ne pleure et ne se désespère? :Elle ne se plaint point, elle consent à tout, :Et rien n'à pu pousser sa patience à bout. :Qui ne croirait enfin que de ma destinée :Rien ne peut égaler la course fortunée, :En voyant les appas de l'objet de mes vœux? :Cependant si l'Hymen me liait de ses nœuds, :J'en concevrais une douleur profonde, :Et de tous les Princes du Monde :Je serais le plus malheureux. :L'Énigme vous paraît difficile à comprendre; :Deux mots vont vous la faire entendre, :Et ces deux mots feront évanouir :Tous les malheurs que vous venez d'ouïr. :Sachez, poursuivit-il, que l'aimable Personne :Que vous croyez m'avoir blessé le cœur, :Est ma Fille, et que je la donne :Pour Femme à ce jeune Seigneur :Qui l'aime d'un amour extrême :Et dont il est aimé de même. :Sachez encor que touché vivement :De la patience et du zèle :De l'Épouse sage et fidèle :Que j'ai chassée indignement, :Je la reprends, afin que je répare, :Par tout ce que l'amour peut avoir de plus doux, :Le traitement dur et barbare :Qu'elle a reçu de mon esprit jaloux. :Plus grande sera mon étude :À prévenir tous ses désirs, :Qu'elle ne fut dans mon inquiétude :À l'accabler de déplaisirs; :Et si dans tous les temps doit vivre la mémoire :Des ennuis dont son cœur ne fut point abattu, :Je veux que plus encore on parle de la gloire :Dont j'aurai couronné sa suprême vertu. :Comme quand un épais nuage :A le jour obscurci, :Et que le Ciel de toutes parts noirci, :Menace d'un affreux orage; :Si de ce voile obscur par les vents écarté :Un brillant rayon de clarté :Se répand sur le paysage, :Tout rit et reprend sa beauté; :Telle, dans tous les yeux où régnait la tristesse, :Éclate tout à coup une vive allégresse. :Par ce prompt éclaircissement, :La jeune Princesse ravie :D'apprendre que du Prince elle a reçu la vie :Se jette à ses genoux qu'elle embrasse ardemment. :Son père qu'attendrit une fille si chère, :La relève, la baise, et la mène à sa mère, :À qui trop de plaisir en un même moment :Était presque tout sentiment. :Son cœur, qui tant de fois en proie :Aux plus cuisants traits du malheur, :Supporta si bien la douleur, :Succombe au doux poids de la joie; :À peine de ses bras pouvait-elle serrer :L'aimable Enfant que le ciel lui renvoie, :Elle ne pouvait que pleurer. :Assez dans d'autres temps vous pourrez satisfaire, :Lui dit le Prince, aux tendresses du sang; :Reprenez les habits qu'exige votre rang, :Nous avons des noces à faire. :Au Temple on conduisit les deux jeunes Amants, :Où la mutuelle promesse :De se chérir avec tendresse :Affermit pour jamais leurs doux engagements. :Ce ne sont que Plaisirs, que Tournois magnifiques, :Que Jeux, que Danses, que Musiques, :Et que Festins délicieux, :Où sur Griselidis se tournent tous les yeux, :Où sa patience éprouvée :Jusque au Ciel est élevée :Par mille éloges glorieux: :Des Peuples réjouis la complaisance est telle :Pour leur Prince capricieux, :Qu'ils vont jusqu'à louer son épreuve cruelle, :À qui d'une vertu si belle, :Si séante au beau sexe, et si rare en tous lieux, :On doit un si parfait modèle. [[Catégorie:Conte merveilleux]] [[Catégorie:Charles Perrault]] [[Catégorie:France]]
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Marquise de Salusses ou la patience de Griselidis
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