Prince blanc (le)

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— Comment, vous dormez ?<br/>
 
— Comment, vous dormez ?<br/>
 
— Et n'est-ce pas ce que j'ai de mieux à faire? Je serais bien fou en vérité de vouloir niveler cette montagne, avant le coucher du soleil, et mon parrain plaisante, sans doute.<br/>
 
— Et n'est-ce pas ce que j'ai de mieux à faire? Je serais bien fou en vérité de vouloir niveler cette montagne, avant le coucher du soleil, et mon parrain plaisante, sans doute.<br/>
— Votre parrain ne plaisante pas, et si la montagne n'est pas nivelée, avant le coucher du soleil, il n'y a que la mort pourvous. Mais si vous voulez me promettre de m'être fidèle jusqu'à  
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— Votre parrain ne plaisante pas, et si la montagne n'est pas nivelée, avant le coucher du soleil, il n'y a que la mort pourvous. Mais si vous voulez me promettre de m'être fidèle jusqu'à la mort, je vous tirerai d'embarras, et le travail sera terminé à temps. Me serez-vous fidèle jusqu'à la mort ?<br/>
la mort, je vous tirerai d'embarras, et le travail sera terminé à temps. Me serez-vous fidèle jusqu'à la mort ?<br/>
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— Oui, jusqu'à la mort.<br/>
 
— Oui, jusqu'à la mort.<br/>
 
— Eh bien ! écoutez-moi bien, et faites exactement comme je vais vous dire. Gravissez la montagne, jusqu'au sommet. Arrivé là, vous apercevrez une énorme taupinière. Non loin de là se  
 
— Eh bien ! écoutez-moi bien, et faites exactement comme je vais vous dire. Gravissez la montagne, jusqu'au sommet. Arrivé là, vous apercevrez une énorme taupinière. Non loin de là se  
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pourrez parler, sans peur; et même grossièrement, à mon père, car j'en sais aussi long que lui, et, peut-être, un peu plus long.
 
pourrez parler, sans peur; et même grossièrement, à mon père, car j'en sais aussi long que lui, et, peut-être, un peu plus long.
  
Emmanuel fit exactement comme il lui avait été recommandé. Il gravit la montagne, arrosa la taupinière qu'il y trouva, avec de l'eau  
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Emmanuel fit exactement comme il lui avait été recommandé. Il gravit la montagne, arrosa la taupinière qu'il y trouva, avec de l'eau de la fontaine, et la taupinière s'abaissa et disparut, à mesure qu'il l'arrosait, puis la montagne, si bien qu'au coucher du soleil, on ne voyait plus là qu'une immense plaine.  
de la fontaine, et la taupinière s'abaissa et disparut, à mesure qu'il l'arrosait, puis la montagne, si bien qu'au coucher du soleil, on ne voyait plus là qu'une immense plaine.  
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Emmanuel s'en revint alors au château, en sifflant et en chantant, comme un ouvrier content de sa journée.<br/>
 
Emmanuel s'en revint alors au château, en sifflant et en chantant, comme un ouvrier content de sa journée.<br/>
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Cependant la fille puînée dit à,son père :<br/>
 
Cependant la fille puînée dit à,son père :<br/>
— Il ne lui a pas été difficile, à cet homme, de sortir victorieux de l'épreuve, puisque c'est ma soeur aînée qui a tout fait, car, vous  
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— Il ne lui a pas été difficile, à cet homme, de sortir victorieux de l'épreuve, puisque c'est ma soeur aînée qui a tout fait, car, vous savez qu'elle en sait long, en fait de magie. Mais demain, je veux aller, à mon tour, lui porter à dîner, et nous verrons s'il se tirera aussi facilement d'affaire.<br/>
savez qu'elle en sait long, en fait de magie. Mais demain, je veux aller, à mon tour, lui porter à dîner, et nous verrons s'il se tirera aussi facilement d'affaire.<br/>
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— Oui, ma fille, tu iras lui porter à dîner.
 
— Oui, ma fille, tu iras lui porter à dîner.
  
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— Allons, tu as bien déjeuné, n'est-ce pas ? au travail à présent !<br/>
 
— Allons, tu as bien déjeuné, n'est-ce pas ? au travail à présent !<br/>
 
Et il le conduisit à un grand étang, qui était auprès du château :<br/>
 
Et il le conduisit à un grand étang, qui était auprès du château :<br/>
— Voilà un étang qui est rempli de poissons. Il faut avant, le coucher du soleil, le vider avec ce tamis et que tu m'en apportes tous les poissons.
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— Voilà un étang qui est rempli de poissons. Il faut avant, le coucher du soleil, le vider avec ce tamis et que tu m'en apportes tous les poissons.<br/>
 
— C'est bien, parrain, je tâcherai de vous contenter.  
 
— C'est bien, parrain, je tâcherai de vous contenter.  
  
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À midi, la fille puînée vint lui apporter à dîner, et le voyant qui dormait sous un buisson, elle le réveilla, en le heurtant du pied.<br/>
 
À midi, la fille puînée vint lui apporter à dîner, et le voyant qui dormait sous un buisson, elle le réveilla, en le heurtant du pied.<br/>
— Eh bien ! grand paresseux, et le travail ? pensez-vous donc qu'il se fera de lui-même? Ah! vous devez être bien contrarié que  
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— Eh bien ! grand paresseux, et le travail ? pensez-vous donc qu'il se fera de lui-même? Ah! vous devez être bien contrarié que ma soeur aînée ne soit pas venue, aujourd'hui, vous apporter à dîner !<br/>
ma soeur aînée ne soit pas venue, aujourd'hui, vous apporter à dîner !<br/>
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— Donnez-moi vite ma soupe, et laissez-moi la paix.
 
— Donnez-moi vite ma soupe, et laissez-moi la paix.
  
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Cependant, la fille aînée retourna, dans l'intervalle, auprès d'Emmanuel, et lui dit :<br/>
 
Cependant, la fille aînée retourna, dans l'intervalle, auprès d'Emmanuel, et lui dit :<br/>
— Vous avez bien fait de traiter ainsi ma soeur. Mais il faut nous mettre au travail, car le jour avance. L'épreuve est plus  
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— Vous avez bien fait de traiter ainsi ma soeur. Mais il faut nous mettre au travail, car le jour avance. L'épreuve est plus difficile que celle d'hier. Il faut que vous me coupiez la tête de dessus mon corps; puis, vous la prendrez par les cheveux, et la jetterez le plus loin que vous pourrez dans l'étang. Vous recueillerez dans votre chapeau tout le sang qui coulera de mon corps, sans en laisser tomber une seule goutte par terre.<br/>
difficile que celle d'hier. Il faut que vous me coupiez la tête de dessus mon corps; puis, vous la prendrez par les cheveux, et  
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la jetterez le plus loin que vous pourrez dans l'étang. Vous recueillerez dans votre chapeau tout le sang qui coulera de mon corps, sans en laisser tomber une seule goutte par terre.<br/>
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— Dieu ! que dites-vous là? Je n'aurai jamais le coeur de vous couper la tête.<br/>
 
— Dieu ! que dites-vous là? Je n'aurai jamais le coeur de vous couper la tête.<br/>
 
— Il le faut, pourtant, ou nous sommes perdus tous les deux. Tenez, voilà un couteau ; du courage, et ne craignez rien.  
 
— Il le faut, pourtant, ou nous sommes perdus tous les deux. Tenez, voilà un couteau ; du courage, et ne craignez rien.  
  
Emmanuel prit le couteau, s'arma de tout son courage, et trancha la tête de la jeune fille. Puis, la prenant par les cheveux, il la  
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Emmanuel prit le couteau, s'arma de tout son courage, et trancha la tête de la jeune fille. Puis, la prenant par les cheveux, il la jeta le plus loin qu'il put dans l'étang. Aussitôt, tous les poissons vinrent au rivage, et se laissèrent prendre à la main. La tête vint aussi, quand il n'y eut plus de poissons dans l'étang, et elle dit :<br/>
jeta le plus loin qu'il put dans l'étang. Aussitôt, tous les poissons vinrent au rivage, et se laissèrent prendre à la main. La tête vint aussi, quand il n'y eut plus de poissons dans l'étang, et elle dit :<br/>
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— Hélas! vous avez failli me perdre, et vous perdre vous-même! Vous avez laissé tomber à terre quelques gouttes de mon sang. Replacez, vite, ma tête sur mon corps et versez-moi dans la bouche le sang que vous avez recueilli dans votre chapeau.  
— Hélas! vous avez failli me perdre, et vous perdre vous-même! Vous avez laissé tomber à terre quelques gouttes de mon sang.  
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Replacez, vite, ma tête sur mon corps et versez-moi dans la bouche le sang que vous avez recueilli dans votre chapeau.  
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Il replaça la tête sur le corps et versa le sang dans la bouche.<br/>
 
Il replaça la tête sur le corps et versa le sang dans la bouche.<br/>
— Laissez-moi dormir un peu, maintenant, car je suis bien faible; le sommeil me donnera des forces. Quand vous rentrerez au  
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— Laissez-moi dormir un peu, maintenant, car je suis bien faible; le sommeil me donnera des forces. Quand vous rentrerez au château, au coucher du soleil, vous prendrez un poisson dans chaque main, en disant aux autres de vous suivre, et ils viendront tous après vous. Et quand vous arriverez, parlez hardiment, insolemment même, à mon père. Jetez-lui les poissons à la figure.  
château, au coucher du soleil, vous prendrez un poisson dans chaque main, en disant aux autres de vous suivre, et ils viendront  
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tous après vous. Et quand vous arriverez, parlez hardiment, insolemment même, à mon père. Jetez-lui les poissons à la figure.  
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Au coucher du soleil, Emmanuel prit un poisson dans chaque main et se dirigea vers le château. Et tous les autres poissons  
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Au coucher du soleil, Emmanuel prit un poisson dans chaque main et se dirigea vers le château. Et tous les autres poissons de l'étang se mirent à le suivre, en si grande quantité, que la route en était toute couverte. Le Prince Blanc l'attendait, avec sa seconde fille, sur le seuil de la porte de la cour. Ils furent grandement étonnés de ce qu'ils virent.
de l'étang se mirent à le suivre, en si grande quantité, que la route  
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en était toute couverte. Le Prince Blanc l'attendait, avec sa  
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seconde fille, sur le seuil de la porte de la cour. Ils furent grandement étonnés de ce qu'ils virent.
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— Ah ! il vous faut du poisson, mon parrain ? tenez, en voilà ! Et il lui jeta à la figure les deux qu'il avait dans ses mains. En
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voulez-vous encore? et encore? et il lui en jeta tant et tant, à lui et à sa fille, qu'ils crièrent bientôt : — Assez! assez! grâce! — et il cessa, alors.
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— Allez dîner, puis vous coucher, filleul, lui dit le Prince Blanc, et demain matin, je vous trouverai de quoi vous occuper.  
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— Ah ! il vous faut du poisson, mon parrain ? tenez, en voilà ! Et il lui jeta à la figure les deux qu'il avait dans ses mains. En voulez-vous encore? et encore?<br/>
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Et il lui en jeta tant et tant, à lui et à sa fille, qu'ils crièrent bientôt :<br/>
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— Allez dîner, puis vous coucher, filleul, lui dit le Prince Blanc, et demain matin, je vous trouverai de quoi vous occuper.<br/>
 
Et Emmanuel soupa, puis se coucha, et dormit fort bien.  
 
Et Emmanuel soupa, puis se coucha, et dormit fort bien.  
  
Le lendemain matin, son parrain lui dit :  
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Le lendemain matin, son parrain lui dit :<br/>
 
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— J'ai un château qui n'a pas son égal au monde, tu le sais bien. Les portes en sont d'or massif, la cour est toute pavée d'argent, les murailles sont en acier poli, et l'intérieur est tout resplendissant de diamants ; et pourtant, une chose me tourmente : c'est que le soleil ne luit jamais sur mon château. Il faut aller trouver le Père-Éternel<ref>Ailleurs, le Soleil; le Père-Éternel est ici une substitution chrétienne, dans une fable toute païenne.</ref>, pour lui demander quelle en est la cause.<br/>
— J'ai un château qui n'a pas son égal au monde, tu le sais bien. Les portes en sont d'or massif, la cour est toute pavée d'argent,  
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les murailles sont en acier poli, et l'intérieur est tout resplendissant de diamants ; et pourtant, une chose me tourmente : c'est que le  
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soleil ne luit jamais sur mon château. Il faut aller trouver le Père-Éternel<ref>Ailleurs, le Soleil; le Père-Éternel est ici une substitution chrétienne, dans une fable toute païenne.</ref>, pour lui demander quelle en est la cause.<br/>
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— C'est bien, j'irai! répondit Emmanuel.
 
— C'est bien, j'irai! répondit Emmanuel.
  
 
Il se rendit auprès de la fille aînée du magicien et lui dit :<br/>
 
Il se rendit auprès de la fille aînée du magicien et lui dit :<br/>
— Votre père me commande, à présent, d'aller trouver le Père-Éternel, et de lui demander ce qui est cause que le Soleil ne paraît  
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— Votre père me commande, à présent, d'aller trouver le Père-Éternel, et de lui demander ce qui est cause que le Soleil ne paraît jamais sur son château. Comment et par où aller là?<br/>
jamais sur son château. Comment et par où aller là?<br/>
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— Hélas ! Je n'en sais rien, et pourtant, il faudra bien y aller. Mettez-vous en route avec confiance, Dieu vous conduira. Après avoir marché longtemps, vous vous trouverez au pied d'une haute montagne, appelée le mont Sinaï. Il vous faudra gravir péniblement cette montagne, et de l'autre côté, vous trouverez la mer. Vous verrez là un passeur, dans son bateau, et il vous conduira de l'autre bord. Je ne puis vous en dire plus long; mais allez, à la grâce de Dieu, et ayez confiance.  
— Hélas ! Je n'en sais rien, et pourtant, il faudra bien y aller. Mettez-vous en route avec confiance, Dieu vous conduira. Après avoir marché  
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longtemps, vous vous trouverez au pied d'une haute montagne, appelée le mont Sinaï. Il vous faudra gravir péniblement cette  
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montagne, et de l'autre côté, vous trouverez la mer. Vous verrez là un passeur, dans son bateau, et il vous conduira de l'autre bord.  
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Je ne puis vous en dire plus long; mais allez, à la grâce de Dieu, et ayez confiance.  
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Emmanuel partit. Il allait, il allait, au hasard, et à tous ceux qu'il rencontrait, il demandait le chemin pour aller chez le Père-Éternel. Mais personne ne pouvait le renseigner à ce sujet, et plusieurs se moquaient de lui et le prenaient pour un pauvre innocent (un fou). Après avoir marché pendant deux ans entiers, il se trouva un jour dans un chemin creux et étroit, où il vit deux arbres,  
 
Emmanuel partit. Il allait, il allait, au hasard, et à tous ceux qu'il rencontrait, il demandait le chemin pour aller chez le Père-Éternel. Mais personne ne pouvait le renseigner à ce sujet, et plusieurs se moquaient de lui et le prenaient pour un pauvre innocent (un fou). Après avoir marché pendant deux ans entiers, il se trouva un jour dans un chemin creux et étroit, où il vit deux arbres,  
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[[Catégorie: Conte merveilleux]]
 
[[Catégorie: Conte merveilleux]]
[[Catégorie: AT 313]]
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[[Catégorie: Revue des Traditions Populaires, année 1886]]
 
[[Catégorie: François-Marie Luzel]]
 
[[Catégorie: François-Marie Luzel]]
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