http://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Sp%C3%A9cial:Nouvelles_pages&feed=atom&hideliu=&hidepatrolled=&hidebots=&hideredirs=1&limit=50&namespace=0Wikicontes - Nouvelles pages [fr]2024-03-28T19:38:03ZDe Wikicontes.MediaWiki 1.17.0http://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Poules_pondeuses_et_le_coq_(les)Poules pondeuses et le coq (les)2013-11-25T16:16:33Z<p>Admin : /* Texte intégral */</p>
<hr />
<div>'''Les poules pondeuses et le coq'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Pendant des semaines, les garçons d'Ak Shehir avaient réfléchi à la manière de jouer un tour à leur bon ami Nasreddine. Ils avaient essayé à plusieurs reprises, mais à chaque fois, le tour s'était retourné contre eux. Enfin ils mirent au point un plan qui ne pouvait pas échouer – du moins il ne pouvait échouer que si Djeha-Hodja Nasreddin oubliait d'aller au bain.<br />
<br />
Finalement, est arrivé le jour où le Hodja devait aller au hammam. Une demi-douzaine de garçons a rejoint Nasreddine juste avant qu'il n'ait atteint la porte du hammam. Ils ont parlé de diverses choses - juste pour ne pas paraître impatients d'appliquer leur plan.<br/><br />
— J'ai une idée ! Dit Djamal, une merveilleuse idée ! Feignons d'être un troupeau de poules. Celui qui ne pond pas un œuf dans le bain devra payer le bain pour tous.<br/><br />
— Excellente idée !<br/><br />
— Donc vous pensez que vous pouvez pondre des oeufs ? Leur demanda Nasreddine.<br/> <br />
— Bien sûr ! Confirmèrent les garçons, essayant de ne pas pouffer de rire. Voulez-vous vous joindre à nous pour ce jeu, Nasreddine effendi ?<br/><br />
— Sûrement je souhaite être un des vôtres, répondit Nasreddine qui ne pouvait deviner de quoi il s'agissait, mais qui n'avait pas l'intention de se laisser berné par n'importe qui.<br />
<br />
Alors qu'ils se déshabillaient, le Hodja a remarqué que les garçons étaient plus lents et plus maladroits que d'habitude. Il était prêt le premier et est entré dans le hammam. Les garçons l'ont rejoint, s'accroupissant à côté de lui. Soudain un des garçons a entamé un chant étrange. Cot-cot-cot…! Le garçon agitait ses bras et sautait sur ses pieds. Il a indiqué la pierre chaude où se trouvait un œuf blanc bien lisse. Avant que le Hodja n'ait eu le temps de réagir, un deuxième garçon commença le même manège et indiqua un œuf blanc et lisse sur la pierre où il s'était accroupi. L'un après l'autre, les garçons ont caqueté, agité leurs bras et ont sauté, jusqu'à ce qu'ils aient chacun leur oeuf. Nasreddine s'est souvenu qu'ils avaient une main fermée quand ils étaient accroupis à côté de lui. Leurs mains étaient maintenant grandes ouvertes.<br />
<br />
— A votre tour maintenant, Nasreddine Effendi, dirent-ils, en poussant des cris aigus. Montrez-nous quelle bonne pondeuse vous êtes ou alors payez pour le bain pour tous !<br />
<br />
Nasreddine a regardé les oeufs, puis les garçons. Il a regardé autour du hammam. Alors il a sauté sur un banc, a tendu son cou comme s'il essayait de toucher le plafond avec sa tête, agité ses bras et ouvert largement sa bouche.<br />
Le tonitruant Cocorico ! Cocorico ! poussé par Nasreddine se répercuta sous la voûte surchauffée. Alors il sauta calmement de son perchoir, revint à sa place et dit aux garçons :<br/><br />
— Dans une basse cour avec des poules aussi excellentes pondeuses, vous devez avoir au moins un bon coq.<br />
<br />
Et chacun paya pour son propre bain.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Choux_dans_le_sac_(les)Choux dans le sac (les)2013-11-25T16:10:17Z<p>Admin : Page créée avec « '''Les choux dans le sac'''. ==Texte intégral== Un jour, Nasreddine a volé quelques choux dans un jardin, en remplissant tout un sac. À ce moment-là, le propriétaire de ... »</p>
<hr />
<div>'''Les choux dans le sac'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Un jour, Nasreddine a volé quelques choux dans un jardin, en remplissant tout un sac. À ce moment-là, le propriétaire de jardin est arrivé.<br/><br />
— Djeha-Hodja Nasreddin Effendi, que fais-tu dans mon jardin ? Demanda le propriétaire.<br/><br />
— Vous vous souvenez de l'orage qui a éclaté il y a quelques minutes. C'est ce qui m'a jeté ici.<br/><br />
— Pourquoi as-tu arraché ces choux ?<br/><br />
— Alors que je m'y accrochais pour ne pas être emporté par la tempête, ils ont été arrachés.<br/><br />
— Ok, mais pourquoi les avoir mis dans votre sac ? Demanda le jardinier.<br/><br />
— Eh bien ! C'est ce que je me demandais juste au moment où vous êtes arrivé.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Brioches_du_boulanger_(les)Brioches du boulanger (les)2013-11-25T16:07:31Z<p>Admin : Page créée avec « '''Les brioches du boulanger'''. ==Texte intégral== Quand il arriva à Konia, Nasreddine avait faim, mais il n'avait pas d'argent. Il s'arrêta devant une boulangerie et vi... »</p>
<hr />
<div>'''Les brioches du boulanger'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Quand il arriva à Konia, Nasreddine avait faim, mais il n'avait pas d'argent.<br />
<br />
Il s'arrêta devant une boulangerie et vit des brioches bien dorées dans la vitrine. Il entra et désignant les brioches, il dit au boulanger :<br/><br />
— Est-ce que tout ceci est à vous ?<br/><br />
— Bien sûr, dit le vendeur.<br/><br />
— Êtes-vous bien sûr que tout ceci est à vous ? Insista Nasreddine.<br />
<br />
Mécontent et agacé, le vendeur confirma ses dires.<br />
<br />
— Alors, si toutes ces brioches sont à vous, dit le Hodja, pourquoi ne les mangez-vous pas ? Qu'est-ce qui vous en empêche ?<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Potage_de_la_belle-m%C3%A8re_(le)Potage de la belle-mère (le)2013-11-25T16:03:23Z<p>Admin : </p>
<hr />
<div>'''Le potage de la belle-mère.'''<br />
==Texte intégral==<br />
En voyant sa femme pleurer sans aucune raison, Nasreddine lui demanda :<br/><br />
— Que t'est-il arrivé ?<br/><br />
Sa femme, séchant ses larmes, lui répondit :<br/><br />
— Je me suis souvenu de ma pauvre mère. Elle aimait tellement ce potage. C'est elle qui m'a appris à le faire.<br />
<br />
Nasreddine connaissait sa belle-mère et avait beaucoup de respect pour elle, donc il n'a rien dit. Il a pris une cuillerée de potage et l'a avalée. Ses yeux se sont alors remplis de larmes.<br/><br />
— Qu'est-ce qui se passe, lui demanda sa femme., pourquoi pleures-tu ainsi ?<br/><br />
— Je pleure, dit Nasreddine, parce que c'est toi qui aurais du être morte au lieu de ta pauvre mère.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Marmites_(les)Marmites (les)2013-11-25T15:58:30Z<p>Admin : </p>
<hr />
<div>'''Les marmites'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Nasreddine vint frapper un jour à la porte de sa veille voisine Fatima :<br/><br />
— Ma sœur ! Peux-tu me prêter une de tes marmites ? J'en ai besoin pour faire mon repas.<br/><br />
— Bien sûr, lui dit-elle, je vais te le chercher.<br/><br />
La voisine revint avec une marmite de taille moyenne qu'elle donna à Nasreddine.<br />
<br />
Le lendemain, Nasreddine posa une petite marmite à l'intérieur de la première et frappa à la porte de sa voisine.<br/><br />
— Merci beaucoup, ma sœur. Voilà ta marmite, elle m'a rendu un grand service.<br/><br />
— Mais, Nasreddine la petite n'est pas à moi !<br/><br />
— Mais si ! La nuit, ta marmite a accouché d'une petite. C'est sa fille, donc elle te revient de droit.<br/><br />
La voisine se moqua de la crédulité de Nasreddine, mais fut contente de gagner une petite marmite.<br />
<br />
Trois jours plus tard, Nasreddine Hodja frappa à nouveau à la porte de sa voisine.<br/><br />
— Petite sœur, peux-tu encore me prêter une de tes marmites ?<br/><br />
— Avec joie, lui répondit-elle. Je m'en vais te prêtr la plus grande et la plus belle.<br/><br />
La voisine espérait, en son for intérieur, récupérer une deuxième belle marmite. Nasreddine prit la grande marmite, remercia sa voisine et rentra chez lui.<br />
<br />
Deux jours passèrent, puis quatre, puis sept, sans aucune nouvelle de Nasreddine. La voisine commença à s'inquièter sérieusement. Elle finit par frapper à la porte de son voisin.<br/><br />
— Petit frère, lui dit-elle, tu as oublié de me rendre ma marmite.<br/><br />
— Je n'ai point oublié, mais je ne savais pas comment t'annoncer la mauvaise nouvelle. En vérité, alors qu'elle accouchait, ta belle marmite est morte la nuit dans des souffrances abominables.<br/><br />
— Ne serais-tu pas en train de te moquer de moi, Nasreddine ? Où a-t-on entendu parler de marmite qui meurt ?<br/><br />
— Malheureusement, voisine, dans la vie, tous ceux qui enfantent meurent un jour. Tu as bien accepté que ta première marmite accouche, il faudra bien admettre maintenant que la seconde est morte.<br />
<br />
Et le Hodja garda la grande marmite.<br />
<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=M%C3%A9nippe_et_le_succubeMénippe et le succube2012-08-30T21:52:59Z<p>Admin : Page créée avec « '''Ménippe et le succube''' est une légende parue dans la ''Revue des Traditions Populaires'', tome 34, n°1. ==Texte intégral== Ménippe était Lycien, âgé de vingt-cin... »</p>
<hr />
<div>'''Ménippe et le succube''' est une légende parue dans la ''Revue des Traditions Populaires'', tome 34, n°1.<br />
==Texte intégral==<br />
Ménippe était Lycien, âgé de vingt-cinq ans, d'un esprit remarquable et doué de beauté. Il ressemblait pour l'extérieur à un bel athlète et à un homme libre. Beaucoup le croyaient aimé par une <br />
femme étrangère qui paraissait belle et agréable et se disait riche, mais il n'en était pas ainsi ; ce n'était qu'apparence. <br />
<br />
Tandis qu'il suivait seul la route de Cenchrées, un fantôme ayant l'apparence d'une femme, lui apparut et, le prenant par la main, lui dit qu'elle l'aimait depuis longtemps, qu'elle était Phénicienne, qu'elle <br />
habitait dans un faubourg de Corinthe qu'elle lui indiqua et ajouta : « Si tu viens ce soir, tu m'entendras chanter, tu boiras du vin comme tu n'en as pas encore bu, aucun rival ne te troublera, et belle comme je suis, je vivrai avec un beau jeune homme. » Le jeune homme fut vaincu par ces paroles, car, s'il était fort en philosophie, il était faible devant l'amour ; il se rendit, le soir, chez elle et, pendant longtemps, <br />
la fréquenta comme sa maîtresse, ne soupçonnant pas que c'était un fantôme. Apollonios (de Tyane) contemplant Ménippe avec le regard d'un statuaire, se fixa ses traits dans l'esprit et lui dit : « Jeune homme, recherché pour ta beauté par de belles femmes, tu réchauffes un serpent, et un serpent te réchauffe. » Ménippe fut étonné. Apollonios continua :<br/><br />
« Cette femme n'est pas ton épouse, mais penses-tu qu'elle t'aime ? »<br/><br />
— « Oui, par Zeus, car elle se conduit envers moi comme si elle m'aimait.<br/><br />
— Et l'épouserais-tu ?<br/><br />
— Il me serait agréable d'épouser une femme qui m'aime.<br/><br />
— A quand les noces ?<br/><br />
— L'affaire est en train, peut-être demain. »<br />
<br />
Apollonios attendit le moment du festin et, survenant quand les convives étaient arrivés, il demanda :<br/><br />
« Ou est la belle pour qui vous êtes venus ?<br/><br />
— Ici», répondit Ménippe, et il se leva en rougissant.<br />
<br/>« A qui de vous deux appartiennent l'argent, l'or et tout ce qui orne cette salle ?<br/><br />
— A ma femme, dit Ménippe, car je ne possède que ceci », en montrant son manteau.<br/><br />
Apollonios reprit :<br/><br />
« Connaissez-vous les jardins de Tantale qui sont et qui ne sont pas ?<br/><br />
— Nous avons vu cela dans Homère<ref>Cf. Homère, Odyssée, 1. XI, V. 545 et suiv.</ref>, car nous ne sommes pas descendus dans l'Hadès.<br/><br />
— Croyez que tout ce qui est ici est la même chose : il n'y a pas de réalité, mais l'apparence de la réalité. Pour que vous compreniez ce que je dis, cette charmante épousée est une des Empuses, que l'on appelle communément Lamies ou Larves. Elles aiment beaucoup les plaisirs de l'amour, mais plus encore la chair humaine, elles attirent par des caresses ceux qu'elles veulent dévorer.<br/><br />
— Tais-toi, dit la femme, et cesse » ; en même temps, elle feignit de s'irriter de ce qu'elle entendait et s'emporta contre les philosophes qu'elle traita de frivoles.<br />
<br />
Mais tout à coup, les vases d'or et ce qu'on prenait pour de l'argenterie s'évanouit, tout disparut aux yeux ; les échansons, les cuisiniers et le reste des serviteurs disparurent aux paroles d'Apollonios. Le fantôme semblait pleurer et le suppliait de ne pas le torturer et de ne pas l'obliger à avouer ce qu'il était. Mais, sur son insistance, elle déclara qu'elle était une Empuse et qu'elle avait voulu gorger de plaisirs Ménippe pour se nourrir de sa chair<ref>Philostrate, Vie d'Apollonios de Tyane, 1. IV, ch. 25 ap. Wegtermann, Philostratorum opera Paris, 1849, in-8, p. 82-83. Cf. les rapprochements de Chassang, <br />
Apollonios de Tyane, Paris, 1862, in-12, p. 447-450.</ref>.<br />
{{Ref}}<br />
[[Catégorie:Contes et légendes de la Grèce ancienne]]<br />
[[Catégorie:Revue des Traditions Populaires, année 1919]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Coq_gu%C3%A9ri_par_Esculape_(le)Coq guéri par Esculape (le)2012-08-30T21:39:47Z<p>Admin : </p>
<hr />
<div>'''Le coq guéri par Esculape''' est une légende parue dans la ''Revue des Traditions Populaires'', tome 34, n°1.<br />
==Texte intégral==<br />
Un coq, ayant été blessé à la patte, vint, poussé, à ce qu'il me semble, par une suggestion d'Esculape, vers son maître, et comme on chantait le matin, le péan en l'honneur du dieu, il se joignit au choeur des chanteurs, prit sa place comme si elle lui avait été assignée par le chef du choeur et chanta de son mieux avec les autres, en observant la mesure.<br />
Il se tenait sur une patte et tendait l'autre blessée et boîteuse, comme pour attester qu'il avait souffert. Il chantait le sauveur de toute sa voix et le priait de le guérir.<br />
Et c'est ce que fit Esculape. Avant le soir, le coq, marchant sur ses deux pattes, battant des ailes, s'avançant d'un pas rapide, la tête haute, redressant sa crête, comme un fier hoplite, proclama que la Providence du Dieu s'étendait jusqu'aux animaux.<br />
<br />
==Note du collecteur==<br />
Elien, fragment 186, ''Opéra'', éd. Herscher, Paris, 1858, in-8, p. 451. Consulter à ce sujet les remarques de M. Orvizet.<br />
Essai sur la vie et les oeuvres de Lucien. Paris, 1882, in-8, pp. 178-179.<br />
[[Catégorie:Contes et légendes de la Grèce ancienne]]<br />
[[Catégorie:Revue des Traditions Populaires, année 1919]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Nasreddine_et_le_bouillon_d%27oiesNasreddine et le bouillon d'oies2012-08-30T21:17:37Z<p>Admin : Page créée avec « '''Nasreddine et le bouillon d'oies'''. ==Texte intégral== Nasreddine marchait le long d'une rivière quand il vit des oies qui s'y baignaient. Il eut envie d'en attraper qu... »</p>
<hr />
<div>'''Nasreddine et le bouillon d'oies'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Nasreddine marchait le long d'une rivière quand il vit des oies qui s'y baignaient. Il eut envie d'en attraper quelques unes. Il entra dans l'eau, mais elles se sauvèrent et il ne parvint même pas à en saisir une.<br />
Alors, il s'assit sur la berge, sortit un morceau de pain, le trempa dans l'eau et mangea.<br />
<br />
Un passant qui avait assisté à la scène lui demanda ce qu'il faisait.<br/><br />
— Que veux-tu, répondit Nasreddine, je ne peux pas manger les oies, alors je me contente de leur bouillon.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Nasreddine,_le_sac_et_l%27%C3%A2neNasreddine, le sac et l'âne2012-08-30T21:14:49Z<p>Admin : Page créée avec « '''Nasreddine, le sac et l'âne'''. ==Texte intégral== Nasreddine allait au marché pour vendre les produits de son jardin. Il monta sur son âne et prit le sac de légumes ... »</p>
<hr />
<div>'''Nasreddine, le sac et l'âne'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Nasreddine allait au marché pour vendre les produits de son jardin. Il monta sur son âne et prit le sac de légumes sur ses épaules. Il rencontra un ami qui lui demanda :<br/><br />
— Pourquoi portes-tu le sac sur tes épaules ?<br/><br />
— Pour qui me prends-tu ? L'âne me porte déjà, tu ne voudrais pas qu'il porte aussi le sac !<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Moustache_de_Nasreddine_(la)Moustache de Nasreddine (la)2012-08-30T21:12:45Z<p>Admin : Page créée avec « '''La moustache de Nasreddine'''. ==Texte intégral== Chez le coiffeur, un ami demanda à Nasreddine :<br/> — Pourquoi ta moustache reste t-elle noire, alors que tes cheveu... »</p>
<hr />
<div>'''La moustache de Nasreddine'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Chez le coiffeur, un ami demanda à Nasreddine :<br/><br />
— Pourquoi ta moustache reste t-elle noire, alors que tes cheveux sont déjà blancs ?<br/><br />
— Rien d'étonnant. Mes cheveux ont vingt-cinq ans de plus que ma moustache.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Nasreddine_et_le_voleur_sur_le_to%C3%AEtNasreddine et le voleur sur le toît2012-08-30T21:09:12Z<p>Admin : </p>
<hr />
<div>'''Nasreddine et le voleur sur le toit'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Une nuit, Nasreddine entendit des pas sur le toit. Pensant à un voleur, il dit à sa femme d'une voix forte :<br/><br />
— J'ai oublié de te raconter comment je suis rentré à la maison l'autre soir alors que tu étais absente et que je n’avais pas la clef. J'ai grimpé sur le toit, dit une prière, puis me suis accroché à un rayon de lune, et je me suis retrouvé facilement dans la chambre à coucher, en passant par la cheminée.<br />
<br />
Le voleur qui avait entendu décida de faire la même chose. Il dit une prière, saisit un rayon de lune et tomba brutalement les membres à demi cassés, dans la chambre à coucher.<br />
Nasreddine se précipita sur lui et l'autre apeuré, murmura :<br />
— Ne t'inquiète pas, si tu peux dire de telles prières avec autant d'effet, je ne suis pas assez malin pour t'échapper.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Nasreddine_convalescentNasreddine convalescent2012-08-30T21:06:57Z<p>Admin : Page créée avec « '''Nasreddine convalescent'''. ==Texte intégral== Nasreddine était gravement malade. Sa maison ne désemplissait pas d'amis venus lui rendre visite. Il n'osait rien dire ma... »</p>
<hr />
<div>'''Nasreddine convalescent'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Nasreddine était gravement malade. Sa maison ne désemplissait pas d'amis venus lui rendre visite. Il n'osait rien dire mais aurait bien voulu être un peu tranquille.<br />
<br />
Un groupe s'attardait, l'un des visiteurs lui demanda :<br/><br />
— Que Dieu te garde en vie ! Aurais-tu des dernières volontés à formuler ?<br/><br />
— Oui. Si vous rendez visite à un malade, ne restez pas trop longtemps.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Nasreddine_et_la_mauvaise_pi%C3%A8ceNasreddine et la mauvaise pièce2012-08-30T21:02:57Z<p>Admin : Page créée avec « '''Nasreddine et la mauvaise pièce'''. ==Texte intégral== Nasreddine conversait avec des amis. Un inconnu s'approcha et, tendant une pièce d'or, lui dit :<br/> — Hodja, ... »</p>
<hr />
<div>'''Nasreddine et la mauvaise pièce'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Nasreddine conversait avec des amis. Un inconnu s'approcha et, tendant une pièce d'or, lui dit :<br/><br />
— Hodja, pourrais-tu me la changer, j'ai besoin de monnaie ?<br/><br />
Mais Nasreddine qui n'avait pas un sou en poche, et ne voulait pas que ses amis le sachent, prit la pièce et dit à l'homme :<br/><br />
— Elle est mauvaise, je ne peux te la changer.<br/><br />
L'autre insista :<br/><br />
— Paie-moi au moins l'or qu'elle contient.<br/><br />
Nasreddine sentit qu'il ne pourrait s'en libérer :<br/><br />
— Mon garçon, cette pièce est tellement mauvaise qu'il faudrait que tu me donnes quelque chose en plus pour que je l'accepte.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=%C3%89table_antique_(l%27)Étable antique (l')2012-08-30T20:59:07Z<p>Admin : Page créée avec « '''L'étable antique'''. ==Texte intégral== Le goût pour les antiquités était déjà à la mode à l'époque de Nasreddine. Un jour qu'il était enfant, on lui demanda de... »</p>
<hr />
<div>'''L'étable antique'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Le goût pour les antiquités était déjà à la mode à l'époque de Nasreddine. Un jour qu'il était enfant, on lui demanda de nettoyer l'étable. Il y mit tant d'ardeur, qu'avec sa pioche il fit un trou et arriva, sans le savoir, dans l'étable du voisin. Il vit des boeufs et tout heureux courut dire à sa mère :<br/><br />
— Maman, viens vite, j'ai trouvé une étable pleine de boeufs qui datent de l'antiquité !<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Bout_de_miroir_de_Nasreddine_(le)Bout de miroir de Nasreddine (le)2012-08-30T20:55:53Z<p>Admin : Page créée avec « '''Le bout de miroir de Nasreddine'''. ==Texte intégral== Un jour, Nasreddin Hodja trouva un morceau de miroir dans la rue. Il le prit, le regarda et le rejeta par terre en... »</p>
<hr />
<div>'''Le bout de miroir de Nasreddine'''.<br />
==Texte intégral==<br />
<br />
Un jour, Nasreddin Hodja trouva un morceau de miroir dans la rue. Il le prit, le regarda et le rejeta par terre en disant :<br/><br />
— Pas étonnant qu'on aie jeté un truc pareil.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Visage_de_Tamerlan_(le)Visage de Tamerlan (le)2012-08-30T20:53:32Z<p>Admin : Page créée avec « '''Le visage de Tamerlan'''. ==Texte intégral== Un jour, Nasreddine apporta un miroir à Tamerlan. Celui-ci s'y regarda et se mit à pleurer.<br/> — Pourquoi pleures-tu, S... »</p>
<hr />
<div>'''Le visage de Tamerlan'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Un jour, Nasreddine apporta un miroir à Tamerlan. Celui-ci s'y regarda et se mit à pleurer.<br/><br />
— Pourquoi pleures-tu, Seigneur, demanda Nasreddine ?<br/><br />
— Parce que je suis vraiment laid et je ne le savais pas.<br />
<br />
Nasreddin se mit alors à pleurer bien plus fort que Tamerlan.<br/><br />
— Pourquoi pleures-tu ?<br/><br />
— Comment veux-tu que je ne pleure pas ? Tu n'as vu qu'une fois ton visage et tu pleures, tandis que moi, je le vois tous les jours!<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=P%C3%A8re_du_fils_de_Nasreddine_(le)Père du fils de Nasreddine (le)2012-08-30T20:50:15Z<p>Admin : Page créée avec « '''Le père du fils de Nasreddine'''. ==Texte intégral== Un jour Nasreddine, tout de noir vêtu, parcourait les rues du village. Les gens s'en étonnèrent et lui demandère... »</p>
<hr />
<div>'''Le père du fils de Nasreddine'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Un jour Nasreddine, tout de noir vêtu, parcourait les rues du village. Les gens s'en étonnèrent et lui demandèrent pourquoi il portait le deuil.<br/><br />
— Je suis en deuil parce que le père de mon fils est mort.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Creuser_un_trou_pour_boucher_l%27autreCreuser un trou pour boucher l'autre2012-08-30T20:48:13Z<p>Admin : Page créée avec « '''Creuser un trou pour boucher l'autre'''. ==Texte intégral== Nasreddine était en train de creuser un trou dans son jardin. Un ami lui demanda :<br/> — Que fais-tu ?<br/... »</p>
<hr />
<div>'''Creuser un trou pour boucher l'autre'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Nasreddine était en train de creuser un trou dans son jardin. Un ami lui demanda :<br/><br />
— Que fais-tu ?<br/><br />
— Ne vois-tu pas ? Je creuse un trou.<br/><br />
— J'ai vu, mais que vas-tu faire de la terre ?<br/><br />
— Je creuserai un autre trou pour la mettre dedans.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=%C3%82non_sans_queue_(l%27)Ânon sans queue (l')2012-08-30T20:46:12Z<p>Admin : Page créée avec « '''L'ânon sans queue'''. ==Texte intégral== Comme Nasreddine n'arrivait pas à dormir, sa femme lui demanda ce qu'il avait.<br/> — J'ai rêvé que l'ânesse du voisin met... »</p>
<hr />
<div>'''L'ânon sans queue'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Comme Nasreddine n'arrivait pas à dormir, sa femme lui demanda ce qu'il avait.<br/><br />
— J'ai rêvé que l'ânesse du voisin mettait bas un ânon sans queue.<br/><br />
— Qu'est-ce que cela peut bien faire ?<br/><br />
— C'est important. Quand il sera grand, un jour il tombera dans un fossé. Le voisin me demandera de l'aider à l'en sortir. Et alors, par où attraperai-je ce maudit animal ? Tu vois, c'est un problème et ça m'empêche de dormir.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Corbeau_et_le_savon_(le)Corbeau et le savon (le)2012-08-30T20:42:46Z<p>Admin : Page créée avec « '''Le corbeau et le savon'''. ==Texte intégral== Nasreddine regardait sa femme qui lavait du linge à la rivière. Tout à coup, un corbeau s'empara du savon. Elle se mit ... »</p>
<hr />
<div>'''Le corbeau et le savon'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Nasreddine regardait sa femme qui lavait du linge à la rivière. Tout à coup, un corbeau s'empara du savon. Elle se mit à hurler, mais Nasreddine, très calme l’interrompit :<br/><br />
— Tais-toi! Laisse ce corbeau, lui aussi a le droit de se laver. Ne vois-tu pas qu'il est bien plus sale que ton linge ?<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Pluie_et_le_champ_de_bl%C3%A9_(la)Pluie et le champ de blé (la)2012-08-30T20:41:04Z<p>Admin : Page créée avec « '''La pluie et le champ de blé'''. ==Texte intégral== L'été était torride, le blé séchait. Nasreddine se rendit dans son champ et y planta un bâton, puis il s'adressa... »</p>
<hr />
<div>'''La pluie et le champ de blé'''.<br />
==Texte intégral==<br />
L'été était torride, le blé séchait. Nasreddine se rendit dans son champ et y planta un bâton, puis il s'adressa à Allah :<br/><br />
— Allah, ce champ où j'ai planté le bâton est le mien. Envoie un peu de pluie sinon tout mon blé sera perdu.<br />
<br />
Le lendemain, il plut sans discontinuer de jour et de nuit. Le jour suivant, Nasreddine courut à son champ. C'était l'inondation. Levant les mains au ciel il s'écria:<br/><br />
— Excuse-moi, Allah, ce n'est pas ta faute; c'est celle de cet imbécile qui a planté ce bâton au milieu du blé !<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Quel_jour_sommes-nous_%3FQuel jour sommes-nous ?2012-08-30T20:38:25Z<p>Admin : Page créée avec « '''Quel jour sommes-nous ?''' ==Texte intégral== Nasreddine, encore jeune, visitait Konya. Un homme lui demanda :<br/> — Quel jour sommes-nous ?<br/> Nasreddin qui ne vou... »</p>
<hr />
<div>'''Quel jour sommes-nous ?'''<br />
==Texte intégral==<br />
Nasreddine, encore jeune, visitait Konya. Un homme lui demanda :<br/><br />
— Quel jour sommes-nous ?<br/><br />
Nasreddin qui ne voulait pas être dérangé, répondit :<br/><br />
— Comment le saurais-je, je viens d'arriver à Konya ? Demande à quelqu’un qui habite ici depuis plus longtemps.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Nasreddine_et_les_lunettesNasreddine et les lunettes2012-08-30T20:35:11Z<p>Admin : Page créée avec « '''Nasreddine et les lunettes'''. ==Texte intégral== Une nuit, alors qu'il dormait, Nasreddine dit à son épouse :<br/> — Femme, donne-moi vite mes lunettes.<br/> Surpris... »</p>
<hr />
<div>'''Nasreddine et les lunettes'''.<br />
==Texte intégral==<br />
Une nuit, alors qu'il dormait, Nasreddine dit à son épouse :<br/><br />
— Femme, donne-moi vite mes lunettes.<br/><br />
Surprise, elle répondit :<br/><br />
— Que me racontes-tu là? Est-il possible de vouloir des lunettes pour dormir ?<br/><br />
Finalement elle les lui donna et lui d'expliquer :<br/><br />
— Sais-tu pourquoi je voulais mes lunettes ? Parce que dans mon rêve, je voyais et tu sais que je ne vois pas bien, c'était pour pouvoir te le raconter en détail.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=L%27%C3%A2ne_devenu_cadiL'âne devenu cadi2012-08-30T20:32:07Z<p>Admin : a déplacé L'âne devenu cadi vers Âne devenu cadi (l')</p>
<hr />
<div>'''L'âne devenu cadi'''.<br />
==Texte intégral==<br />
L'âne de Nasreddine s'était encore perdu. Cette fois, il était introuvable. Les jours passaient, le pays en riait. Pour se moquer du pauvre Nasreddine, un plaisantin lui dit :<br/><br />
— Es-tu au courant? Ton âne est Kadi à, Bostanci.<br/><br />
Sans s'émouvoir, Nasreddine répliqua :<br/><br />
— Cela ne m'étonne pas. Ce n'est pas sans raison que, quand je vous enseignais, il était si attentif, dressant ses oreilles. On pouvait déjà comprendre qu'il réussirait dans la vie.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Nasreddine_veufNasreddine veuf2012-08-30T20:29:55Z<p>Admin : Page créée avec « '''Nasreddine veuf'''. ==Texte intégral== Nasreddine, de retour chez lui après quelques jours d'absence, apprend le décès de sa femme. Avec sa philosophie habituelle, i... »</p>
<hr />
<div>'''Nasreddine veuf'''.<br />
==Texte intégral==<br />
<br />
Nasreddine, de retour chez lui après quelques jours d'absence, apprend le décès de sa femme. Avec sa philosophie habituelle, il dit aux amis attristés pour lui:<br/><br />
— Si elle n'était pas morte, j'aurais divorcé.<br />
[[Catégorie:Nasreddine Hodja]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=EstulaEstula2012-08-28T23:39:39Z<p>Admin : Page créée avec « ''Estula'' est un fabliau anonyme. ==Texte intégral== Il y avait jadis deux frères, sans conseil de père et de mère, et sans autre compagnie. Pauvreté fut bien leur am... »</p>
<hr />
<div>''Estula'' est un fabliau anonyme.<br />
==Texte intégral==<br />
Il y avait jadis deux frères, sans conseil de père et de mère, et sans autre compagnie. Pauvreté fut bien leur amie, car elle fut souvent leur compagne. C’est la chose qui tracasse le plus ceux qu’elle assiège : il n’est pire maladie. Ensemble demeuraient les deux frères dont je vous conte l’histoire. Une nuit, ils furent en grande détresse, de soif, de faim et de froid : chacun de ces maux s’attache souvent à ceux que Pauvreté tient en son pouvoir. Ils se prirent à se demander comment ils pourraient se défendre contre Pauvreté qui les accable : souvent elle leur a fait éprouver de l’ennui.<br />
<br />
Un homme connu pour sa richesse habitait tout près de leur maison : ils sont pauvres ; le riche est sot. En son jardin il a des choux et à l’étable des brebis. Tous deux se dirigent de ce côté. Pauvreté rend fous bien des hommes : l’un prend un sac à son cou, l’autre un couteau à la main ; tous deux se sont mis en route. L’un entre dans le jardin, promptement, et ne s’attarde guère : il coupe des choux à travers le jardin. L’autre se dirige vers le bercail pour ouvrir la porte : il fait si bien qu’il l’ouvre. Il lui semble que l’affaire va bien. Il tâte le mouton le plus gras.<br />
<br />
Mais on était encore debout dans la maison : on entendit la porte du bercail quand il l’ouvrit. Le prud'homme appela son fils : « Va voir, dit-il, au jardin, s'il n' y a rien d'inquiétant ; appelle le chien de garde. »<br />
<br />
Le chien s’appelait Estula : heureusement pour les deux frères, cette nuit-là il n’était pas dans la cour. Le garçon était aux écoutes. Il ouvre la porte qui donne sur la cour et crie : "Estula ! Estula !" Et l’autre, du bercail, répondit : « oui, certainement, je suis ici. » Il faisait très obscur, très noir, si bien que le garçon ne put apercevoir celui qui lui avait répondu. En son cœur, il crut, très réellement, que c’était le chien.<br />
<br />
Sans plus attendre, il revint tout droit à la maison ; il eut grand peur en y rentrant :<br/><br />
— Qu’as-tu, beau fils ? lui dit son père.<br/><br />
— Sire, foi que je dois à ma mère, Estula vient de me parler !<br/><br />
— Qui ? Notre chien ?<br/><br />
— Oui, par ma foi ; si vous ne voulez m’en croire, appelez-le à l' instant, et vous l’entendrez parler.<br />
<br />
Le prud'homme d’accourir pour voir cette merveille ; il entre dans la cour et appelle Estula, son chien. Et le voleur, qui ne se doutait de rien, lui dit : « Mais oui, je suis là ! » Le prud' homme s’en émerveille : « Par tous les saints et par toutes les saintes ! Mon fils, j’ai entendu bien des merveilles, mais jamais une pareille ! Va vite, conte ces miracles au prêtre, ramène-le, et dis-lui d’apporter l’étole et l’eau bénite. »<br />
<br />
Le garçon, au plus vite, se hâte et arrive au presbytère. Il ne traîna guère à l’entrée et vint au prêtre, vivement : « Sire, dit-il, venez à la maison ouïr de grandes merveilles : jamais vous n’en avez entendu de pareilles. Prenez l’étole à votre cou. » Le prêtre dit : « Tu es complètement fou de vouloir me faire sortir à cette heure : je suis nu-pieds, je n’y pourrais aller. » L’autre lui répond aussitôt : « Vous le ferez : je vous porterai. » Le prêtre a pris son étole et monte, sans plus de paroles, sur les épaules du jeune homme, qui reprend son chemin.<br />
<br />
Arrivé à sa maison, et voulant couper court, le garçon descend, tout droit, le sentier par où étaient descendus les deux voleurs qui cherchaient leur nourriture. Celui qui cueillait les choux vit le prêtre, tout blanc, et crut que son compagnon lui apportait quelque butin. Il lui demanda, plein de joie :<br/><br />
— Apportes-tu quelque chose ?<br/><br />
— Ma foi, oui, fait le garçon, croyant que c’était son père qui lui avait parlé.<br/><br />
— Vite ! dit l’autre, jette-le bas ; mon couteau est bien aiguisé ; je l’ai fait repasser hier à la forge ; je m’en vais lui couper la gorge.<br />
<br />
Quand le prêtre l’entendit, il crut qu’on l’avait trahi : il saute à terre, et s’enfuit, tout éperdu. Mais son surplis s’accrocha à un pieu et y resta, car il n’osa pas s’arrêter pour l’en décrocher. Celui qui avait cueilli les choux ne fut pas moins ébahi que celui qui s’enfuyait à cause de lui : il ne savait pas ce qu’il y avait. Toutefois, il va prendre la chose blanche qu’il voit pendre au pieu et s’aperçoit que c’est un surplis. A ce moment son frère sortit du bercail avec un mouton et appela son compagnon qui avait son sac plein de choux : tous deux ont les épaules bien chargées. Sans faire plus long conte, ils se mirent en route vers leur maison qui était tout près. Alors, il montra son butin, celui qui avait gagné le surplis. Ils ont bien plaisanté et bien ri, car le rire, alors, leur fut rendu, qui jusque là leur était défendu.<br />
En peu de temps Dieu travaille : tel rit le matin qui le soir pleure, et tel est le soir courroucé qui, le matin, était joyeux et gai.<br />
[[Catégorie:Fabliau]]<br />
[[Catégorie:France]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Abb%C3%A9_Sans-Souci_(l%27)Abbé Sans-Souci (l')2012-06-15T08:44:50Z<p>Admin : Page créée avec « '''L'abbé Sans-Souci'''. Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-du-Nord). ==Texte intégral== Il y avait une fois un roi, qui s’ennuyait beaucoup, et il ne sa... »</p>
<hr />
<div>'''L'abbé Sans-Souci'''. Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-du-Nord).<br />
==Texte intégral==<br />
Il y avait une fois un roi, qui s’ennuyait beaucoup, et il ne savait que faire pour se désennuyer.<br />
<br />
Un jour, il dit à ses courtisans, qui l’ennuyaient bien plus encore que tout le reste :<br />
<br />
— Allez voyager, pendant un an et un jour. Au retour, vous me raconterez ce que vous aurez vu et entendu de plus curieux, et peut-être trouverai-je quelque plaisir aux récits que vous me ferez.<br />
<br />
Et les courtisans partirent. Ils se trouvèrent, après quelques jours de marche, devant une abbaye et remarquèrent au-dessus de la porte une inscription gravée sur une plaque de marbre, et qui disait qu’il y avait là un abbé qui n’avait jamais éprouvé aucun souci de sa vie, et qui n’en éprouverait jamais.<br />
<br />
— Nous avons vu bien des choses curieuses et extraordinaires, jusqu’ici, se dirent-ils, mais, rien qui vaille ceci. Que cet abbé n’ait jamais éprouve aucun souci, jusqu’à présent, ce n’est pas chose impossible, après tout ; mais, affirmer qu’il n’en éprouvera jamais, voilà qui est bien téméraire, pour le moins.<br />
<br />
Et ils poursuivirent leur route,<br />
<br />
Nous les laisserons aller et ne les suivrons pas, pendant tout le temps que dura le voyage.<br />
<br />
Quand l’an et le jour furent écoulés, ils revinrent auprès de leur roi, ayant beaucoup vu, beaucoup entendu et éprouvé toutes sortes d’aventures.<br />
<br />
— Eh bien ! qu’avez-vous vu et appris d’extraordinaire ? Contez-moi tout cela, leur dit le roi, en les revoyant.<br />
<br />
— Nous avons vu et appris bien des choses, sire, toutes plus curieuses et plus extraordinaires les unes que les autres ; pourtant, ce qui nous a semblé plus fort que tout le reste, c’est une inscription que nous avons lue au-dessus de la porte d’une abbaye.<br />
<br />
Que disait donc cette inscription ?<br />
<br />
— Elle disait qu’il y avait là un abbé qui n’avait jamais éprouvé aucun souci, de sa vie, et qui n’en éprouverait jamais, et, pour cette raison, on l’appelait l’abbé Sans-Souci.<br />
<br />
— Ah ! vraiment, un abbé qui n’a jamais éprouvé aucun souci, de sa vie, et qui n’en éprouvera jamais ? Eh bien ! son inscription ment au moins de la moitié, et vous le verrez, sans tarder.<br />
<br />
Et, le jour même, le roi écrivit à l’abbé une lettre par laquelle il lui ordonnait de venir le trouver. Il lui recommandait en même temps de ne venir ni un dimanche ni un jour ordinaire de la semaine ; ni par les chemins ni par les champs ; ni le jour ni la nuit ; ni vêtu ni habillé ; ni à pied ni à cheval, ni en voiture ; de plus, il devait ailler à reculons et avancer ; dire ce que penserait roi, au moment où il arriverait à la cour ; ce qu’il valait, quand il était revêtu de ses habits d’apparât, la couronne en tête et assis sur son trône ; et enfin lui apprendre où se trouve le centre de terre. Et il fallait remplir exactement toutes ces conditions, sous les peines les plus sévères et peut-être même la mort.<br />
<br />
Quand il eut écrit sa lettre, le roi dit à son courrier :<br />
<br />
— Portez cette lettre à l’abbé Sans-Souci, en son abbaye.<br />
<br />
Le courrier partit et remit la lettre à l’abbé, en propres mains. Celui-ci s’empressa de la lire, et aussitôt il pâlit et devint triste et soucieux, Il n’était déjà plus l’abbé Sans-Souci.<br />
<br />
— Que vous est-il arrivé, maître ? lui demanda son valet de chambre, étonné de le voir dans cet état. Je vous trouve bien triste, contre votre ordinaire.<br />
<br />
— Ce n’est pas sans raison, répondit-il.<br />
<br />
— Puis-je vous être utile ?<br />
<br />
— Tiens, lis cette lettre que le roi m’envoie. Le valet prit la lettre, la lut et dit ensuite :<br />
<br />
— Et c’est là ce qui vous inquiète tant ? Il y a bien de quoi, je pense.<br />
<br />
— Eh bien ! vous vous tourmentez pour peu de chose.<br />
<br />
— Comment, peu de chose ! Est-ce que, par hasard, tu serais capable de me tirer d’affaire, toi, de remplir toutes les conditions de cette sotte lettre ?<br />
<br />
— Certainement, et sans peine.<br />
<br />
— Comment cela ? Parle, vite.<br />
<br />
— Promettez-moi d’abord de me céder la moitié des revenus de votre abbaye.<br />
<br />
— C’est entendu, je te cède la moitié des revenus de mon abbaye, si tu me tires d’embarras.<br />
<br />
— Ecoutez-moi bien, alors : vous m’emmènerez avec vous et nous partirons à Noël, qui n’est pas un dimanche et qui n’est non plus ni jour ni nuit. Vous ne devez être ni habillé, ni nu, ni à pied, ni à cheval, ni en voiture, et il vous faudra reculer et avancer en même temps. Rien de plus facile ; voyez plutôt : vous quitterez vos habits d’abbé et revêtirez les miens, de manière à pouvoir être pris pour votre propre valet, pui vous me jetterez sur la tête et tout le corps un filet de pêcheur, et, de la sorte, je ne serai en réalité ni tout à fait nu ni tout à fait vêtu. Je ferai placer sur une charrette une grande roue dans les jantes de laquelle seront de grosses chevilles sortantes ; je monterai à reculons sur ces chevilles et ferai tourner la roue, de manière que tout en montant ma roue à reculons, j’avancerai quand même, entraîné par la voiture qui pourr être attelée d’un cheval. Vous me mènerez pa les douves, et non par les chemins ; enfin, nou emporterons une boule.<br />
<br />
L’abbé ne trouva rien à redire à tout cela. I1 revêtit la livrée de son valet, et celui-ci, la tête couverte d’un filet de pêcheur, qui lui tombai jusqu’aux pieds, monta à sa roue, placée sur une charrette traînée par un cheval. Ils arrivèrent ainsi à la cour. Le roi, prévenu de l’arrivée de l’abbé Sans-Souci, s’empressa de venir le recevoir.<br />
<br />
— C’est vous, l’abbé Sans-Souci ? dit-il, ei s’adressant au valet.<br />
<br />
— Oui, sire, c’est bien moi, répondit celui-ci.<br />
<br />
— Vous avez reçu ma lettre ?<br />
<br />
— J’ai reçu la lettre de Votre Majesté, sire.<br />
<br />
— Et vous vous êtes conforme de point en point à mes ordres ?<br />
<br />
— Oui, sire.<br />
<br />
— Voyons cela ; expliquez-moi comment vous vous y êtes pris, car je suis curieux de le savoir.<br />
<br />
— Vous m’avez dit, sire, de ne venir ni un dimanche ni un jour ordinaire de la semaine ; ni de jour ni de nuit. Or, je suis venu la nuit de Noël, qui n’est ni un dimanche ni un jour ordinaire de la semaine, et dont on peut dire que c’est la nuit qui est le jour, à cause de la naissance de Nôtre-Divin Sauveur, la lumière du monde, et parce qu’on y dit la messe, à minuit, comme en plein jour. Je ne suis pas venu par les chemins ni aussi par les champs, car j’ai suivi tout du long les douves. Je ne suis venu ni à pied, ni à cheval, ni en voiture ; voyez, en effet, je suis sur une roue, et, tout en allant à reculons, j’avançais, car pendant que je montais à ma roue, à reculons, la voiture m’entraînait en avant. Je ne suis ni vêtu ni nu, car le filet de pécheur dont je suis enveloppé, de la tête aux pieds, ne me couvre pas entièrement le corps et ne me laisse pas tout nu non plus.<br />
<br />
Le roi vérifia l’exactitude de tout ce que lui disait celui qu’il croyait être l’abbé Sans-Souci, et il fut émerveillé des ressources de son esprit.<br />
<br />
— Mais ce n’est pas tout, reprit-il, un moment après, vous devez me dire encore où se trouve le centre de la terre.<br />
<br />
— Rien de plus facile, sire ; le centre de la terre se trouve ici où nous sommes, et aussi partout ailleurs.<br />
<br />
— Comment ici et partout ailleurs ? Ne pouvez-vous m’expliquer cela plus clairement ?<br />
<br />
Prenant alors la boule qu’il avait apportée et y indiquant du doigt un point au hasard :<br />
<br />
— Voyez cette boule, sire ; en quelque endroit que j’y pose mon doigt, il sera toujours au milieu de la boule, en imprimant à celle-ci un léger mouvement, car la terre est constamment en mouvement.<br />
<br />
— C’est vrai, répondit le roi ; mais, je ne vous tiens pas encore pour quitte. Me direz-vous, à présent, combien je vaux, quand ma couronne royale en tête et mon sceptre à la main, je suis sur mon trône, dans mes plus beaux habits d’apparat, chargés de pierres précieuses et de perles fines ?<br />
<br />
— Je vous le dirai, sire, en toute franchise et sans crainte. Vous valez alors vingt-neuf deniers, sire.<br />
<br />
— Quoi, si peu ? M’expliquerez-vous au moins pourquoi ?<br />
<br />
— Notre-Seigneur Jésus-Christ, vous le savez, ne fut vendu que trente deniers.<br />
<br />
Le roi ne pouvait se fâcher de la comparaison ; il fut néanmoins un peu décontenancé et garda un moment le silence ; puis, il reprit :<br />
<br />
— Ah ! voici où je vous attends, et, si vous vous tirez de là, il faut que vous soyez magicien ou sorcier. Dites-moi, pour finir, ce que je pense en ce moment.<br />
<br />
— Je vous dirai encore cela, sire, et sans me mettre l’esprit à la torture. Vous pensez que vous parlez à l’abbé Sans-Souci...<br />
<br />
— Comment, vous ne seriez pas l’abbé Sans-Souci ?<br />
<br />
— Non, sire, je n’ai pas cet honneur.<br />
<br />
— Qui donc êtes-vous ; le diable, peut-être ?<br />
<br />
— Non, mais, tout simplement, le valet de monseigneur l’abbé : demandez-lui plutôt, car le voici, déguisé en cocher.<br />
<br />
L’abbé confirma la vérité de ce que disait son valet.<br />
<br />
Le roi, qui était un brave homme, partit d’un éclat de rire et s’écria :<br />
<br />
— Ah ! le tour est bon ! Je ne me serais jamais attendu à trouver tant d’esprit chez un valet. Vous souperez tous les deux à ma table, car je veux vous présenter à la reine et à la cour.<br />
<br />
Jamais il n’y eut de repas plus gai, dans ce palais, grâce aux saillies et aux bons mots du valet de l’abbé.<br />
<br />
Le lendemain, au moment de partir, le roi fit un riche cadeau au valet, et dit à l’abbé, son maître :<br />
<br />
— Quant à vous, l’abbé, vous pouvez conserver l’inscription de votre porte, car, aussi longtemps que vous aurez un pareil serviteur, vous serez vraiment l’abbé Sans-Souci.<br />
<br />
==Note du collecteur==<br />
Il faut rapprocher ce conte d’un conte italien, qu’an maréchal-ferrant de Bologne, nommé Giulo-Cesar Croce, composa, vers la fin du XVIe siècle, sous le titre de : Les finesses de Bertoldo, et qui, amplifié pendant le siècle suivant, et mis en vers par les académiciens della Crusca, est resté populaire en Italie.<br />
[[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]]<br />
[[Catégorie:Marguerite Philippe]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Voleur_avis%C3%A9_(le)Voleur avisé (le)2012-06-15T08:43:20Z<p>Admin : Page créée avec « '''Le voleur avisé'''. Conté par Vincent Coat. — Morlaix, 1876. ==Texte intégral== Il y avait autrefois un pauvre homme, qui avait deux enfants, garçon et fille, Efflam... »</p>
<hr />
<div>'''Le voleur avisé'''. Conté par Vincent Coat. — Morlaix, 1876.<br />
==Texte intégral==<br />
Il y avait autrefois un pauvre homme, qui avait deux enfants, garçon et fille, Efflam et Hénori.<br />
<br />
Un jour, le père dit à Efflam :<br/><br />
— A présent, mon fils, que te voilà élevé, tu devrais être capable de gagner ton pain et de te suffire à toi-même. Si tu allais à Paris, chercher fortune ?<br/><br />
— C’est bien, mon père, j’irai à Paris chercher fortune, répondit Efflam.<br />
<br />
Et, en effet, le lendemain matin, Efflam se mit en route vers Paris. Il marcha et marcha, mettant toujours un pied devant l’autre. Un jour qu’il traversait une forêt, la nuit l’y surprit. Il monta sur un arbre, pour attendre le jour et se mettre en sûreté contre les bêtes féroces. Bientôt, trois brigands, chargés de butin, arrivèrent sous l’arbre.<br />
<br />
Ils soulevèrent une grande pierre et déposèrent leur butin dans une caverne, dont elle cachait l’entrée. Puis ils s’assirent sous l’arbre, pour manger et boire, tout en causant de leurs exploits. Efflam prêta bien l’oreille et entendit ce qui suit :<br />
<br />
— Moi, dit un des brigands, j’ai un manteau merveilleux qui me transporte, à travers les airs, partout où je veux.<br />
<br />
— Moi, dit un autre, je possède un chapeau qui me rend invisible, et, quand je l’ai sur la tête, je puis aller partout, sans être vu de personne.<br />
<br />
— Et moi, dit le troisième, j’ai des guêtres avec lesquelles je puis marcher aussi vite que le vent, quand je les ai sur mes jambes.<br />
<br />
— Si je pouvais avoir le manteau, le chapeau et les guêtres, ou seulement un de ces trois objets — se disait Efflam, — cela ferait joliment mon affaire ! Mais, comment m’y prendre pour cela ?<br />
<br />
Et il chercha dans sa tête et trouva ceci : tomber au milieu des brigands, en se laissant dévaler le long des branches feuillues, et en criant : — « Au voleur ! » de manière à faire croire que le diable ou les gendarmes étaient à leurs trousses. — C’est ce qu’il fit, et les trois brigands, saisis de frayeur, s’enfuirent, au plus vite, abandonnant sur la place le manteau, le chapeau et les guêtres.<br />
<br />
Efflam se saisit des trois talismans, et, ayant mis les guêtres sur ses jambes, il fut bientôt rendu à Paris. Comme il se promenait par les rues, tout émerveillé des belles choses qu’il voyait, de tous côtés, il remarqua une boutique de bijoutier, qui lui sembla plus belle et plus riche que les autres, et fut tenté d’y dérober quelques objets de valeur. Il mit son chapeau sur sa tête, pénétra dans la boutique, sans être aperçu de personne, et y prit tout ce qu’il lui plut. Il vendit ensuite, dans une autre boutique, les objets qu’il s’était procurés de cette manière, pour avoir de l’argent. Il rencontra alors un soldat de son pays, et ils menèrent ensemble joyeuse vie, pendant quelques jours. Quand l’argent fut tout dépensé, Efflam ne fut pas en peine de savoir comment s’en procurer d’autre. Un jour, il aperçut sur une place un marchand de vases de terre qui vendait beaucoup, et qui mettait son argent, à mesure qu’il le recevait, dans un coffre de bois placé à côté de lui.<br />
<br />
— Il faut que je lui enlève son coffre, se dit Efflam.<br />
<br />
Et, mettant son chapeau sur sa tête, il enleva facilement le coffre, l’emporta à l’écart, le brisa, prit l’argent qui s’y trouvait et mena encore joyeuse vie, pendant qu’il dura.<br />
<br />
Un autre jour, comme il se promenait sur une place de la ville, il entendit trois hommes qui causaient ensemble du trésor du roi. Ils disaient qu’ils trouvaient le roi bien mal avisé de mettre des soldats de garde près de la tour qui renfermait son trésor, puisqu’on ne voyait ni portes ni fenêtres à cette tour, et que les murs en étaient tellement épais et solides qu’il était impossible d’y pratiquer la moindre ouverture.<br />
<br />
— C’est fort bien, se dit Efflam ; je sais, à présent, où est le trésor du roi.<br />
<br />
Fuis, s’adressant aux trois hommes :<br />
<br />
— Ainsi, vous pensez qu’il est impossible de voler le trésor du roi.<br />
<br />
— Pour cela, oui, — répondirent-ils.<br />
<br />
— Eh bien ! moi, je ne le crois pas. Et il s’éloigna là-dessus.<br />
<br />
La nuit venue, il se rendit au pied de la tour, et, ayant étendu son manteau magique par terre, il s’assit dessus, se coiffa de son chapeau et dit alors : — « Manteau, fais ton devoir et transporte-moi, sur-le-champ, dans la salle du trésor du roi. » — Ce qui fut fait aussitôt, sans que les gardes ni nul autre vissent rien. Il sortit de la même manière, en emportant plein ses poches d’or et d’argent. Le lendemain et le surlendemain et toutes les nuits ensuite, il revint à la charge, et toujours avec le même succès.<br />
<br />
Devenu riche subitement, il acheta un palais, et appela auprès de lui son père et sa sœur. Le jour où ils devaient arriver, il alla à leur rencontre, avec un beau carrosse attelé de deux chevaux. Arrrivé à environ une lieue de la ville, voyant son père et sa sœur venir sur la route, à pied et mal vêtus, il dit à son cocher de retourner à la maison, avec un des chevaux, et de lui apporter une boîte qu’il avait oubliée sur la table, dans sa chambre, et dont il avait besoin. Il l’attendrait, dans une maison qui se trouvait là, au bord de la route.<br />
<br />
Le cocher détela un des chevaux et partit. Efflam fit alors entrer son père et sa sœur dans la maison, au bord de la route, leur donna à changer de riches vêtements, qu’il avait apportés dans son carrosse, et leur remit à chacun une bourse pleine d’or, afin que son cocher, à son retour, ne les prît pas pour de pauvres paysans, comme ils l’étaient en réalité.<br />
<br />
Le cocher revint et dit à son maître :<br />
<br />
— Je n’ai pas trouvé la boîte, dans votre chambre.<br />
<br />
— Eh ! non, je l’avais avec moi dans mon carrosse, et n’en savais rien.<br />
<br />
Puis ils rentrèrent en ville.<br />
<br />
Un jour, le père demanda à son fils comment il avait fait pour devenir riche ainsi, et Efflam lui avoua qu’il volait le trésor du roi.<br />
<br />
— Si tu veux, lui dit alors le vieillard, j’irai aussi avec toi, et, à nous deux, nous emporterons une plus grande somme.<br />
<br />
— Je le veux bien, répondit Efflam.<br />
<br />
La nuit venue, ils se placèrent tous les deux sur le manteau, mirent aussi tous les deux leur tête sous le chapeau, et ils furent transportés dans la chambre du trésor ; puis ils s’en retournèrent, de la même manière, emportant tous les deux leur charge d’argent.<br />
<br />
Cependant le roi s’aperçut qu’on volait son trésor, et il en fut très étonné, car il n’en confiait jamais la clé à personne, et, par ailleurs, il n’apercevait nulle part aucune trace d’effraction. Alors, il fit disposer des pièges autour des vases qui contenaient l’argent et l’or, pour y prendre le voleur. Et, en effet, le père y fut pris, la nuit suivante. Voyant qu’il ne pouvait s’en tirer, afin de sauver au moins son fils, il lui dit :<br />
<br />
— Coupe-moi la tête, et emporte-la hors d’ici, avec mes vêtements, afin que je ne sois pas reconnu.<br />
<br />
Efflam suivit le conseil de son père, lui coupa la tête et l’emporta, pour l’enterrer dans son jardin.<br />
<br />
Quand le roi vint, le lendemain, à la chambre du trésor, il s’écria avec joie, à la vue du corps inanimé qu’il y trouva :<br />
<br />
— Ah ! voilà enfin le voleur pris !... Voyons qui c’est.<br />
<br />
Mais, ni lui, ni personne ne put reconnaître ce corps sans tête, de sorte que le voilà plus embarrassé que jamais.<br />
<br />
Il fit alors publier, par toute la ville, que le voleur était enfin pris et qu’on allait traîner son corps sur une claie, dans tous les quartiers de la ville.<br />
<br />
Ce qui fut fait, en effet, et quatre soldats, deux devant et deux derrière, accompagnaient le corps, avec ordre de bien écouter et bien regarder autour d’eux, pour voir si quelqu’un pleurerait, ou gémirait, ou paraîtrait désolé, sur leur passage.<br />
<br />
Efflam fit atteler son carrosse, de bonne heure, et, avant de partir, il dit à ceux de sa maison et à ses voisins qu’il allait reconduire son père dans son pays, où il désirait retourner. C’était afin d’expliquer la disparition du vieillard. Arrivé à environ une lieue de la ville, il dit encore à son cocher de dételer un des chevaux de la voiture et de retourner avec lui en toute hâte à la ville, pour rapporter à son père sa bourse, qu’il avait oubliée en partant.<br />
<br />
Le cocher détela un des chevaux et partit. Puis Efflam, voyant venir sur la route un courrier, qui portait des lettres, lui demanda s’il n’était pas fatigué.<br />
<br />
— Pas encore, répondit-il, — mais, je le serai avant la fin de ma tournée, car j’ai beaucoup de chemin à faire.<br />
<br />
— Si tu veux, je te donnerai ma voiture et mon cheval.<br />
<br />
— Ne vous moquez pas de moi, Monseigneur.<br />
<br />
— Je ne me moque pas de toi, et, à preuve, — tiens, prends-les.<br />
<br />
Et Efflam descendit de sa voiture, y fit monter le courrier, presque de force, puis il reprit tranquillement, à pied, la route de la ville. Il rencontra son cocher qui revenait et lui dit :<br />
<br />
— Je vous ai encore fait faire un voyage inutile : mon père avait sa bourse, dans sa poche, et ne le savait pas : à son âge, la mémoire commence à faiblir. Je lui ai donné ma voiture et mon cheval, pour s’en retourner dans son pays, et je rentre vite, car je me suis rappelé à temps que j’ai besoin d’être à la maison aujourd’hui.<br />
<br />
Et il monta sur le cheval que ramenait le cocher et partit au galop.<br />
<br />
En rentrant, il mit sa sœur au courant de tout, et lui recommanda bien de ne pas pleurer, ni de gémir, ni de paraître triste, ni même de se cacher, quand passerait le corps mutilé de son père, traîné sur une claie, lui expliquant que si elle manifestait le moindre signe de douleur, elle le perdrait et se perdrait elle-même.<br />
<br />
Bientôt, on entendit la foule qui criait : — Voici le voleur du trésor du roi !... Tout le monde accourait sur le seuil des maisons, et une grande foule suivait le corps sans tête, et personne ne pouvait dire qui il était. Quand on passa devant la maison de Efflam, il était aussi sur le seuil de sa porte, avec sa sœur à côté de lui. Mais Hénori, ne pouvant supporter ce spectacle, poussa un cri et se retira dans la maison. Efflam la suivit, et, tirant son poignard, il lui fit une blessure à la main. Deux soldats se présentèrent aussitôt et dirent :<br />
<br />
— Nous avons entendu pousser des cris de douleur, dans cette maison.<br />
<br />
— Oui, leur dit Efflam, c’est ma sœur qui, s’étant blessée avec mon poignard, crie ainsi : voyez comme elle saigne !...<br />
<br />
Et, en effet, la jeune fille saignait et criait toujours. Les soldats se retirèrent là-dessus.<br />
<br />
Ce stratagème n’ayant pas réussi au roi, il s’avisa d’autre chose. Il fit suspendre le corps du voleur à un clou fiché dans le mur de son palais, et poster des gardes aux aguets, dans le voisinage, persuadé que, la nuit venue, les parents ou les amis du voleur essaieraient d’enlever son corps.<br />
<br />
Quand Efflam vit cela, il se déguisa en marchand de vin, chargea un âne d’outres de vin mélangé d’un narcotique et s’en alla passer avec lui, et accompagné de sa sœur, au pied du mur du palais, où était suspendu le corps de son père. D’un coup d’épaule, il fit tomber les outres, dont une, préparée à cet effet, se déboucha. Sa sœur et lui se mirent à crier et à appeler au secours. Les gardes accoururent, les aidèrent à recharger les outres sur l’âne, et reçurent pour récompense celle qui s’était débouchée en tombant, mais qui, néanmoins, était encore plus d’à moitié pleine. Efflam et sa sœur poursuivirent alors leur chemin. Mais, ils revinrent sur leurs pas, environ une heure plus tard, et trouvèrent les gardes étendus par terre et profondément endormis, comme s’ils étaient morts. Fort bien ! dirent-ils.<br />
<br />
Et ils se rendirent alors à un couvent de moines, qui se trouvait dans le voisinage, sous prétexte de leur vendre d’excellent vin, à bon marché. Au moyen de leur vin, ils endormirent les moines, depuis l’abbé jusqu’au portier, et en profitèrent pour enterrer leur père en terre sainte, dans le cimetière du couvent. Puis, ils opérèrent un changement de vêtements entre les moines et les soldats, de manière que les moines se trouvèrent être accoutrés, en soldats, et les soldats, en moines.<br />
<br />
Le lendemain matin, quand fut venue l’heure de chanter matines, les moines se traînèrent jusqu’à la chapelle, encore à moitié endormis et n’y voyant pas clair. Le premier d’entre eux qui s’aperçut du singulier travestissement de l’abbé en resta d’abord tout interdit. Il se frotta les yeux, croyant avoir mal vu. Mais comme il continuait de voir devant lui un soldat et non un moine, il poussa son voisin du coude, en lui disant :<br />
<br />
— Voyez donc notre abbé, comme il est accoutré ! Qu’est-ce que cela veut dire ?<br />
<br />
Grand étonnement du voisin, à son tour. Mais, en portant leurs regards sur les voisins de droite et de gauche de l’abbé, ils les voient également travestis en soldats, puis toute la rangée de moines qui leur font face, de l’autre côté du chœur ; enfin, en se regardant eux-mêmes, ils reconnaissent qu’ils sont tous habillés en soldats. Qu’est-ce à dire ? C’est sans doute un tour de l’esprit malin ! Et les chants et les prières cessent, et l’on essaie de pénétrer ce mystère...<br />
<br />
Cependant, quand le capitaine vint, le matin, visiter les soldats préposés à la garde du corps du voleur, il fut aussi fort étonné de les trouver tous profondément endormis et travestis en moines. Mais, ce qui était pis encore, c’est que le corps du voleur avait disparu. Il entra dans une grande colère, jura, tempêta et réveilla les soldats, à coups de pied.<br />
<br />
Le bruit se répandit promptement dans la ville que le corps du voleur du trésor du roi avait été enlevé, et que les soldats préposés à sa garde avaient été trouvés, le matin, ivres-morts et déguisés en moines, tandis que les moines du couvent voisin, également ivres, portaient l’uniforme des soldats. C’était inévitablement un nouveau tour d’un compère du voleur du trésor royal. Cela fit du bruit dans la ville, et on en rit beaucoup.<br />
<br />
— Je suis encore joué ! dit le roi, en apprenant tout ce qui s’était passé ; il faut convenir que c’est là un voleur bien habile ; mais, c’est égal, je veux savoir jusqu’où va son habileté, car j’espère bien la trouver en défaut.<br />
<br />
Et il fit publier alors, dans toute la ville, qu’il ferait exposer, le lendemain, sur la place publique, devant son palais, une belle chèvre blanche qu’il avait et qu’il aimait beaucoup, et que si le voleur parvenait à la lui dérober, elle lui appartiendrait.<br />
<br />
— C’est bien ! se dit Efflam, en entendant publier cela ; la chèvre blanche du roi sera à moi, demain, avant le coucher du soleil.<br />
<br />
Le lendemain, la chèvre blanche fut en effet exposée sur la place, devant le palais du roi, et il s’y réunit une foule considérable, curieuse de savoir comment le voleur viendrait à bout de l’enlever, malgré les soldats qui la gardaient. Le roi lui-même était à son balcon, avec !a reine, et entouré de princes, de généraux et de courtisans.<br />
<br />
Efflam se coiffa alors de son chapeau magique et enleva la chèvre, le plus facilement du monde, sans que personne y vît ni comprît rien.<br />
<br />
— Je suis encore joué ! s’écria le roi, avec dépit, quand il s’aperçut que la chèvre avait disparu. Mais, qui est donc cet homme ? Il faut que ce soit un grand magicien, car il y a de la magie dans tout ceci. N’importe ! je ne me tiens pas pour battu, et je veux savoir jusqu’où cela ira.<br />
<br />
Efflam avait tué la chèvre du roi, dès en rentrant chez lui, et avait dit à sa sœur de l’accommoder pour leurs repas, pendant qu’elle durerait, en lui recommandant bien de faire sa cuisine dans le plus grand secret, et de n’en donner le moindre morceau ni à mendiant ni à nulle autre personne. Ils devaient manger la chèvre à eux deux.<br />
<br />
Cependant, le roi songeait au moyen de mettre à une nouvelle épreuve l’habileté et la finesse de son voleur. Il fit venir un mendiant aveugle et lui dit d’aller demander l’aumône aux portes de toutes les maisons de la ville, et de solliciter partout un peu de viande, qu’il goûterait aussitôt que reçue. Si on lui donnait quelque part de la viande de chèvre, il devait, avec un morceau de craie blanche, faire une croix sur la porte de la maison où il l’aurait reçue, et venir l’avenir sur-le-champ.<br />
<br />
Le mendiant commença aussitôt sa tournée. Quand il arriva à la maison d’Efflam, la sœur de celui-ci, qui avait sans doute oublié la recommandation de son frère, ou qui ne craignait pas d’être dénoncée par un aveugle, qui ne connaissait ni elle ni la maison, lui donna un morceau de la chèvre du roi. L’aveugle s’en aperçut, dès qu’il y eut goûté, et, à l’insu de la jeune fille, qui était rentrée dans la maison, après avoir fait son aumône, il marqua la porte de la maison d’une croix blanche, et se hâta ensuite d’aller en avertir le roi. Celui-ci envoya quatre soldats à la recherche de la maison dont la porte était marquée d’une croix blanche, à la craie, avec ordre de lui amener sur-le-champ les habitants de cette maison. Mais Efflam avait remarqué la croix blanche de sa porte et il interrogea sa sœur et lui demanda si elle ne lui avait désobéi en rien. Hénori lui dit qu’elle avait bien donné les restes de leur dernier repas à un vieux mendiant, qui avait excité sa commisération, mais, qu’il n’y avait rien à craindre de sa part, puisqu’il était aveugle. Efflam, sans attendre un mot de plus, se procura un morceau de craie blanche et se mit à parcourir la ville, en traçant des croix sur toutes les portes.<br />
<br />
Les soldats s’arrêtèrent à la première porte où ils aperçurent une croix et dirent :<br />
<br />
— C’est ici. Ils entrèrent dans la maison et trouvèrent deux vieillards, mari et femme, et les invitèrent à les accompagner jusqu’au palais du roi.<br />
<br />
— Que nous veut le roi ? demandèrent-ils, tout étonnés.<br />
<br />
— Vous avez volé son trésor et sa chèvre.<br />
<br />
— Comment l’aurions-nous fait, s’écrièrent-ils, saisis de frayeur, vieux et incapables comme nous le sommes ? Il y a plus de six mois que nous n’avons mis le pied hors de notre maison.<br />
<br />
Les soldats, les voyant si vieux et si incapables, se regardèrent et se dirent :<br />
<br />
— Ce ne sont pas eux, évidemment ; voyons si nous ne trouverons pas de croix à quelque autre porte.<br />
<br />
Et ils sortirent et s’aperçurent, avec surprise, que les portes de toutes les maisons du quartier portaient des croix semblables ; ils l’allèrent dire au roi.<br />
<br />
— Quel homme que ce voleur ! s’écria le roi. Et il rêva à un autre moyen de le prendre en défaut.<br />
<br />
Le lendemain matin, il fit publier, par toute la ville qu’il exposerait sa couronne royale, sur la place publique, devant son palais, et qu’elle appartiendrait à celui qui pourrait la dérober, sans se faire prendre.<br />
<br />
Efflam, en entendant cela, se dit en lui-même :<br />
<br />
— Sa couronne sera à moi, comme sa chèvre.<br />
<br />
La couronne royale fut exposée, à l’heure et à l’endroit désignés. Une foule considérable était rassemblée sur la place, curieuse de voir si le voleur réussirait encore à l’enlever.<br />
<br />
Le roi et sa cour étaient au balcon du palais, et de nombreux soldats montaient la garde, l’épée nue, autour du coussin de velours sur lequel la couronne était déposée. Mais, toutes ces précautions ne servirent à rien, et Efflam, s’étant coiffé de son chapeau magique, enleva la couronne du roi, aussi facilement qu’il avait enlevé sa chèvre.<br />
<br />
Le vieux monarque, convaincu qu’il avait affaire au plus fin voleur de son royaume, et, de plus, à un grand magicien, sans doute, comprit que c’était en vain qu’il essayait de lutter avec lui, et il pensa alors que ce qu’il avait de mieux à faire, c’était de le conquérir et de se l’attacher, au lieu de le persécuter. Il fit donc publier qu’il exposerait, le lendemain, sa fille unique, au même endroit où avaient été exposées la chèvre blanche et la couronne royale, et que si le voleur parvenait également à l’enlever, il la lui accorderait pour épouse.<br />
<br />
Il était, à présent, bien persuadé que le voleur se tirerait de cette dernière épreuve, aussi facilement que des autres.<br />
<br />
Et, en effet, Efflam enleva encore la princesse, de la même -manière, et la conduisit dans sa maison, sans que personne sût ce qu’elle était devenue. Puis, quand le roi fut rentré dans son palais, il s’y rendit aussi, accompagné de la princesse, et rappela sa promesse au vieux monarque. Celui-ci ne fit aucune difficulté pour tenir sa parole, et les noces d’Efflam et de la princesse furent célébrées, alors, avec pompe et solennité. Bien plus, le roi, qui était veuf, prit lui-même pour femme Hénori, la sœur de son gendre, et, pendant un mois entier, il y eut des fêtes, des jeux et des festins magnifiques, tous les jours.<br />
<br />
== Variante ==<br />
Ce conte, altéré et mélangé, dérive évidemment de celui qui se trouve dans Hérodote, livre II, chap. 121, au sujet du trésor du roi Rhampsinit.<br />
<br />
Une autre version du même conte, connue également à Morlaix et aux environs, se rapproche davantage du récit d’Hérodote, et est moins altérée ; mais, le conteur qui m’en a révélé l’existence n’a pu m’en donner qu’une analyse incomplète, la mémoire lui faisant défaut. Dans cette version, les voleurs du trésor du roi sont un maçon et son fils, qui ont construit la tour où sont déposées les richesses royales et se sont ménagé la faculté de pouvoir y entrer, à discrétion, en disposant une pierre du mur de manière à ce que l’enlèvement leur en fût possible, à volonté. — Quand le roi s’aperçoit qu’on le trompe, il consulte un ancien voleur renommé par sa finesse et ses exploits, et à qui il a fait crever les yeux, pour y mettre un terme. Il l’a néanmoins conservé près de lui, pour pouvoir profiter, au besoin, de son expérience et de ses conseils. Le voleur aveugle lui conseille de faire brûler du genêt vert, dans la chambre du trésor, après en avoir bien fermé et calfeutré la porte, et d’observer si la fumée ne trouvera pas quelque issue. On agit ainsi, et l’on remarque qu’un mince filet de fumée sort par une fissure presque imperceptible.<br />
<br />
— C’est par là, dit alors l’aveugle, que le voleur pénètre dans la chambre du trésor.<br />
<br />
On examine de près, et l’on découvre, en effet, un passage secret, très habilement ménagé. Des pièges sont disposés autour des vases qui contiennent le trésor, une roue garnie de rasoirs, dit le conteur. Le père, qui entre le premier, y a la tête tranchée. Son fils emporte la tête et ne laisse que le corps sur les lieux, après l’avoir dépouillé de ses vêtements, qu’il emporte également.<br />
<br />
— Ils sont au moins deux, dit alors l’aveugle.<br />
<br />
Le reste, comme dans le conte qui précède, moins les épisodes de l’exposition de la chèvre, de la couronne royale et de la princesse. Le roi finit également par accorder la main de sa fille au voleur.<br />
[[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Petit-Jean_et_la_princesse_devineressePetit-Jean et la princesse devineresse2012-06-15T08:41:23Z<p>Admin : Page créée avec « '''Petit-Jean et la princesse devineresse'''. Conté par Guillaume Garandel. — Plouaret, 1871. ==Texte intégral== Il y avait une fois un roi de France, qui avait une fille... »</p>
<hr />
<div>'''Petit-Jean et la princesse devineresse'''. Conté par Guillaume Garandel. — Plouaret, 1871.<br />
==Texte intégral==<br />
Il y avait une fois un roi de France, qui avait une fille, laquelle était une très habile devineresse. La princesse passait tout son temps à résoudre des énigmes et des problèmes de toute sorte, et elle en était arrivée à n’en plus trouver d’assez difficiles, de sorte que tout ce qu’on lui proposait de plus compliqué et de plus obscur n’était qu’un jeu pour elle.<br />
<br />
Elle fit publier, dans tout le royaume, qu’elle prendrait pour époux l’homme, quel qu’il fût, qui lui proposerait une énigme dont elle ne fournirait pas la solution, dans trois jours ; mais, en revanche, à chaque problème qu’elle résoudrait, celui qui l’aurait proposé serait aussitôt mis à mort.<br />
<br />
De tous les points du royaume, et même des pays étrangers, il vint une foule de prétendants, des gens de toute condition, depuis des princes jusqu’à des charbonniers et des tailleurs de campagne, avec des énigmes et des problèmes qu’ils regardaient tous comme insolubles. La princesse les recevait, du haut d’un balcon, dans la cour du palais de son père, tout habillée de rouge, une couronne d’or sur la tête, une étoile de diamant au front, une baguette blanche à la main, et l’air hautain et cruel comme une tyranne (evel eun dirantès). Tout autour de la cour, on voyait suspendus aux murailles et à des poteaux patibulaires, les cadavres et les squelettes décharnés de ses victimes. Elle donnait ordinairement ses réponses, séance tenante, et aussitôt le pauvre prétendant vaincu était saisi par quatre valets, à mine féroce, et pendu impitoyablement.<br />
<br />
Il y avait au pays de Tréguier un jeune seigneur nommé Fanch de Kerbrinic, pas des plus fins, et qui pourtant voulait aller aussi proposer une énigme à la princesse. Il habitait son manoir de Kerbrinic, seul avec sa vieille mère. Celle-ci faisait tout son possible pour détourner son fils de son téméraire projet ; mais, c’était en vain.<br />
<br />
Un jour que Fanch de Kerbrinic était allé à la chasse, il rencontra, sur la grand’route, un soldat revenant de la guerre, et qui avait nom Petit-Jean. Le soldat salua le chasseur, ils lièrent conversation ensemble et entrèrent dans une auberge, au bord de la route, pour boire quelques chopines de cidre et faire plus ample connaissance. Petit-Jean, qui était un malin, eut bientôt jugé le degré d’intelligence de son nouveau camarade, et il lui parla beaucoup de ses voyages, de ses combats et lui vanta, en termes pompeux, les beautés, les merveilles et les plaisirs des villes et des pays lointains qu’il avait visités. Fanch de Kerbrinic, qui n’était jamais allé plus loin que Tréguier ou Lannion, écoutait, tout ébahi et ébloui, les récits et les descriptions du soldat.<br />
<br />
— Comment donc, Monseigneur, lui dit Petit-Jean, n’avez-vous pas songé à aller aussi proposer votre énigme à la fille du roi ? Beau garçon et rempli d’esprit comme vous l’êtes, je suis persuadé que vous viendriez à bout d’elle ; car, jusqu’à présent, elle n’a eu affaire qu’à des imbéciles.<br />
<br />
— J’y ai bien songé, répondit le jeune seigneur de Kerbrinic, mais, ma mère ne veut pas me laisser partir.<br />
<br />
— Ah ! vous y avez songé ? Mais, alors, vous avez sans doute quelque bonne énigme toute prête ?<br />
<br />
— Oh ! oui ; j’en ai même deux.<br />
<br />
— A la bonne heure ; ne voudriez-vous pas m’en faire part ?<br />
<br />
— Je ]e veux bien, mais, n’en dites rien à personne, je vous en prie, car un autre pourrait arriver avant moi avec mes énigmes, et enlever la princesse.<br />
<br />
— Ne craignez rien, foi de brave soldat, je vous garderai le secret le plus absolu.<br />
<br />
— Eh bien ! voici la première :<br />
:''Devinn a dolan dreist ann ti.''<br />
:''Ha me krog’n etir penn anezhi.''<br />
:Devine ce que je jette pardessus la maison,<br />
:Tout en en ayant un bout dans la main.<br />
— Une pelotte de fil ; c’est trop facile cela ; un enfant de cinq ans n’en serait pas embarrassé. Voyons l’autre :<br />
:''A dolan unan dreist an ti,''<br />
:''Pa ’z an da welet, kavan tri.''<br />
:Je jette un par-dessus la maison ;<br />
:Quand je vais voir, j’en trouve trois.<br />
— Un œuf ! quand il est cassé, on trouve le blanc, le jaune et la coque, ce qui fait trois. Ce n’est vraiment pas fort, et il faudra mieux que cela, pour se présenter devant la princesse. Mais, emmenez-moi avec vous, suivez de point en point mes instructions, et je vous réponds du succès ; vous vaincrez la princesse, vous l’épouserez et vous serez roi de France.<br />
<br />
— Bien vrai ? demanda le seigneur de Kerbrinic, émerveillé.<br />
<br />
— J’en réponds sur ma tête, dit le soldat.<br />
<br />
— Eh bien, venez avec moi dîner et coucher au manoir de Kerbrinic, parlez à ma mère, et faites en sorte qu’elle me laisse partir avec vous.<br />
<br />
— Je le veux bien, si vous me promettez de me suivre, demain matin, que votre mère le veuille ou non.<br />
<br />
— Je vous le promets ; nous partirons ensemble, demain malin, arrive que pourra.<br />
<br />
Ils se rendirent là-dessus au manoir de Kerbrinic, déjà les meilleurs amis du monde. La vieille châtelaine reçut bien l’hôte que lui amenait son fils, et prit plaisir à l’entendre raconter ses voyages et ses aventures. On parla aussi de la fille du roi, la fameuse devineresse. Petit-Jean dit qu’il n’était bruit que d’elle, dans tout le royaume, qu’elle était d’une beauté merveilleuse, qu’il l’avait vue et qu’il s’étonnait que le jeune seigneur ne tentât pas l’aventure, ayant toutes les chances possibles de réussir, jeune et beau et spirituel comme il l’était.<br />
<br />
La vieille dame ne l’entendait pas ainsi, et elle dit au soldat :<br />
<br />
— Je vous prie de ne pas tourner la tête à mon fils, avec de semblables folies ; je le lui ai dit, plus d’une fois, et je le répète, jamais je ne lui permettrai de tenter une aventure si périlleuse.<br />
<br />
— Je réponds de tout, sur ma tête, répliqua Petit-Jean ; laissez votre fils partir avec moi, demain matin, et je vous le ramènerai roi de France.<br />
<br />
— Jamais ! répondit la mère, et j’aimerais mieux le voir mourir, sous mes yeux.<br />
<br />
Et elle se leva de table et quitta la salle à manger. Fanch de Kerbrinic et Petit-Jean y restèrent encore, quelque temps, à causer et à boire, puis ils allèrent se coucher, bien résolus à prendre ensemble la route de Paris, dès le lendemain matin.<br />
<br />
En quittant la salle à manger, la vieille dame, qui sentait bien que son fils partirait, quoi qu’elle pût faire pour essayer de le retenir, s’était rendue chez une vieille sorcière, qui habitait une masure, près du manoir de Kerbrinic, et elle lui demanda une potion pour faire mourir sur-le-champ deux personnes dont elle voulait se débarrasser. La sorcière lui remit, dans une fiole de verre, la liqueur désirée, en lui disant qu’elle pouvait y avoir toute confiance ; l’effet en était foudroyant. La dame de Kerbrinic alla alors se coucher, sans rien dire à personne.<br />
<br />
Le lendemain, Fanch de Kerbrinic et Petit-Jean se levèrent, de bonne heure, et firent leurs préparatifs de départ. Au moment où ils montaient à cheval, la vieille dame vint à eux, tenant d’une main une fiole, et, de l’autre, deux verres, sur un plat. Elle s’approcha de son fils et lui dit :<br />
<br />
— Puisque tu restes sourd aux conseils de ta mère et persistes à vouloir la quitter, accepte encore d’elle un peu de cette liqueur généreuse, qu’elle a préparée elle-même, et qui te soutiendra dans le périlleux voyage que tu vas entreprendre.<br />
<br />
Et elle lui versa du poison préparé par la vieille sorcière, et en présenta également à Petit-Jean ; puis elle baissa les yeux vers la terre et fit mine de pleurer. Petit-Jean, ayant remarqué l’aspect étrange de la liqueur, flaira une trahison, et il dit doucement à son compagnon, dont le cheval touchait le sien :<br />
<br />
— Ne buvez pas ! faites semblant de boire seulement, et laissez la liqueur tomber dans l’oreille de votre cheval.<br />
<br />
Ils vidèrent tous les deux leurs verres dans les oreilles de leurs chevaux, sans que la vieille s’en aperçût, puis ils partirent, au galop.<br />
<br />
— Au revoir, mon fils, et bonne chance ! dit la dame de Kerbrinic, tout en s’étonnant qu’ils ne fussent pas tombés foudroyés sur place ; mais, ils n’iront pas loin, pensait-elle.<br />
<br />
Nos deux compagnons allèrent bon train, jusqu’au soir ; mais, vers le coucher du soleil, leurs chevaux s’abattirent et moururent. Alors, les deux voyageurs revinrent un peu sur leurs pas, et demandèrent à loger dans une auberge, au bord de la route. Ils passèrent la nuit dans cette auberge, et, le lendemain matin, ils se remirent en route, aussitôt le soleil levé. Quand ils repassèrent à l’endroit où leurs chevaux étaient tombés morts, ils virent sur eux quatre pies, également mortes.<br />
<br />
— Voyez l’effet du poison ! dit Petit-Jean à son compagnon.<br />
<br />
Et il prit deux des pies et dit à Fanch Ker-brinic de prendre les deux autres, ajoutant qu’il saurait en tirer parti ; puis ils continuèrent leur route.<br />
<br />
Ils arrivèrent, tôt après, sur la lisière d’un grand bois, et, comme ils ne connaissaient pas le pays, ils entrèrent dans un fournil banal, pour demander la route la plus courte pour se rendre à Paris. Il y avait là beaucoup de femmes, venues des habitations avoisinantes, et qui préparaient leur pâte pour la mettre au four. Le fournier répondit aux deux voyageurs que le plus court était de passer par les bois ; mais il ajouta qu’il y avait là une bande de voleurs, qui détroussaient les voyageurs. Il y avait une autre route, plus sûre, mais, beaucoup plus longue, qui contournait le bois et que suivaient ordinairement les gens prudents.<br />
<br />
— Nous irons par le plus court, nous traverserons le bois, dit Petit-Jean.<br />
<br />
Puis il pria les femmes qui étaient là de lui donner chacune un morceau de sa pâte, afin d’en faire des gâteaux, qu’ils mangeraient dans le bois, dans le cas où ils se verraient obligés d’y passer la nuit. Les femmes lui donnèrent de la pâte, et il en fit huit petits gâteaux, dans chacun desquels il mit une moitié de pie, de celles qu’ils avaient trouvées sur les corps de leurs chevaux morts. Quand les gâteaux furent cuits, ils les mirent dans leurs poches, et se disposèrent alors à se remettre en route. Mais, comme la nuit approchait, le fournier leur dit qu’il n’était pas prudent de s’engager, à cette heure, dans le bois, et qu’ils feraient bien de prendre l’autre chemin.<br />
<br />
— Bah ! les voleurs ne nous font pas peur, répondit Petit-Jean ; et ils partirent et entrèrent résolument dans le bois.<br />
<br />
Il y avait là plusieurs routes qui se croisaient, et ils s’égarèrent. La nuit vint. Ils craignaient plus que les voleurs les bêtes fauves, dont ils entendaient, de temps en temps, les hurlements et les cris. Après avoir longtemps marché, au hasard, ils aperçurent de la lumière, au fond d’un ravin, et se dirigèrent de ce côté. Ils aperçurent bientôt seize hommes assis, en rond, sur des pierres et des troncs d’arbres, autour d’un grand feu, où cuisait un mouton entier à la broche.<br />
<br />
— Ce sont les voleurs, dit le seigneur de Kerbrinic, allons nous-en.<br />
<br />
— Du tout ! répondit Petit-Jean ; nous allons, au contraire, faire connaissance avec eux, et les prier de nous accorder place au feu et part à leur cuisine. Ce ne sont ordinairement pas d’aussi méchantes gens qu’on le dit.<br />
<br />
Et Petit-Jean s’avança vers le cercle, son chapeau à la main, et dit :<br />
<br />
— Excusez-moi, messieurs, si je vous dérange ; nous sommes deux pauvres voyageurs égarés, dans le bois, et, comme nous avons entendu dire qu’il y a des voleurs par ici, nous venons vous prier de vouloir bien nous permettre de passer la nuit dans votre société, et de nous chauffer à votre feu, car la nuit est froide.<br />
<br />
Les voleurs se regardèrent, en souriant, et celui qui paraissait être le chef répondit :<br />
<br />
— Prenez place dans le cercle, tous les deux, et ne craignez rien des voleurs, pendant que vous serez dans notre société. Demain matin, nous vous remettrons dans le bon chemin.<br />
<br />
Le cercle s’élargit, et Petit-Jean et son compagnon y prirent place, sans façons. Ils tirèrent leurs pipes de leurs poches, et se mirent à fumer, tranquillement, comme les autres, tout en causant. Quand le mouton fut suffisamment cuit, on le débrocha, et chacun coupait le morceau qui lui plaisait. Petit-Jean et le seigneur de Kerbrinic furent invités à faire comme les autres, et il ne fallut pas le leur dire deux fois. Tout le mouton disparut, en un instant, et Petit-Jean dit alors :<br />
<br />
— Puisque vous nous avez si gracieusement invités à partager votre repas, nous voulons aussi vous faire part de ce que nous avons. C’est peu de chose, mais, nous le donnons de bon cœur.<br />
<br />
Et il présenta les huit gâteaux aux voleurs, qui se les partagèrent et les mangèrent sur-le-champ. Mais, pris aussitôt de violentes douleurs d’entrailles, ils se levaient, tournaient sur eux-mêmes et allaient rouler dans le feu, où ils expiraient<ref>Dans une autre version, les gâteaux sont donnés à des lions, que nos deux voyageurs rencontrent, dans le bois, et qui en meurent, comme ici les voleurs.</ref>. Petit-Jean et son compagnon trouvèrent là un grand coffre, rempli d’or et de bijoux. Ils s’en remplirent les poches et partirent, au point du jour.<br />
<br />
Ils passèrent, tôt après, par une ville où il y avait une foire, et s’achetèrent chacun un cheval.<br />
<br />
A force de marcher, ils étaient arrivés à une dizaine de lieues de Paris. Alors, Petit-Jean dit à son compagnon :<br />
<br />
— Voici que nous approchons de Paris, et il faut être à notre affaire. Avez-vous trouvé une énigme à proposer à la princesse, quelque chose qui ne soit pas un jeu d’enfant ?<br />
<br />
— Je ne sais rien autre chose que ce que je vous ai déjà dit, répondit le seigneur de Kerbrinic.<br />
<br />
— Eh bien ! je vais vous en apprendre une ; écoutez bien et tâchez de retenir ; vous direz donc à la princesse : — Quand nous partîmes de la maison, nous étions quatre ; de quatre, il est mort deux ; de deux il est mort quatre ; de quatre nous avons fait huit ; de huit il est mort seize, et nous sommes encore venus quatre vous voir. Comprenez-vous ?<br />
<br />
— Ma foi, non, je n’y comprends rien du tout. Expliquez-moi, je vous prie, ce que tout cela veut dire.<br />
<br />
— Rien n’est plus simple : — Quand nous sommes partis de votre manoir de Kerbrinic, nous étions quatre, vous et moi et nos deux chevaux. — Oui. — De quatre il est mort deux : ce sont nos deux chevaux, qui moururent empoisonnés par la liqueur que nous leur versâmes dans les oreilles, au départ. — Je comprends. — De deux il est mort quatre ; ce sont les quatre pies, que nous trouvâmes mortes, le lendemain, sur les chevaux. — Bien. — De quatre nous avons fait huit ; ce sont les huit gâteaux empoisonnés, que nous avons faits avec les quatre pies. — Oui. — De huit il est mort seize ; ce sont les seize voleurs, empoisonnés et morts pour avoir mangé les gâteaux. — C’est vrai. — Et nous sommes encore venus quatre vous voir : en effet, nous avons acheté deux chevaux, avec l’argent des voleurs, lesquels chevaux et nous deux font encore quatre, comme quand nous sommes partis de Kerbrinic : n’est-ce pas clair ?<br />
<br />
— Très clair, et pourtant, jamais la princesse ne devinera cela.<br />
<br />
— Répétez-moi l’énigme, car il faut que vous l’appreniez, pour la proposer à la princesse.<br />
<br />
— Oui, oui, je vais vous la répéter ; rien n’est plus facile : Quand nous sommes partis de la maison, nous étions quatre ; de quatre il est mort deux ; de deux il est mort trois...<br />
<br />
— Mais non, ce n’est pas comme cela ; écoutez encore, et dites vite, comme ceci.<br />
<br />
Et Petit-Jean récita une seconde fois l’énigme, très rapidement. Kerbrinic voulut faire comme lui, mais, il s’embrouilla encore. Tout le long de la route, il s’y exerça, et, quand ils furent arrivés à Paris, il lui fallut encore deux jours avant de pouvoir la réciter et expliquer convenablement. Le troisième jour, Petit-Jean lui dit :<br />
<br />
— Allez, à présent, au palais, demandez à être introduit devant la princesse, et proposez-lui l’énigme, et prenez garde de vous tromper.<br />
<br />
— Soyez tranquille, je la dis et l’explique, à présent, aussi bien que vous.<br />
<br />
Le seigneur de Kerbrinic mit donc ses beaux habits des jours de fête, et alla frapper avec assurance à la porte du palais du roi. Le portier lui dit :<br />
<br />
— Que demandez-vous, mon brave homme ?<br />
<br />
— Je viens proposer une énigme à la princesse.<br />
<br />
— C’est bien, suivez-moi. Il salua profondément la princesse.<br />
<br />
— Vous venez me proposer une énigme ? lui demanda-t-elle, d’un air hautain.<br />
<br />
— Oui, princesse, je viens vous proposer une énigme ; et une bonne, vous allez voir.<br />
<br />
— Vous savez, sans doute, ce qui vous attend, si je devine votre énigme, et je la devinerai.<br />
<br />
— Je le sais, princesse, mais, je n’ai pas peur, vous ne devinerez pas mon énigme.<br />
<br />
— Eh bien, voyons-la. Et Kerbrinic récita son énigme, rapidement, et en breton, comme suit :<br />
<br />
Pa oamp dent euz ar gêr, ez oamp pevar ; a bevar e varvas daou ; euz a daou a varvas pevar ; euz a bevar a oe grêt eiz ; euz a eiz a varvas c’huzec, hag ez omp deut c’hoas pevar d’ho kwelet. Petra eo kement-se ?<br />
<br />
La princesse parut embarrassée ; elle réfléchit un peu, puis elle dit :<br />
<br />
— Répétez-moi cela, je vous prie ; je crains de n’avoir pas bien entendu.<br />
<br />
Kerbrinic répéta son énigme, une fois, puis une autre fois encore. La princesse, habituée à résoudre, séance tenante, tout problème qu’on lui proposait, paraissait fort contrariée. Elle dit enfin qu’elle répondrait, dans trois jours.<br />
<br />
— Mais, demanda Kerbrinic, mon domestique et moi avec nos deux chevaux serons-nous logés et nourris, pendant ce temps, dans le palais ?<br />
<br />
— Certainement, répondit la princesse ; je vais donner des ordres pour cela.<br />
<br />
Là-dessus, Kerbrinic se retira, alla faire part à Petit-Jean de la manière dont les choses s’étaient passées, et, dès le soir même, ils étaient tous les deux installés dans le palais, avec leurs chevaux.<br />
<br />
La princesse s’était retirée dans son cabinet d’étude, et elle consultait ses livres, grands et petits. Mais, elle avait beau chercher, calculer, réfléchir, elle ne comprenait rien à l’énigme de Petit-Jean, et elle était d’une humeur terrible.<br />
<br />
L’idée lui vint alors que le compagnon de celui qui la mettait dans un si grand embarras pouvait connaître le secret de son maître, et qu’il serait possible de le lui arracher, avec de l’argent. Elle envoya donc une de ses femmes trouver Petit-Jean, avec cent écus. Petit-Jean était à l’écurie, à soigner les chevaux. La femme de chambre l’y alla trouver et lui parla de la sorte :<br />
<br />
— Ma maîtresse m’envoie vous demander si vous connaissez le mot de l’énigme que lui a proposée votre maître.<br />
<br />
— Oui, vraiment, je le connais, répondit Petit-Jean, mais, je ne le dirai à personne.<br />
<br />
— Cependant, si l’on vous payait bien ? J’ai ici cent écus...<br />
<br />
— De l’argent ! ce n’est pas là ce qui me manque ; j’en ai à discrétion, de l’argent !<br />
<br />
Et il lui fit voir une poignée d’or, de celui des voleurs, dont il leur restait encore.<br />
<br />
— Que demandez-vous donc ?<br />
<br />
— Eh bien ! vous êtes si jolie et si agréable, que je veux faire quelque chose pour vous ; venez me trouver, dans ma chambre, ce soir, entre dix et onze heures, et je vous ferai connaître le secret de mon maître, tout en vous laissant les cent écus de votre maîtresse.<br />
<br />
La jeune fille fit d’abord des façons et finit par promettre de venir, si sa maîtresse y consentait.<br />
<br />
Elle alla faire part des exigences de Petit-Jean à la princesse, qui lui dit qu’il lui fallait le secret, coûte que coûte, et que, par conséquent, il fallait aller au rendez-vous. Elle lui promit cent écus pour elle-même.<br />
<br />
Petit-Jean, de son côté, conta tout à Kerbrinic et lui dit :<br />
<br />
— Comme ma chambre est au-dessus de la vôtre, en veillant et en prêtant l’oreille, vous pourrez savoir quand la femme de chambre de la princesse entrera chez moi. Quand elle y sera, depuis une demi-heure environ, je tousserai fort, et aussitôt, vous vous mettrez à faire du bruit, à jurer et à tempêter, disant qu’on veut vous voler, et vous monterez à ma chambre, furieux, ou du moins faisant semblant de l’être, et votre épée nue à la main.<br />
<br />
Kerbrinic promit de faire comme lui dit Petit-Jean.<br />
<br />
Vers dix heures, les deux camarades montèrent à leurs chambres, comme pour se coucher, tranquillement. Peu après, Petit-Jean entendit frapper discrètement à sa porte. Voici la femme de chambre de la princesse, se dit-il, et il alla ouvrir. C’était elle, en effet, et il la fit entrer, en disant :<br />
<br />
— A la bonne heure ! vous êtes exacte, autant que vous êtes jolie ; et il voulut l’embrasser.<br />
<br />
— Oh ! non, non, dit-elle en se reculant.<br />
<br />
— Alors, vous ne saurez pas le secret de mon maître.<br />
<br />
— Eh bien ! puisqu’il le faut ! — Et elle se laissa embrasser et dit : — Faites-moi connaître, à présent, le secret de votre maître.<br />
<br />
— Doucement, ce n’est pas si pressé que cela ; je vous le dirai, mais, demain matin seulement, quand vous vous en irez.<br />
<br />
— Demain matin ! mais, je veux m’en aller tout de suite.<br />
<br />
— Comme vous voudrez, mais, alors, vous ne saurez rien.<br />
<br />
Enfin, elle se résigna à rester, pour gagner les trois cents francs de la princesse, avec les autres trois cents francs que Petit-Jean parlait de lui céder, et aussi pour ne pas encourir la colère de sa maîtresse.<br />
<br />
Petit-Jean la fit se déshabiller et se coucher, sans chemise, parce que, disait-il, il avait fait serment de ne jamais toucher à la chemise d’une femme. Puis, il fit un paquet de tous ses vêtements, y compris la chemise, et les jeta sous le lit, sans qu’elle s’en aperçût. Peu après, il toussa fortement, et aussitôt voilà un beau vacarme dans l’escalier, avec des cris : — Au voleur ! et des jurons effrayants.<br />
<br />
— Qu’est-ce que cela, grand Dieu ? demanda la femme de chambre, mourante de frayeur.<br />
<br />
— C’est mon maître, répondit Petit-Jean ; un homme très violent ; il a bu, selon son habitude, et il n’est pas commode, quand il est dans cet état. Il monte l’escalier, il vient ici ; sauvez-vous, vite, vite !...<br />
<br />
— Où sont mes hardes ? demanda la pauvre femme en sortant du lit, toute troublée.<br />
<br />
— Je ne sais pas, mais, vous n’avez pas le temps de vous habiller ; partez, vous dis-je, vite, vite !...<br />
<br />
Et, folle de frayeur, elle se précipita dans l’escalier, toute nue et abandonnant ses vêtements et son argent. Grâce à l’obscurité qui régnait dans les corridors, elle put arriver à sa chambre, sans aucune fâcheuse rencontre, et elle s’habilla et se rendit aussitôt auprès de sa maîtresse.<br />
<br />
— Eh bien ! lui dit celle-ci, vous m’apportez l’explication de l’énigme ?<br />
<br />
— Hélas ! non ; cet homme est un méchant et un trompeur, qui mérite d’être pendu ; non seulement il ne m’a rien dit de l’énigme, mais, il a encore gardé l’argent. Elle ne dit rien du reste de ce qui lui était arrivé.<br />
<br />
Voilà la princesse bien contrariée. Elle passa encore le reste de la nuit et toute la journée suivante à chercher la solution de l’énigme, ou un moyen de faire parler Petit-Jean, et elle ne trouva rien de mieux que d’envoyer encore, la nuit suivante, une autre de ses femmes, avec une somme double de la première, pour essayer de séduire le malin compère. Pour abréger, il arriva à celle-ci absolument comme à l’autre : elle y laissa aussi sa chemise et son argent, et s’en revint toute nue, et sans rien savoir de l’énigme.<br />
<br />
La troisième nuit, qui était la dernière, la princesse se résolut à se rendre elle-même auprès de Petit-Jean. Elle ne réussit pas mieux que ses femmes, et, comme elles, il lui fallut s’en retourner aussi sans sa chemise, sans le mot de l’énigme et profondément humiliée. De plus, elle laissait six cents écus (1200 fr.) entre les mains de Petit-Jean. Et c’était le lendemain matin qu’expirait le terme. Elle était furieuse, et ne savait à quel démon se vouer.<br />
<br />
Le lendemain matin, le seigneur de Kerbrinic et Petit-Jean se présentèrent ensemble devant la princesse.<br />
<br />
— Les trois jours que vous aviez demandés, princesse, sont expirés, lui dit Kerbrinic, et je viens savoir si vous pouvez me donner l’explication de mon énigme ?<br />
<br />
La Devineresse fut forcée de s’avouer vaincue, et elle pria le seigneur de Kerbrinic de lui expliquer son énigme. Mais, dans la crainte de se tromper, Kerbrinic la lui fit expliquer par Petit-Jean, qui avait l’esprit et la langue plus déliés que lui. Elle reconnut que c’était parfait, ce qui lui coûta beaucoup, sa science comme devineresse ne s’étant jamais trouvée en défaut, jusqu’alors.<br />
<br />
— J’espère, belle princesse, lui dit alors Kerbrinic, de sa voix la plus gracieuse, que votre intention est d’accomplir loyalement et complètement les conditions du défi que j’ai accepté et dont je me suis tiré à mon honneur ?<br />
<br />
— Certainement, répondit-elle ; mais, puisque vous êtes si savant et si malin, je voudrais, auparavant, vous proposer aussi quelque chose, à mon tour.<br />
<br />
— Volontiers, dit Kerbrinic, à qui Petit-Jean avait fait signe d’accepter ; parlez, je suis à vos ordres.<br />
<br />
— Eh bien ! dit-elle, en lui montrant un grand sac, remplissez-moi ce sac de vérités, et alors, je n’aurai plus d’objection à faire et nos noces seront aussitôt célébrées.<br />
<br />
— Ce sera bientôt alors, répondit Kerbrinic ; rassemblez, demain matin, à dix heures, toute votre maison, et, devant tout le monde, je vous remplirai le sac de vérités.<br />
<br />
— C’est entendu, dit la princesse ; à demain matin.<br />
<br />
Le lendemain, à dix heures, la réunion était nombreuse, dans la grande salle du palais. Le vieux roi était sur son trône, la couronne en tête, son sceptre à la main, et ayant à sa gauche la reine, et, à sa droite, la princesse, sa fille. Kerbrinic et Petit-Jean se tenaient au pied du trône, debout, et près d’eux était le sac aux vérités,<br />
<br />
— Que peut-il bien y avoir là-dedans ? se demandait-on, avec impatience.<br />
<br />
Le roi prit alors la parole et dit :<br />
<br />
— Eh bien ! seigneur de Kerbrinic, avez-vous rempli votre sac de vérités ?<br />
<br />
— Oui, sire, il est plein de vérités, répondit Kerbrinic.<br />
<br />
— Faites-nous donc la preuve.<br />
<br />
— Oui, sire, mon valet va vous faire la preuve. Petit-Jean dénoua les cordons du sac et en tira, au grand étonnement des assistants, d’abord, une robe de femme, et l’élevant en l’air, pour que chacun la vît bien, il demanda :<br />
<br />
— Quelqu’une des personnes ici présentes reconnaît-elle cette robe pour lui appartenir ?<br />
<br />
Personne ne réclama la robe ; alors, Petit-Jean, s’adressant à la femme de chambre de la princesse, lui dit : — Il me semble, mademoiselle, que cette robe ressemble beaucoup à celle que vous portiez, ces jours derniers.<br />
<br />
La pauvre fille rougit, baissa la tête et ne dit rien.<br />
<br />
Puis, Petit-Jean retira encore de son sac et successivement : ses jupons, son corset, ses bas et enfin sa chemise, et, à chaque fois, il demandait : — A qui est ceci ? Et l’on riait et plaisantait, à qui mieux mieux, et la pauvre femme de chambre était près de mourir de honte et de confusion.<br />
<br />
— Voilà donc une vérité sortie de mon sac, dit Petit-Jean ; passons, à présent, à une autre.<br />
<br />
Et, continuant de puiser dans le sac, il en retira d’abord une autre robe, une robe de soie, et demanda encore : — Quelqu’une de ces dames reconnaît-elle cette robe pour lui appartenir ?<br />
<br />
Tout le monde reconnut la robe d’une fille d’honneur de la reine.<br />
<br />
Et les rires d’éclater de plus belle. La fille d’honneur se leva et voulut s’en aller ; mais, le roi l’arrêta en disant :<br />
<br />
— Nul ne sortira d’ici, avant que le sac n’ait été vidé.<br />
<br />
Et Petit-Jean retira successivement de son sac tous les vêtements de la fille d’honneur, jusqu’à sa chemise, puis il dit :<br />
<br />
— Voilà donc deux vérités sorties de mon sac ; passons, à présent, à la troisième.<br />
<br />
Mais, la princesse se leva aussitôt et lui dit, d’un ton impérieux :<br />
<br />
— Arrêtez ! n’allez pas plus loin, je vous l’ordonne.<br />
<br />
— Laissez-moi vider mon sac, reprit-il ; le plus beau est au fond ; vous allez voir...<br />
<br />
Mais, la princesse descendit rapidement de son siège, et lui prenant le bras :<br />
<br />
— N’allez pas plus loin, vous dis-je, et fermez votre sac !<br />
<br />
Tout le monde était saisi d’étonnement. Le roi lui-même comprit qu’il était prudent de ne pas aller jusqu’au fond du sac, et il dit à Petit-Jean :<br />
<br />
— Obéissez à la princesse. — Puis, se tournant vers Fanch de Kerbrinic : — Seigneur de Kerbrinic, vous êtes l’homme le plus spirituel et le plus savant de mon royaume ; je suis enchanté de vous avoir pour gendre, et les noces seront célébrées dans la quinzaine, avec toute la pompe et la solennité possibles. Mais, faites-nous encore le plaisir de donner ici, devant toute ma maison, l’explication de votre énigme, qui est la plus merveilleuse qu’on ait jamais entendue.<br />
<br />
— Volontiers, beau-père, répondit Kerbrinic. Et il expliqua encore son énigme, ou plutôt il la fit réciter et expliquer par Petit-Jean, aux applaudissements de toute l’assemblée.<br />
<br />
On envoya, dès le lendemain, un beau carrosse tout doré quérir la dame de Kerbrinic, à son vieux manoir de Kerbrinic, et les noces furent célébrées, tôt après. Ce furent des fêtes, des jeux et des festins continuels, pendant huit jours et davantage.<br />
<br />
Le vieux roi mourut, dans le mois, pour avoir mangé et bu et s’être amusé avec trop peu de modération, disent les mauvaises langues, et Fanch de Kerbrinic lui succéda sur le trône et devint roi de France, grâce à l’esprit de Petit-Jean. Aussi, ne l’oublia-t-il pas, et il en fit son premier ministre.<br />
{{Ref}}<br />
[[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Six_fr%C3%A8res_paresseux_(les)Six frères paresseux (les)2012-06-15T08:36:33Z<p>Admin : Page créée avec « '''Les six frères paresseux'''. Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-du-Nord). ==Texte intégral== Il y avait une fois un seigneur, qui avait six enfants, six... »</p>
<hr />
<div>'''Les six frères paresseux'''. Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-du-Nord).<br />
==Texte intégral==<br />
Il y avait une fois un seigneur, qui avait six enfants, six garçons, qui étaient si paresseux, si paresseux, qu’ils se seraient laissé mourir de faim, s’il leur avait fallu seulement se préparer à manger. Le vieux seigneur avait été riche, autrefois, mais, il avait perdu presque toute sa fortune, dans les guerres qui avaient ruiné son pays, et il lui fallait, à présent, vivre avec beaucoup d’économie, pour tenir son rang. Aussi, exhortait-il souvent ses enfants à apprendre quelque métier, leur représentant qu’ils seraient, un jour, obligés de travailler, pour vivre. Ils ne l’écoutaient pas, et disaient qu’il radotait. Voyant cela, il donna deux cents écus à chacun d’eux, et leur dit d’aller voyager, pendant un an, afin d’apprendre quelque chose. Il leur donnait rendez-vous, dans son château, au bout d’un an et un jour.<br />
<br />
Les six frères partirent donc, heureux d’avoir tant d’argent dans leurs poches. Ils prirent tous des routes différentes.<br />
<br />
Le premier arriva dans une ville où il vit beaucoup de monde rassemblé, sur une place. Il se mêla à la foule et demanda la raison de ce rassemblement.<br />
<br />
— Vous ne voyez donc pas ? lui répondit l’homme à qui il s’était adressé, en lui montrant du doigt un homme qui grimpait sur un arbre avec la faclité d’un écureuil.<br />
<br />
Cet homme grimpait avec la même facilité sur les maisons, sur les murailles et les tours les plus élevées. Notre voyageur en était émerveillé, et il se disait en lui-même :<br />
<br />
— Ah ! si je savais grimper comme celui-là ! Quand le grimpeur eut terminé ses exercices,<br />
<br />
il alla droit à lui et lui demanda :<br />
<br />
— Veux-tu m’apprendre à grimper comme toi ?<br />
<br />
— Oui, si tu me paies bien, répondit le grimpeur.<br />
<br />
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.<br />
<br />
— Et combien as-tu donc d’argent ?<br />
<br />
— Deux cents écus.<br />
<br />
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai mon métier.<br />
<br />
Et il donna ses deux cents écus au grimpeur. qui l’emmena partout à sa suite, et lui apprit à grimper comme lui-même.<br />
<br />
Le second des six frères rencontra un homme qui soudait et remettait dans leur état primitif toutes les choses cassées, tous les vases et ustensiles de terre, de verre, de bois et de différents métaux. Il s’arrêta à le regarder, et il admirait son travail et pensait en lui-même :<br />
<br />
— Je voudrais bien savoir souder et raccommoder les objets comme cet homme-là !<br />
<br />
Après l’avoir regardé et admiré longtemps, il lui demanda :<br />
<br />
— Veux-tu m’apprendre à souder comme toi ?<br />
<br />
— Oui, si tu me paies bien, répondit le soudeur.<br />
<br />
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.<br />
<br />
— Mais combien as-tu d’argent ?<br />
<br />
— Deux cents écus.<br />
<br />
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai mon métier.<br />
<br />
Il donna ses deux cents écus au soudeur, et celui-ci l’emmena partout à sa suite et lui apprit à souder, comme lui-même.<br />
<br />
Le troisième frère rencontra un chasseur, qui avait un arc et des flèches et qui atteignait tout ce qu’il visait, jusqu’aux mouches qui volaient en l’air. Il admira son adresse et souhaita la posséder lui-même. Il lui demanda donc :<br />
<br />
— Veux-tu m’apprendre à tirer de l’arc comme toi ?<br />
<br />
— Oui, si tu me paies bien, répondit le chasseur.<br />
<br />
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.<br />
<br />
— Mais combien as-tu d’argent ?<br />
<br />
— Deux cents écus.<br />
<br />
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai à tirer de l’arc, comme moi-même.<br />
<br />
Il donna ses deux cents écus au chasseur, et celui-ci l’emmena partout à sa suite, et lui apprit à tirer de l’arc, comme lui-même.<br />
<br />
Le quatrième frère rencontra un homme qui jouait du violon, et tous ceux qui entendaient le son de son instrument dansaient, bon gré, mal gré, jusqu’à ce qu’il cessât d’en jouer ; et quand il en jouait près d’un mort, ou dans les cimetières, les cadavres eux-mêmes se levaient et se mettaient à danser. Quand il eut dansé quelque temps, en compagnie de plusieurs autres, aux sons de ce merveilleux instrument, l’homme cessa de jouer, et alors il lui demanda :<br />
<br />
— Veux-tu m’apprendre à jouer du violon, de manière à ce que tous ceux qui entendront les sons de mon instrument se mettent aussi à danser, et que je puisse ressusciter les morts ?<br />
<br />
— Oui, si tu me paies bien, répondit l’homme au violon.<br />
<br />
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.<br />
<br />
— Mais combien as-tu d’argent ?<br />
<br />
— Deux cents écus.<br />
<br />
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai à jouer du violon, de manière à ce que tous ceux qui entendront les sons de ton instrument se mettent à danser, et que tu ressuscites aussi les morts.<br />
<br />
Il donna ses deux cents écus à l’homme au violon, et celui-ci lui céda son violon, et lui apprit à en jouer, comme lui-même.<br />
<br />
Le cinquième frère rencontra, dans un bois, un homme qui construisait des bâtiments qui allaient aussi bien par terre que par mer. Il resta longtemps à le considérer et à admirer son travail, puis il lui demanda :<br />
<br />
— Veux-tu m’apprendre à construire aussi des bâtiments qui vont aussi bien par terre que par mer ?<br />
<br />
— Oui, si tu me paies bien, répondit le constructeur de bâtiments.<br />
<br />
— Je te donnerai tout l’argent que j’ai.<br />
<br />
— Mais, combien as-tu d’argent ?<br />
<br />
— Deux cents écus.<br />
<br />
— C’est entendu ; donne-moi tes deux cents écus, et je t’apprendrai à faire des bâtiments qui vont aussi bien par terre que par eau.<br />
<br />
Il donna ses deux cents écus au constructeur de bâtiments, et celui-ci le garda avec lui et lui apprit son métier.<br />
<br />
Le sixième frère arriva dans une ville où il vit, sur une place publique, un vieillard qui avait sa tête dans un sac, et qui faisait profession de deviner des énigmes et toutes sortes de problèmes, de prédire l’avenir, de retrouver les objets perdus, enfin de répondre à toutes les questions qu’on lui adressait. Il admira sa science et désira prendre des leçons de lui. Il lui demanda donc :<br />
<br />
— Veux-tu m’apprendre à être devineur et savant comme toi ?<br />
<br />
— Oui, si tu me paies bien, répondit le vieillard.<br />
<br />
— Je te donnerai tout ce que j’ai d’argent.<br />
<br />
— Mais, combien as-tu d’argent ?<br />
<br />
— Deux cents écus.<br />
<br />
— C’est entendu ; donne-moi les deux cents écus, et je t’apprendrai mon métier.<br />
<br />
Il donna ses deux cents écus au vieux savant, et celui-ci l’emmena à sa maison, lui mit ses livres entre les mains, lui révéla ses secrets et lui apprit à prédire l’avenir, à résoudre les problèmes, les énigmes et toutes les questions qui lui seraient posées, sur toutes sortes de sujets.<br />
<br />
Au bout d’un an et un jour, les six frères se retrouvèrent sur la grande lande où ils s’étaient séparés et où ils s’étaient donné rendez-vous. Le grimpeur arriva le premier, puis successivement, le soudeur, le tireur, ie joueur de violon et le devineur, et ils s’embrassaient, à mesure qu’ils arrivaient, et étaient heureux de se revoir. Seul, le constructeur de bâtiments était en retard, et les cinq autres frères commençaient à craindre qu’il eût eu plus mauvaise chance qu’eux, qu’il fût peut-être mort, lorsqu’ils entendirent, tout à coup, un grand bruit et virent venir, à travers les champs, les bois, renversant tout sur son passage, un beau bâtiment, sur lequel ils reconnurent le retardataire.<br />
<br />
— Le voici ! le voici ! s’écrièrent-ils. Quel beau bâtiment il amène ! et quel singulier bâtiment, qui va sur la terre, comme les autres sur l’eau !<br />
<br />
Quand les six frères se retrouvèrent réunis, ils s’interrogèrent sur leurs voyages et sur les choses qu’ils avaient apprises. Chacun d’eux était content de son sort.<br />
<br />
— Moi, dit l’aîné, j’ai appris à grimper, comme un chat, sur les arbres, les maisons, les murailles et les tours les plus élevées.<br />
<br />
— Moi, dit le second, j’ai appris à souder toutes les choses cassées et rompues, et à les remettre dans leur premier état, de manière à tromper l’œil le plus exercé.<br />
<br />
— Moi, dit le troisième, j’ai un arc et des flèches avec lesquels j’atteins tout ce que je vise ; tenez, voyez cette hirondelle qui passe.<br />
<br />
Et il lança une flèche, et l’hirondelle tomba à ses pieds.<br />
<br />
— Moi, dit le quatrième, j’ai là un violon comme vous n’en avez jamais vu. Lorsque j’en joue, tous ceux qui l’entendent sont forcés de danser, bon gré, mal gré ; les morts mêmes ressuscitent et se mettent en mouvement.<br />
<br />
— Moi, dit le cinquième, j’ai appris à faire des bâtiments qui vont aussi bien par terre que par eau, comme vous le voyez.<br />
<br />
Et il leur montrait le bâtiment sur lequel il était venu.<br />
<br />
— Et moi, dit le sixième et dernier, j’ai étudié, pendant toute l’année, chez un vieux savant, un magicien, et j’ai appris à résoudre toutes les énigmes, tous les problèmes, à retrouver les objets perdus, à prédire l’avenir, et mille autres choses encore. D’après ce que je vois, mes frères, nous avons tous profité à voyager, et notre père, qui nous accusait toujours de paresse et d’ignorance, sera bien étonné, quand il verra tout ce que nous avons appris, en si peu de temps. Mais, avant de rentrer à la maison, je suis d’avis que nous devrions nous associer, pour mener à bonne fin quelque entreprise difficile, car je suis persuadé qu’en réunissant notre science et nos talents, il est peu de choses que nous ne puissions faire.<br />
<br />
Les cinq autres frères approuvèrent l’avis du plus jeune, le devineur, et celui-ci reprit alors :<br />
<br />
— Eh bien ! je vous propose d’entreprendre la délivrance de la Princesse aux Cheveux d’Or, qui est retenue captive par un serpent, un monstre hideux, dans son château d’or, suspendu par quatre chaînes d’or au-dessus d’une île, qui est au milieu de la mer.<br />
<br />
— Allons délivrer la Princesse aux Cheveux d’Or ! crièrent les cinq frères sans hésiter.<br />
<br />
— Pendant mon séjour chez le magicien, reprit le devineur, j’ai appris dans ses livres comme il faut s’y prendre, pour réussir dans une entreprise si difficile. Écoutez-moi donc bien et je vais indiquer à chacun de vous quel sera son rôle et ce qu’il devra faire. Notre frère le constructeur de bâtiments nous conduira dans l’île, au-dessus de laquelle est suspendu le château. Il y a là, entre les quatre chaînes d’or qui retiennent le château, une grande cloche, qui sonne d’elle-même, dès que quelqu’un débarque dans l’île. Quand le serpent entend sonner la cloche, il quitte son château et vient planer au-dessus de l’île (car il a des ailes), et s’il y aperçoit un être animé, homme ou bête, il lance contre lui des torrents de feu, et, en un instant, il le réduit en cendres. Notre premier soin, en débarquant dans l’île, sera donc de remplir la cloche d’étoupe, afin de l’empêcher de sonner. Notre frère le grimpeur montera alors jusqu’au château, le long d’une des chaînes d’or. Il y arrivera de nuit et pénétrera jusqu’à la princesse, par la fenêtre de sa chambre à coucher, qu’elle laisse ordinairement ouverte. Il la trouvera couchée sur un beau lit de soie et de dentelle, et i1 l’enlèvera lestement et nous l’amènera dans l’île. Si cette première partie de l’entreprise réussit, comme je l’espère, le plus difficile sera fait, et je dirai, en temps et lieu, à nos frères le tireur, le soudeur, le joueur de violon et le constructeur de bâtiments, ce qu’ils auront à faire, car nous aurons aussi besoin de leur secours.<br />
<br />
Les six frères montèrent alors sur le bâtiment, qui partit aussitôt, naviguant tantôt sur terre, tantôt sur mer, et les conduisit, sans encombre, jusqu’à l’île. Ils débarquèrent, coururent aussitôt à la cloche et la remplirent d’étoupe, avant qu’elle eût sonné. Le grimpeur monta alors le long d’une des chaînes d’or, arriva jusqu’au château, pénétra jusqu’à la princesse, l’enleva et redescendit avec elle dans l’île. Tout cela fut fait rapidement et adroitement. La princesse était si belle, si belle, que les six frères restèrent quelque temps à la regarder, silencieux, la bouche ouverte, et immobiles comme des statues. Heureusement que le devineur, qui connaissait le péril de leur situation, cria bientôt :<br />
<br />
— Allons, frères, remettons, vite, à la voile. Le serpent se réveillera avec le soleil, et quand il s’apercevra que la Princesse a quitté son château, il se mettra aussitôt à sa poursuite. En route donc, car nous avons déjà perdu un temps précieux.<br />
<br />
Et l’on partit, sans autre délai.<br />
<br />
Quand le soleil se leva, au matin, le serpent, qui ne se doutait de rien, se rendit, comme d’habitude, à la chambre de la Princesse. Quand il vit qu’elle avait disparu, il poussa un cri épouvantable et partit aussitôt à sa poursuite.<br />
<br />
Cependant, nos navigateurs avançaient, poussés par un vent favorable. Le ciel était clair et le soleil montait, radieux, à l’horizon. Tout à coup le ciel s’obscurcit.<br />
<br />
— C’est le serpent qui arrive ! s’écria le devineur.<br />
<br />
Et, levant les yeux en l’air, ils}purent, en effet, apercevoir le monstre, qui s’avançait rapidement sur eux.<br />
<br />
— A toi, tireur ! cria alors le devineur ; prends ton arc et tes flèches, et, quand le monstre sera au-dessus du bâtiment, tu apercevras dans son corps, à l’endroit du cœur, un petit point blanc et rond comme un bouton. Il faudra l’atteindre juste en cet endroit, ou nous sommes perdus !<br />
<br />
— Sois tranquille, mon frère, répondit le tireur en ajustant une flèche à son arc.<br />
<br />
Quand le serpent fut au-dessus du bâtiment, il visa ; la flèche partit et toucha droit au but, car le corps du monstre, privé de vie, tomba aussitôt sur le bâtiment, qui fut rompu et partagé en deux par cette masse énorme. La Princesse tomba dans l’eau et coula au fond.<br />
<br />
— A ton tour de travailler, soudeur ! cria le devineur, qui plongeait en même temps sur la princesse.<br />
<br />
Le soudeur fit son devoir, vite et bien, et le devineur retrouva aussi la Princesse, au fond de l’eau, avec beaucoup de peine, car la mer était très profonde, en cet endroit, et il la ramena sur le bâtiment. Mais, hélas ! ce n’était plus qu’un cadavre, elle avait cessé de vivre !<br />
<br />
— Vite, à ton violon ! et travaille bien ! cria le devineur au joueur de violon.<br />
<br />
Et celui-ci se mit à jouer de son instrument, en y mettant tout son savoir-faire, et ses cinq frères se mirent aussitôt à danser, et la Princesse aussi se mit bientôt en mouvement, et tourna et sauta et gambada avec eux.<br />
<br />
Voilà donc l’entreprise heureusement terminée, et les six frères retournèrent alors chez leur père, triomphants et fiers d’une conquête aussi précieuse que la Princesse aux Cheveux d’Or.<br />
<br />
Le vieillard fut heureux de les revoir tous en vie et en bonne santé, et de plus, ayant chacun un métier dont il pouvait vivre, et il ne les appela plus paresseux.<br />
<br />
Les six frères étaient amoureux de la Princesse, et chacun d’eux prétendait avoir le plus de droits à obtenir sa main. Comme ils ne pouvaient s’entendre à ce sujet, ils convinrent de s’en rapporter au jugement de leur père. Chacun d’eux exposa donc ses raisons et ses prétendus droits au vieux seigneur, assis sur un fauteuil, comme un juge sur son tribunal, et ayant à côté de lui la Princesse.<br />
<br />
L’aîné, le grimpeur, parla d’abord et dit :<br />
<br />
— C’est moi, qui, au péril de ma vie, ai enlevé la Princesse du château où le monstre la retenait captive.<br />
<br />
— C’est moi, dit le constructeur de bâtiments, qui ai construit le bâtiment qui vous a conduits à l’île et vous en a ensuite ramenés.<br />
<br />
— Et c’est moi, dit le soudeur, qui ai soudé et refait le bâtiment, rompu et partagé en deux par la chute du monstre, et, sans moi, vous étiez tous perdus.<br />
<br />
— Et qui est-ce qui a tué le monstre, si ce n’est moi ? dit le tireur.<br />
<br />
— Et la Princesse, qui est-ce qui l’a ressuscitée ? N’est-ce pas moi ? dit le joueur de violon ; et, sans moi, nous n’aurions plus besoin de nous la disputer aujourd’hui, puisqu’elle était morte.<br />
<br />
— Tout cela est bel et bien, dit à son tour le devineur ; mais, n’est-ce pas moi qui ai conseillé chacun de vous et lui ai dit ce qu’il avait à faire, et comment il devait s’y prendre ? N’est-ce pas encore moi qui ai retiré la Princesse du fond de la mer.<br />
<br />
Le vieux seigneur était fort embarrassé et ne savait en faveur duquel de ses fils se prononcer, leur trouvant à tous des droits incontestables, si bien que l’on finit par décider, et c’était bien le plus sage, que ce serait la Princesse elle-même qui ferait son choix.<br />
<br />
L’histoire ne dit pas auquel des six frères elle donna la préférence ; mais, moi, je croirais volontiers que ce fut au devineur, parce qu’il était le plus instruit, le plus jeune et surtout le plus joli garçon.<br />
==Note du collecteur==<br />
Rapprochement : ''Les facétieuses Nuits de Straparole'', VIIe nuit, fable V.<br />
[[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Compagnons_qui_viennent_%C3%A0_bout_de_tout_(les)Compagnons qui viennent à bout de tout (les)2012-06-15T08:35:01Z<p>Admin : Page créée avec « '''Les compagnons qui viennent à bout de tout ''ou'' le mangeur, le buveur, le coureur, le tireur et fine-oreille'''. Conté par Catherine Doze, femme Colcanab, maçon, à P... »</p>
<hr />
<div>'''Les compagnons qui viennent à bout de tout ''ou'' le mangeur, le buveur, le coureur, le tireur et fine-oreille'''. Conté par Catherine Doze, femme Colcanab, maçon, à Plouaret. — Janvier 1869.<br />
==Texte intégral==<br />
Il y avait une fois un vieux seigneur, qui avait trois fils. Il avait aussi un peu de bien, pas beaucoup. L’aîné de ses fils, qui se nommait Fanch, dit un jour à son père :<br />
<br />
— Je veux voyager, pour chercher fortune.<br />
<br />
— J’y consens, répondit le vieillard ; mais, je ne puis te donner que dix écus.<br />
<br />
— Donnez-moi-les et je tâcherai de faire en sorte de me tirer d’affaire.<br />
<br />
Et le voilà parti avec ses dix écus.<br />
<br />
En arrivant à Rennes, il vit un homme qui bannissait, au son du tambour, sur les places et dans les carrefours de la ville, que le roi cherchait un homme pour lui construire un navire qui irait par eau et par terre. Sa récompense serait la main de la princesse, sa fille unique, à la condition pourtant qu’il la prît à court avec trois paroles, de manière à ce qu’elle ne pût lui répondre.<br />
<br />
— Si je pouvais faire cela !... se dit Fanch ; je veux toujours essayer ; qui ne risque rien ne gagne rien.<br />
<br />
Et il cria au bannisseur : — Je suis votre homme !<br />
<br />
On le conduisit au palais du roi.<br />
<br />
Le lendemain matin, on lui donna une cognée pour abattre, dans la forêt voisine, le bois nécessaire pour la construction du navire. Arrivé dans la forêt, il vit qu’on y avait déjà abattu beaucoup de bois, mais, qu’on l’avait enlevé, et il se dit :<br />
<br />
— Je vois que je ne suis pas le premier à tenter l’aventure, et que beaucoup d’autres m’ont précédé ici.<br />
<br />
Il se mit pourtant courageusement à l’ouvrage.<br />
<br />
A midi, il s’assit sur le gazon, à l’ombre d’un vieux chêne, pour manger un morceau, du pain et du beurre et une crêpe de sarrazin, avec une bouteille de cidre. Une pie sautillait de branche en branche, au-dessus de sa tête, en disant :<br />
<br />
— Part pour moi aussi ! part pour moi aussi !<br />
<br />
— Laisse-moi tranquille, Margot-la-Pie, lui dit Fanch, impatienté, et va ailleurs chercher ton dîner.<br />
<br />
— Quel travail fais-tu là ? reprit la Pie.<br />
<br />
— Des cuillères, peut-être !... répondit Fanch, ironiquement.<br />
<br />
— Des cuillères ? soit. Des cuillères ! des cuillères ! !... répliqua la Pie.<br />
<br />
Et elle s’envola.<br />
<br />
Quand il eut terminé son frugal repas, Fanch se remit à la besogne. Mais, à chaque coup de cognée, il détachait, à présent, une cuillère de l’arbre qu’il voulait abattre.<br />
<br />
— Voici qui est étrange ! se dit-il ; il faut qu’il y ait de la sorcellerie là-dedans !<br />
<br />
Et il jeta sa cognée et s’enfuit, en courant, vers la maison de son père.<br />
<br />
En le voyant revenir, le vieillard lui dit :<br />
<br />
— Ton voyage n’a pas été long, mon fils.<br />
<br />
— Non, mon père, j’ai réfléchi que je ferais mieux de rester à la maison avec vous, et je suis revenu.<br />
<br />
Il ne dit rien à personne de ce qui lui était arrivé.<br />
<br />
Le second fils, nommé Hervé, voulut partir aussi. Son père ne lui donna que cinq écus.<br />
<br />
En arrivant à Rennes, il entend aussi bannir, dans les carrefours et les rues de la ville, que le roi promet la main de sa fille unique à l’homme, quel qu’il soit, qui lui construira un navire pour aller sur terre comme sur mer. Il veut tenter l’aventure, comme son aîné, et le lendemain, après avoir passé toute la matinée à abattre des arbres dans la forêt, comme il mangeait un morceau, assis contre le tronc d’un chêne, il entendit une voix qui disait, au-dessus de sa tête :<br />
<br />
— Part pour moi aussi ! Part pour moi aussi !<br />
<br />
Impatienté, il lui dit :<br />
<br />
— Laisse-moi tranquille, Margot-la-Pie, et va-t’-en au diable.<br />
<br />
— Qu’es-tu venu faire ici ? demanda la Pie.<br />
<br />
— Des fuseaux, peut-être !... répondit Hervé.<br />
<br />
— Des fuseaux ? soit, reprit l’oiseau, qui s’envola en criant : — Des fuseaux ! des fuseaux !..,<br />
<br />
Quand Hervé se remit au travail, à chaque coup de cognée dont il frappait le tronc d’un arbre, il en jaillissait un fuseau.<br />
<br />
— C’est, pour sûr, de la sorcellerie ! s’écria-t-il, effrayé.<br />
<br />
Et il jeta là sa cognée et s’en retourna aussi à la maison, comme son aîné.<br />
<br />
Le plus jeune, un enfant chétif et maladif, et que l’on nommait Cendrillon (Luduenn), dit alors :<br />
<br />
— Moi, je veux partir aussi.<br />
<br />
— Mon pauvre enfant ! lui dit son père, tu espères réussir, là où tes deux aînés ont échoué ?<br />
<br />
— Laissez-moi partir, mon père, à la grâce de Dieu ; peut-être serai-je plus heureux ; qui sait ?<br />
<br />
On lui donna un écu de six livres, seulement, et il se mit en route.<br />
<br />
A Rennes, il entendit aussi bannir ce qu’avaient entendu ses frères, et voulut, comme eux, tenter l’aventure.<br />
<br />
Le voilà dans la forêt. Il travaille courageusement, toute la matinée, et à midi, il s’assit sur le gazon, contre le tronc d’un vieux chêne, pour manger un morceau et se reposer un peu. La Pie se fit encore entendre, au-dessus de sa tête :<br />
<br />
— Part à moi aussi ! Part à moi aussi ! Il leva les yeux, l’aperçut et dit :<br />
<br />
— Oui, chère bête du bon Dieu ; tu auras aussi ta part.<br />
<br />
Et il lui jeta quelques miettes de pain, sur le gazon. La Pie les mangea, puis demanda :<br />
<br />
— Qu’es-tu venu faire ici ? lui demanda la pie.<br />
<br />
— J’ai entendu bannir, dans la ville voisine, que le roi donnerait sa fille en mariage à l’homme, quel qu’il fût, qui lui construirait un navire propre à aller par terre et par eau. J’ai voulu tenter l’aventure, pour venir en aide à mon père, qui n’est pas riche, et je mets ma confiance et mon espoir en Dieu.<br />
<br />
— Bonne réussite et bon navire ! dit la Pie.<br />
<br />
— Que Dieu t’entende, chère bête du bon Dieu !<br />
<br />
Luduenn se remit à l’ouvrage, et, à chaque coup de cognée, il jaillissait des arbres qu’il frappait une pièce propre à entrer dans la confection d’un navire et admirablement travaillée. Et ces pièces se rapprochaient, s’ajustaient et prenaient d’elles-mêmes la place qui leur convenait, de telle sorte, qu’avant le coucher du soleil, le navire était terminé et parfait. Il monta sur son navire, et il le dirigeait à sa volonté, et sur terre et sur l’eau. Il rencontra sur sa route un homme qui léchait et rongeait des os, dans une douve.<br />
<br />
— Que fais-tu là ? lui demanda-t-il.<br />
<br />
— Je me meurs de faim, et je ronge ces os abandonnés ici par les chiens.<br />
<br />
— Viens avec moi, et je te procurerai à manger.<br />
<br />
— Je ne demande pas mieux.<br />
<br />
Et l’homme monta dans le navire, et les voilà deux.<br />
<br />
Un peu plus loin, ils rencontrèrent un autre homme, près d’une fontaine.<br />
<br />
— Que fais-tu là ? lui demanda Luduenn.<br />
<br />
— Je viens de tarir cette fontaine, en y buvant, répondit-il, et j’attends qu’elle se remplisse, pour la tarir de nouveau, car j’ai encore soif.<br />
<br />
— Viens avec nous, et tu auras à boire, à discrétion.<br />
<br />
— Je ne demande pas mieux, répondit il.<br />
<br />
Et il monta aussi dans le navire, et les voilà trois, à présent.<br />
<br />
Ils se remirent en route et rencontrèrent, un peu plus loin, un autre individu, qui avait une pierre meulière attachée à chacun de ses pieds, et qui courait néanmoins.<br />
<br />
— Que signifie cet exercice ? lui demanda Luduenn.<br />
<br />
— Je cherche à prendre un lièvre, qui va passer par ici.<br />
<br />
— Et tu t’attaches des pierres meulières aux pieds, imbécile ?<br />
<br />
— Oui, car je vais trop vite, et, malgré mes pierres meulières, je devance toujours le lièvre<br />
<br />
— Veux-tu venir avec nous et partager notre sort ?<br />
<br />
— Je ne demande pas mieux.<br />
<br />
Et il entra aussi dans le navire, et les voilà quatre.<br />
<br />
Ils se remirent en route, et rencontrèrent bientôt un autre individu tenant à la main un arc tendu et visant un objet invisible pour eux.<br />
<br />
— Que fais-tu là ? lui demanda Luduenn.<br />
<br />
— Je vise un lièvre que je vois là-bas, sur la montagne de Bré ; ne le voyez-vous pas vous-mêmes ?<br />
<br />
— Comment veux-tu que nous voyions un lièvre, sur la montagne de Bré, à quatre lieues d’ici ?<br />
<br />
En ce moment, la flèche partit et le tireur dit :<br />
<br />
— Voilà ! je l’ai tué roide. Mais, il y a loin d’ici à la montagne, et je crains que le lièvre n’ait été emporté par un autre, quand j’arriverai, comme cela m’arrive presque toujours.<br />
<br />
— Allons ! l’homme aux pierres meulières, dit Luduenn, va nous chercher le lièvre.<br />
<br />
Et l’homme aux pierres meulières partit, plus rapide que le vent, et rapporta le lièvre, en un instant.<br />
<br />
— Tu es un fin tireur, dit Luduenn ; viens avec nous et tu partageras notre sort.<br />
<br />
— Je veux bien, répondit le tireur.<br />
<br />
Et il monta sur le navire, et les voilà cinq. Plus loin, ils rencontrèrent un autre individu, l’oreille appliquée contre terre.<br />
<br />
— Que fais-tu là, dans cette posture ? lui demanda Luduenn.<br />
<br />
— J’ai semé de l’avoine par ici, hier, répondit-il, et je l’écoute pousser.<br />
<br />
— Il faut donc que tu aies l’ouïe bien fine pour entendre l’herbe pousser ; si tu veux venir avec nous, tu partageras notre sort, et je crois que tu n’auras pas lieu à regrets, car six hommes comme nous doivent venir à bout de tout.<br />
<br />
— Je veux bien, dit Fine-Oreille.<br />
<br />
Et il monta aussi sur le navire.<br />
<br />
Les voilà six, à présent, et six gaillards. Ils se remirent en route, et rencontrèrent bientôt une vieille femme, qui allait au marché vendre des œufs, qu’elle portait dans un panier.<br />
<br />
— Combien la douzaine, grand’mère ? lui demanda Luduenn.<br />
<br />
— Six sous, Messieurs, répondit la vieille.<br />
<br />
— Donnez-m’en un, seulement, et prenez cet écu de six livres.<br />
<br />
— Que Dieu vous bénisse, mon bon seigneur, répondit la vieille.<br />
<br />
Tôt après, ils passèrent par un champ où des paysans traçaient des sillons, à la charrue. Luduenn leur demanda :<br />
<br />
— Combien voulez-vous de votre évêque<ref>Nos paysans bretons appellent ainsi un bâton dont un bout est recourbé comme la crosse d’un évêque, et qu’ils emploient pour débarrasser le soc de la charrue des pierres et des herbes qui en ralentissent la marche.</ref> ?<br />
<br />
— Deux réales (dix sous), lui répondit-on.<br />
<br />
— Donnez-le-moi, voilà un écu de six francs. Et il leur jeta un écu de six francs, et prit le bâton de charrue.<br />
<br />
— Quand vous en voudrez d’autres, à ce prix, lui crièrent les laboureurs, vous n’aurez qu’à le dire.<br />
<br />
Comme ils approchaient de la ville, ils virent un jeune garçon qui se disposait à faire (sauf votre respect) ce que le laquais du roi ne peut pas faire pour lui.<br />
<br />
— Ponds là-dedans, mon garçon, lui dit Luduenn, en lui présentant son chapeau.<br />
<br />
— Ne vous moquez pas de moi, répondit l'enfant.<br />
<br />
— Je ne me moque pas de toi ; fais ce que je te dis, et je te donnerai un écu de six livres ; tiens le voilà !<br />
<br />
Et il lui jeta un écu de six livres. Le gars, séduit par une telle générosité, fit ce qu’on lui demandait et dit, en tendant son chapeau à Luduenn : — Quand vous en voudrez d’autre, pour le même prix, songez à moi.<br />
<br />
Les six compagnons se remirent en route et entrèrent, tôt après, avec leur navire, dans la cour du palais royal.<br />
<br />
La première partie de l’épreuve était heureusement accomplie ; la seconde allait commencer.<br />
<br />
La princesse était sur son balcon, l’air farouche, et toute rouge. Elle craignait peut-être que ce chétif et malingre rustre ne vînt à bout de son entreprise.<br />
<br />
— Vous avez la crête bien rouge, là-haut, princesse, lui dit Luduenn.<br />
<br />
— C’est que probablement j’ai le cul chaud, répondit-elle.<br />
<br />
— Assez chaud pour y cuire un œuf ?<br />
<br />
— Peut-être bien, si vous en aviez un ?<br />
<br />
— Voici !...<br />
<br />
Et il lui montra l’œuf qu’il avait achète à la vieille femme qui se rendait au marché.<br />
<br />
— Et un bâton recourbé pour le retirer ? reprit la princesse.<br />
<br />
— Aussi !... répondit Luduenn, en lui montrant le bâton de la charrue.<br />
<br />
— Merde !... dit-elle, dépitée.<br />
<br />
— A votre service, princesse !<br />
<br />
Et il lui tendit son chapeau, qui ne contenait pas des roses, comme on sait.<br />
<br />
La princesse ne trouva pas de réponse, cette fois, et, tournant le dos, elle rentra dans sa chambre, fort irritée.<br />
<br />
— Votre fille m’appartient, sire, dit Luduenn au roi ; voici le navire que vous m’avez demandé, qui marche sur terre comme sur l’eau, et la princesse s’en est allée, vaincue et ne trouvant plus de réponse.<br />
<br />
— Cela ne suffit pas, et il te faudra faire bien autre chose, avant d’avoir ma fille, répondit le roi, furieux.<br />
<br />
— J’ai rem.pli toutes les conditions, sire ; à vous de tenir votre parole, à présent, car un roi ne doit jamais manquer à sa parole... Mais, je ne veux pas y regarder de si près ; que vous faut-il encore ? Dites, et ce sera fait.<br />
<br />
— Eh bien ! j’ai dans mes étables quarante bœufs gras, et il faut que toi ou un de tes compagnons les mange, seul, en huit jours.<br />
<br />
— Ce sera fait, sire, soyez tranquille à ce sujet.<br />
<br />
Et s’adressant à son compagnon Mange-Tout :<br />
<br />
— Tu as entendu, Mange-Tout ?<br />
<br />
— Quarante bœufs en huit jours, s’écria Mange-Tout ; quelle chance ! Je vais donc enfin pouvoir manger mon content ! Il y a assez longtemps que je me serre le ventre ! Je veux commencer tout de suite.<br />
<br />
Et il ouvrit une bouche large et profonde comme un antre, et munie de grandes dents, d’une blancheur éclatante. En quatre jours, les quarante bœufs eurent disparu dans ce gouffre, et il disait encore : — C’est déjà tout ?...<br />
<br />
Le roi était très contrarié d’avoir ainsi perdu ses quarante bœufs gras, qu’il réservait pour un grand festin, qu’il devait donner.<br />
<br />
— Ce n’est pas tout, dit-il à Luduenn ; après manger, il faut aussi boire. J’ai là cinquante tonneaux de vin aigri, dont je ne sais que faire, et il faut que toi ou un des tiens les boive, seul, eu cinq jours, afin que j’en aie de meilleur.<br />
<br />
— C’est ton affaire, Bois-Tout, dit Luduenn, en s’adressant à son second compagnon.<br />
<br />
— Qu’on me mène à la cave, dit Bois-Tout, et vous allez voir si je me fais prier pour boire du vin !...<br />
<br />
Pour le soir du troisième jour, les cinquante tonneaux étaient vides.<br />
<br />
— Qu’est-ce donc que cet homme et ses compagnons ? se disait le roi, inquiet, et ne sachant comment s’en débarrasser. Un de ses ministres lui dit :<br />
<br />
— Vous avez sire, dans votre cuisine, une servante qui n’a pas son égale au monde, à la course. En une demi-heure, elle va puiser de l’eau à une fontaine, qui est à trois lieues d’ici, et revient avec trois pichets pleins, un sur la tête et un autre à chaque main. Dites à cet homme qu’il lui faudra, demain matin, accompagner la servante à la fontaine, et être de retour aussitôt qu’elle, avec trois pichets pleins d’eau.<br />
<br />
— C’est vrai, répondit le roi.<br />
<br />
Et il fit appeler Luduenn et lui dit ce qu’il aurait à faire, le lendemain matin,<br />
<br />
— Ce sera fait, répondit-il tranquillement,<br />
<br />
Et il dit à son coureur, qui dormait, au pied d’une meule de foin :<br />
<br />
— Allons, debout, Attrape-Tout ! Voici une occasion de te dégourdir les jambes.<br />
<br />
— Qu’y a-t-il pour votre service, maître ? demanda-t-il, en se redressant de toute sa hauteur.<br />
<br />
— Le roi a, dans sa cuisine, une servante qui est, paraît-il, une bonne coureuse. En une demi-heure, elle va puiser de l’eau à une fontaine, qui est à trois lieues d’ici, et s’en retourne avec trois pichets remplis d’eau. Demain matin, tu l’accompagneras à la fontaine, d’où tu rapporteras aussi trois pichets pleins d’eau, et j’espère bien que tu seras de retour avant elle, et ne te laisseras pas vaincre par une femme.<br />
<br />
— Dormez tranquille, là-dessus, répondit le coureur.<br />
<br />
Le lendemain matin, la servante et le coureur Attrape-Tout partirent ensemble pour la fontaine. Quand ils eurent rempli leurs pichets, la servante dit à son compagnon :<br />
<br />
— Asseyons-nous, un peu, sur l’herbe, et causons ; nous avons bien le temps, n’est-ce pas ?<br />
<br />
Et ils s’assirent. Mais, comme elle était sorcière, elle endormit Attrape-Tout, en le regardant, et partit, après lui avoir mis sous la tête, en guise d’oreiller, la tête décharnée et blanchie d’un cheval mort, qui se trouvait là, près de l’eau<ref>Cet épisode de la tête de cheval mort servant d’oreiller au coureur, pendant son sommeil, et de l’habile tireur qui le réveille, se retrouve mot pour mot dans le conte des frères Grimm : ''Les six compagnons qui viennent à bout de tout.''</ref>. Fine-Oreille avait entendu les paroles de la servante, il entendait aussi ronfler Attrape-Tout, et il dit à Luduenn :<br />
<br />
— La servante et Attrape-Tout se sont assis, pour causer, auprès de la fontaine, puis Attrape-Tout s’est endormi, et je l’entends ronfler.<br />
<br />
— Vite, Bon-Œil, regarde un peu du côté de la fontaine, et dis-nous ce qui s’y passe.<br />
<br />
Bon-Œil regarda du côté de la fontaine, et dit :<br />
<br />
— Je vois Attrape-Tout qui dort, près de la fontaine, avec la carcasse d’une tête de cheval sous la tète, en guise d’oreiller ; je vois aussi la servante qui revient, en toute hâte, avec ses trois pichets pleins.<br />
<br />
— Prends ton arc, lui dit Luduenn, et, d’un coup de flèche, chasse la tête de cheval qui est sous la tête d’Attrape-Tout, afin de le réveiller ; et vise bien, et prends garde de le tuer.<br />
<br />
Et Bon-Œil, le bon tireur, prit son arc, visa et chassa, avec sa flèche, la tête de cheval de dessous la tête d’Attrape-Tout. Celui-ci se réveille du coup, saisit ses pichets pleins et part, avec une telle vitesse, qu’il arriva encore avant la servante, au grand étonnement du roi et de ses courtisans.<br />
<br />
— J’ai encore gagné, sire, dit Luduenn au roi, et je réclame le prix de la victoire, la main de la princesse, votre fille.<br />
<br />
— C’est juste, répondit le roi, et, comme j’aime mieux t’avoir pour ami que pour ennemi, tu seras mon gendre, et le mariage sera célébré, sans autre délai.<br />
<br />
Les noces eurent lieu, en effet, dans la huitaine, et il y eut, à cette occasion, de grands festins et de belles fêtes.<br />
<br />
Le vieux roi mourut, peu de temps après, et Luduenn lui succéda sur le trône. Il appela auprès de lui son vieux père et ses frères, et ils vécurent tous heureux ensemble.<br />
{{Ref}}<br />
[[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=JaponJapon2012-06-07T12:26:09Z<p>93.2.97.132 : Page créée avec « Cette catégorie regroupe tous les textes originaires du Japon. Catégorie:Origine »</p>
<hr />
<div>Cette catégorie regroupe tous les textes originaires du Japon.<br />
[[Catégorie:Origine]]</div>93.2.97.132http://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Le_vieillard_et_les_arbres_en_fleurLe vieillard et les arbres en fleur2012-06-07T12:16:27Z<p>93.2.97.132 : </p>
<hr />
<div><p style="margin-bottom: 0cm;">LE VIEILLARD ET LES ARBRES<br />
EN FLEURS</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;"><small>CONTE JAPONAIS</small></p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;"><small><small>CONTES<br />
DE DIFFERENTS PAYS RECUEILLEIS<br />
ET TRADUITS PAR XAVIER MARMIER &nbsp;DE<br />
L'ACAD&Eacute;MIEFRAN&Ccedil;AISE</small></small></p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;"><small><small>PARIS</small></small></p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;"><small><small>LIBRAIRIE<br />
HACHETTE ET Cie &nbsp;79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN</small></small></p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;"><small><small>1880</small></small></p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;"><br><br />
</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Autrefois, voil&agrave;<br />
longtemps, longtemps,<br />
dans une paisible retraite, vivait un honn&ecirc;te homme<br />
nomm&eacute; Toni,<br />
avec sa brave femme et un fid&egrave;le chien.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Un-jour, les deux bonnes<br />
gens &eacute;tant &agrave;<br />
travailler dans leur jardin, le chien, dont ils avaient le plus grand<br />
soin et qui partout les suivait, soudain se mit &agrave; aboyer en<br />
agitant<br />
vivement sa queue et en grattant la terre avec ses pattes. Son<br />
ma&icirc;tre<br />
essayait de l'apaiser. Mais le chien continuait &agrave; gratter la<br />
terre,<br />
en levant la t&ecirc;te vers son ma&icirc;tre comme pour lui<br />
dire : Regarde, il<br />
y a quelque chose l&agrave;.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Toni prit une pioche,<br />
creusa le sol et<br />
y trouva un coffret rempli d'or et d'argent et d'autres choses<br />
pr&eacute;cieuses.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">De ce tr&eacute;sor<br />
l'honn&ecirc;te jardinier fit<br />
une large part pour les pauvres, puis, avec le reste, acheta des<br />
champs de riz et des champs de froment, et v&eacute;cut en une<br />
douce<br />
aisance.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Pr&egrave;s de lui<br />
demeurait un autre vieil<br />
homme nomm&eacute; Kouno, avec une vieille femme, tous deux<br />
cupides, avares<br />
et m&eacute;chants.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Quand ces deux mauvaises<br />
gens apprirent<br />
la fortune inesp&eacute;r&eacute;e de leur voisin, ils vinrent<br />
le voir et le pri&egrave;rent de leur pr&ecirc;ter,<br />
pour quelques heures, le brave chien.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Jusque-l&agrave;,<br />
chaque fois qu'ils<br />
rencontraient le doux animal, ils le chassaient &agrave; coups de<br />
pied.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Maintenant ils voulaient<br />
l'attirer &agrave;<br />
eux. Ils le caressaient et lui offraient diverses friandises.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Puis, apr&egrave;s<br />
toutes ces belles<br />
d&eacute;monstrations, ils lui dirent :</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">&laquo; Indiquez-nous<br />
donc aussi l'endroit<br />
o&ugrave; nous trouverons un tr&eacute;sor. &raquo;</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Le chien, qui avait<br />
re&ccedil;u tr&egrave;s<br />
froidement leurs subits t&eacute;moignages d'affection,<br />
r&eacute;pondit &agrave; cette<br />
demande par un sourd grognement.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Ils lui nou&egrave;rent<br />
alors une corde au<br />
col et l'entra&icirc;n&egrave;rent dans le jardin.<br />
L&agrave;, tout &agrave; coup, il se mit<br />
&agrave; flairer le sol, remua la queue et aboya. Kouno et sa femme<br />
s'empress&egrave;rent de creuser la terre et<br />
d&eacute;couvrirent un amas<br />
d'immondices qui r&eacute;pandait une odeur infecte. Furieux de<br />
leur<br />
d&eacute;convenue, ils tu&egrave;rent le chien et<br />
l'enterr&egrave;rent au pied d'unpin.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Toni s'en alla<br />
pr&egrave;s de cet arbre<br />
pleurer la mort de son cher compagnon.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">La nuit suivante, il vit en<br />
r&ecirc;ve le<br />
fid&egrave;le chien, qui le remercia de son bon souvenir et lui dit<br />
:</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">&laquo; Abats l'arbre<br />
au pied duquel j'ai<br />
&eacute;t&eacute; enseveli, et fais-en un mortier pour piler<br />
ton riz. &raquo;</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Ainsi fut fait, et, quand<br />
le vieillard<br />
se servit de son mortier, chaque grain de riz qu'il y mettait se<br />
changeait en un grain d'or.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Ses cupides voisins, ayant<br />
appris cette<br />
nouvelle fortune, vinrent le prier de leur pr&ecirc;ter son<br />
pr&eacute;cieux<br />
mortier. Mais le riz qu'ils y jetaient se changea en une boue<br />
f&eacute;tide.<br />
Dans un transport de rage, ils bris&egrave;rent le magique<br />
ustensile, puis<br />
le br&ucirc;l&egrave;rent.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Le lendemain, Toni revit en<br />
r&ecirc;ve son<br />
chien, qui lui dit : &laquo; Recueille les cendres du mortier qui a<br />
&eacute;t&eacute;<br />
br&ucirc;l&eacute; et s&egrave;me-les sur les arbres<br />
dess&eacute;ch&eacute;s. &raquo;</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Le jardinier,<br />
apr&egrave;s ce r&ecirc;ve, se<br />
rendit chez Kouno et le pria de vouloir bien au moins lui rendre les<br />
cendres du pr&eacute;cieux mortier qu'il avait<br />
br&ucirc;l&eacute;.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Quand il eut obtenu ces<br />
cendres, il<br />
alla en jeter une parcelle sur un vieux cerisier depuis longtemps<br />
st&eacute;rile. Aussit&ocirc;t il le vit reverdir et refleurir.<br />
Il mit alors ses<br />
cendres dans un coffret et s'en alla &agrave; travers le pays,<br />
annon&ccedil;ant<br />
qu'il pouvait faire revivre les arbres morts.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Il eut la joie de faire<br />
revivre ainsi<br />
les pruniers et les cerisiers d'un royal domaine; et le prince<br />
&agrave; qui<br />
cette terre appartenait lui fit de riches pr&eacute;sents avec<br />
lesquels<br />
Toni retourna joyeux &agrave; son domicile.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">D&egrave;s que Kouno<br />
eut appris ce nouveau<br />
prodige, il recueillit les cendr&eacute;s de son foyer et se dirigea</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">vers une grande ville,<br />
annon&ccedil;ant que<br />
c'&eacute;tait lui qui ferait revivre imm&eacute;diatement les<br />
arbres morts.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Il fut appel&eacute;<br />
&agrave; montrer son savoir<br />
dans le jardin d'un prince, et sans h&eacute;siter jeta des<br />
poign&eacute;es de<br />
cendres sur les arbres qu'on lui d&eacute;signait. Mais on ne vit<br />
appara&icirc;tre aucune feuille, aucune fleur, et les cendres<br />
emport&eacute;es<br />
par le vent vol&egrave;rent sur les l&egrave;vres et les yeux<br />
du prince qui, dans<br />
sa col&egrave;re, ordonna de saisir ce charlatan et de lui<br />
administrer une<br />
s&eacute;v&egrave;re bastonnade.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Au lieu de retourner dans<br />
sa maison,<br />
comme il l'esp&eacute;rait, riche et honor&eacute;, Kouno y<br />
rentra appauvri,<br />
malade, &agrave; demi disloqu&eacute;.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Toni et son<br />
fid&egrave;le compagnon eurent<br />
piti&eacute; de lui et de sa femme. Ils leur donn&egrave;rent,<br />
en leur faisant<br />
d'amicales remontrances, une partie du bien qu'ils avaient acquis.</p><br />
<p style="margin-bottom: 0cm;">Les m&eacute;chants<br />
voisins, touch&eacute;s de<br />
cette bont&eacute;, se repentirent de leurs mauvaises actions et<br />
devinrent<br />
doux et charitables.</p><br />
<br />
[[Catégorie:Japon]]</div>93.2.97.132http://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Trois_filles_du_boulanger_(les)Trois filles du boulanger (les)2012-06-03T17:29:46Z<p>Admin : Page créée avec « '''Les trois filles du boulanger ''ou'' l'eau qui danse, la pomme qui chante et l'oiseau de vérité'''. Conté par Barbe Tassel, à Plouaret. Décembre 1868 ==Texte intégra... »</p>
<hr />
<div>'''Les trois filles du boulanger ''ou'' l'eau qui danse, la pomme qui chante et l'oiseau de vérité'''. Conté par Barbe Tassel, à Plouaret. Décembre 1868<br />
==Texte intégral==<br />
Il y avait une fois un vieux boulanger, qui était resté veuf avec trois filles. Un soir, après souper, elles devisaient, auprès du feu, de leurs amours.<br />
<br />
— Qui aimes-tu, sœur aînée ? demanda la plus jeune.<br />
<br />
— Le jardinier du roi, répondit l’aînée.<br />
<br />
— Et toi ? demanda-t-elle à la seconde.<br />
<br />
— Le valet de chambre du roi.<br />
<br />
— Eh bien ! moi, c’est le fils du roi qui est mon amour !<br />
<br />
— Le fils du roi ! tu plaisantes, s’écrièrent les deux autres.<br />
<br />
— Non certainement, et je vous dirai même plus : j’aurai trois enfants du fils du roi, deux garçons, avec chacun une étoile d’or au front, et une fille, avec une étoile d’argent !<br />
<br />
Le père, qui était dans son lit, et qui entendait la conversation de ses filles, leur dit alors :<br />
<br />
— Quelle conversation vous avez là ! Il faut que vous ayez perdu la tête ; allez vous coucher, vite !<br />
<br />
Et les trois filles allèrent se coucher.<br />
<br />
Le fils du roi se promenait ce soir-là par la ville, accompagné de son valet de chambre et de son jardinier. Il vint une averse, et, pour se mettre à l’abri, ils se mirent sous l'auvent du boulanger, et entendirent la conversation des trois filles. Le prince prit le nom du boulanger, qui était sur son enseigne, et le lendemain matin, il envoya prier la fille aînée de venir lui parler au palais.<br />
<br />
— Vous rappelez-vous, lui dit-il, ce que vous disiez hier soir, auprès du feu, dans la maison de votre père ?<br />
<br />
La jeune fille fut bien surprise et eut peur.<br />
<br />
— Ne craignez rien, ma fille, et parlez hardiment, car j’ai tout entendu ; vous rappelez-vous ce que vous disiez ?<br />
<br />
— Oui, répondit-elle.<br />
<br />
— Et vous épouseriez volontiers mon jardinier ?<br />
<br />
— Oui.<br />
<br />
— C’est bien ; retournez à la maison, et dites à votre sœur puînée de venir aussi me parler.<br />
<br />
Quand celle-ci arriva au palais, le prince lui demanda, comme à sa sœur aînée :<br />
<br />
— Vous rappelez-vous ce que vous disiez, hier soir, auprès du feu, chez votre père ?<br />
<br />
— Oui sûrement, sire, répondit-elle.<br />
<br />
— Et vous prendriez volontiers mon valet de chambre pour mari ?<br />
<br />
— Oui, sire.<br />
<br />
— C’est bien ; retournez à la maison et dites à votre plus jeune sœur de venir aussi me parler.<br />
<br />
Celle-ci vient à son tour, et le prince lui demande comme aux deux autres :<br />
<br />
— Vous rappelez-vous ce que vous disiez, hier soir, auprès du leu, dans la maison de votre père ?<br />
<br />
— Je me le rappelle, sire, répondit-elle.<br />
<br />
— Et vous m’épouseriez volontiers ?<br />
<br />
— Oui, sire, de bon cœur.<br />
<br />
— Et vous auriez trois enfants, comme vous le disiez, deux garçons, avec chacun une étoile d’or au front, et une fille, avec une étoile d’argent ?<br />
<br />
— Oui, aussi vrai que je l’ai dit, sire.<br />
<br />
— Eh bien ! vous serez alors ma femme. Retournez, à présent, à la maison, et dites à votre père de venir me parler.<br />
<br />
La jeune fille s’en retourne à la maison, tout heureuse, et dit à son père d’aller parler au fils du roi, dans son palais.<br />
<br />
— Pourquoi ? répondit le vieillard ; je vous l’avais bien dit : votre conversation frivole est arrivée jusqu’aux oreilles du prince, et maintenant il m’appelle pour me punir, sans doute.<br />
<br />
— Non, non, mon père ; allez et ne craignez rien, lui dirent ses filles.<br />
<br />
Le vieux boulanger se rendit au palais, triste et soucieux, comme s’il allait à la mort. Mais, quand il entendit le fils du roi lui demander ses trois filles en mariage : une pour son jardinier, une autre pour son valet de chambre, et la troisième pour lui-même, il en éprouva autant de bonheur et de joie qu’il avait eu d’abord d’inquiétude et de peur. Les trois noces furent faites immédiatement, et, pendant un mois entier, il y eut, tous les jours, des festins, des danses et toutes sortes de divertissements.<br />
<br />
Le jardinier et le valet de chambre allèrent demeurer en ville, avec leurs femmes, et le jeune prince resta avec la sienne dans le palais de son père. Les deux autres étaient jalouses de celle-ci, parce qu’elle était maintenant princesse, et elles cherchaient tous les jours le moyen de la perdre. Quand elles la virent enceinte, elles allèrent consulter une vieille fée. Celle-ci leur dit qu’il fallait gagner la sage-femme de la princesse, pour lui faire substituer un petit chien à l’enfant nouveau-né, lequel serait exposé sur la rivière.<br />
<br />
Elles recommandèrent donc à leur sœur une sage-femme qui était, disaient-elles, la meilleure de tout le royaume. La princesse demanda à la voir, et lui fit bon accueil. Quand son temps fut venu, elle donna le jour à un fils, un enfant magnifique, avec une étoile d’or au milieu du front. La sage-femme livra aussitôt la pauvre créature à un homme, qui attendait à la porte, pour aller l’exposer sur la Seine, qui, m’a-t-on dit, passe à Paris. Puis elle mit à sa place, dans le berceau, un petit chien qu’elle avait amené. Quand le prince demanda à voir son enfant, on lui montra le petit chien.<br />
<br />
— Dieu, que me montrez-vous là ? s’écria-t-il.<br />
<br />
— Hélas ! mon prince, répondit la sage-femme perfide. Dieu fait tout comme il lui plaît !<br />
<br />
— Ah ! malheur à moi ! Mais, il ne sert de rien de me plaindre, puisque c’est la volonté de Dieu. Ayez toujours soin de cette pauvre créature.<br />
<br />
Le mari de la fille aînée du boulanger, le jardinier du roi, avait un beau jardin, au bord de la rivière, et, comme il s’y promenait, un jour, il vit un panier qui suivait le cours de l’eau. Il monta dans son bateau, atteignit le panier, et fut bien étonné d’y trouver un bel enfant, avec une étoile d’or au milieu du front.<br />
<br />
— Loué soit Dieu, dit-il, qui m’envoie un si bel enfant, à moi qui n’en ai point !<br />
<br />
Et il le porta à sa femme, et celle-ci le reçut avec une grande joie et prit plaisir à l’élever, comme si ç’avait été son propre enfant.<br />
<br />
Un an après, la princesse donna le jour à un second fils, ayant aussi une étoile d’or au front, comme le premier. La sage-femme perfide lui substitua encore un petit chien, et le pauvre enfant fut aussi exposé dans un panier sur l’eau, comme son frère.<br />
<br />
Le roi (le prince était devenu roi, son père étant mort) demanda à voir son enfant nouveau-né.<br />
<br />
— Ah ! encore un chien ! s’écria-t-il, dès qu’il le vit, et il détourna la tête, et se mit à pleurer. Mais, puisque c’est la volonté de Dieu ! reprit-il ; ce que Dieu fait est bien fait.<br />
<br />
Le jardinier, qui était à pêcher à la ligne, dans son jardin, vit encore un panier qui descendait la rivière. Il le recueillit, comme l’autre, et accourut apporter à sa femme le bel enfant qu’il y trouva. Celle-ci l’accueillit encore avec joie, en disant :<br />
<br />
— A merveille ! Nous en aurons à présent chacun un, vous et moi !<br />
<br />
On chercha un parrain et une marraine, et l’enfant fut baptisé.<br />
<br />
Cependant, la reine devint mère pour la troisième fois, et, cette fois, elle donna le jour à une fille, avec une étoile d’argent au milieu du front. La sage-femme perfide lui substitua encore un petit chien, et la pauvre créature fut exposée comme ses frères.<br />
<br />
Cette fois, le roi se mit à jurer et à tempêter, comme un diable, quand on lui montra encore un petit chien.<br />
<br />
— On m’appellera, dit-il, le père des chiens ! et ce ne sera pas sans raison. Mais, tout ceci n’est pas de la part de Dieu ; il y a quelque mystère là-dessous !<br />
<br />
Et il fait enfermer la reine dans une tour, avec du pain et de l’eau, pour toute nourriture, et un petit livre pour lire.<br />
<br />
Le jardinier trouve encore l’enfant, entraînée par l’eau, et la recueille et l’apporte à la maison, comme les deux autres.<br />
<br />
— Assez d’enfants comme cela ! dit sa femme, en le voyant arriver avec le panier. Comment fais-tu donc pour trouver tant d’enfants ? Prends garde que tu n’en sois toi-même le père ?<br />
<br />
— C’est bien, ma femme, calmez-vous ; je vais porter l’enfant où je l’ai trouvée, sur l’eau ; et pourtant c’est grand’pitié ; ô la jolie petite fille !<br />
<br />
— C’est une fille, dis-tu ? Montre-la-moi. Oh ! le joli petit ange ! avec une étoile d’argent au milieu du front ! Nous la garderons, mon homme ; nous avons assez de biens, et puisque Dieu ne nous a pas donné d’enfants, ceux-ci nous en tiendront lieu<ref>Dans une autre version, suivant une ancienne coutume encore eu usage dans certaines parties de la Bretagne, on lui donna la Sainte-Vierge pour marraine. Celle-ci, sous les traits d’une vieille femme, la conseilla et la dirigea plus tard, dans son voyage à la recherche de ses frères, et, au dénouement, pendant le repas de noces, elle parut un moment dans la salle, se nomma et disparut aussitôt, en donnant rendez-vous à sa filleule dans le Paradis.</ref>.<br />
<br />
Cependant la pauvre reine était dans sa tour, pleurant et gémissant, nuit et jour, et personne ne la visitait. Ses deux sœurs étaient heureuses avec leurs maris.<br />
<br />
Le jardinier et sa femme vinrent à mourir. Le roi fit venir leurs trois enfants dans son palais, et, comme c’étaient de beaux enfants, et bien élevés, ils lui plaisaient beaucoup. Chaque dimanche, on les voyait dans son banc, à l’église, à la grand’messe, ayant chacun son bandeau sur le front, pour cacher les étoiles. Tout le monde était étonné de voir ces bandeaux, et on se demandait : — Qu’est-ce que cela veut dire ?<br />
<br />
Un jour que le roi était à la chasse, une vieille femme arriva dans la cuisine du palais, en disant :<br />
<br />
— Hou ! hou ! hou ! comme j’ai froid ! Et elle tremblait, et ses dents claquaient.<br />
<br />
— Approchez-vous du feu, grand’mère, lui dit la jeune fille à l’étoile d’argent, qui se trouvait là.<br />
<br />
— Ma bénédiction soit sur vous, mon enfant. Dieu, que vous êtes belle ! Ah ! si vous aviez l’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité, vous n’auriez pas votre pareille sur la terre !<br />
<br />
— Oui, grand’mère ; mais, comment avoir ces merveilles-là ?<br />
<br />
— Vous avez ici deux frères, qui peuvent vous les procurer.<br />
<br />
Puis elle partit, sans rien dire de plus.<br />
<br />
La jeune fille ne songeait, depuis ce moment, qu’aux paroles de la vieille femme ; elle ne rêvait que de l’Eau qui danse, de la Pomme qui chante et de l’Oiseau de Vérité, et elle était toute triste.<br />
<br />
— Pourquoi es-tu triste ainsi ? lui demandaient ses frères.<br />
<br />
— Ce n’est rien, répondait-elle.<br />
<br />
— Si ! il y a quelque chose, et il faut que tu nous dises quoi.<br />
<br />
— Il est venu une vieille femme se chauffer à la cuisine, et elle m’a dit : « Si vous aviez, mon enfant, l’Eau qui danse, la Pomme qui chante ci l’Oiseau de Vérité, vous n’auriez pas votre pareille sur la terre ! » Et depuis, je ne fais que rêver de l’Eau qui danse, de la Pomme qui chante et de l’Oiseau de Vérité. Mais comment se procurer ces merveilles-là ?<br />
<br />
— Moi, petite sœur, je te les trouverai, si elles existent quelque part sur la terre, lui dit son frère aîné.<br />
<br />
— Comment cela, frère chéri ?<br />
<br />
— Laisse-moi faire, et sois sans inquiétude. Tiens, voilà un poignard que je te donne ; tire-le de son fourreau, plusieurs fois par jour, pendant un an et un jour ; aussi longtemps que tu pourras le tirer, il ne me sera arrivé aucun mal ; mais quand tu ne pourras plus le tirer, hélas ! alors j’aurai cessé de vivre<ref>Dans un autre conte, Les deux Fils du Pêcheur, c’est le tronc d’un laurier, dans le jardin, que la sœur doit frapper tous les jours avec son poignard, et quand elle en verra couler du sang, c’est que son frère serait mort. Ailleurs, ce sont trois roses qui se flétrissent successivement sur leurs tiges et s’effeuillent par terre.</ref> !<br />
<br />
Il fait alors ses adieux à son frère et à sa sœur, et part.<br />
<br />
Sa sœur tirait souvent du fourreau la lame du poignard, et elle en sortait facilement. Mais, hélas ! un jour, elle ne put pas la tirer, bien qu’elle s’efforçât de son mieux. Elle se mit alors à pleurer.<br />
<br />
— Qu’as-tu, ma chère petite sœur ? lui demanda son second frère.<br />
<br />
— Hélas ! pauvre frère, notre frère aîné a cessé de vivre !<br />
<br />
Et les voilà de pleurer tous les deux.<br />
<br />
— Il faut que j’aille à sa recherche !<br />
<br />
— Oh ! non, ne va pas, mon frère, reste ici avec moi.<br />
<br />
— Non, il faut que j’aille, et je ne cesserai pas de marcher que je n’aie retrouvé mon frère. Voici un chapelet que je te donne ; passes-en les grains continuellement ; quand il y en aura un qui s’arrêtera, alors, moi aussi, j’aurai cessé de vivre !<br />
<br />
Et il fît ses adieux à sa sœur et partit.<br />
<br />
Celle-ci, restée seule, était triste et soucieuse. Elle ne cessait de passer les grains de son chapelet, et elle voyait avec plaisir qu’ils passaient facilement. Mais, hélas ! un jour, il y en eut un qui s’arrêta.<br />
<br />
— Mon Dieu, s’écria-t-elle, mon second frère est mort aussi ! Que ferai-je, à présent ? Il faut que j’aille à leur recherche, et je ne cesserai de marcher, que je ne les aie retrouvés, morts ou vifs.<br />
<br />
Elle achète un cheval, s’habille en cavalier, et part, sans en rien dire à personne. Elle continue d’aller, d’aller, jusqu’à ce qu’elle arrive dans une grande plaine.<br />
<br />
Là, elle vit, dans un vieil arbre creux, un petit vieillard, avec une barbe longue et blanche.<br />
<br />
— Bonjour, la fille du roi de France ! lui dit le petit homme à la longue barbe.<br />
<br />
— Bonjour, grand-père ; mais, vous me prenez sûrement pour une autre, car moi, je ne suis pas fille du roi de France.<br />
<br />
— Non, non, je ne me trompe pas, car je vous connais bien.<br />
<br />
— Comment, grand-père, est-ce que cette longue barbe ne vous incommode pas ?<br />
<br />
— Si fait, ma pauvre enfant ; il y a cinq cents ans que je la porte, et j’en suis bien incommodé, assurément.<br />
<br />
— Si vous voulez, je vous la couperai.<br />
<br />
— Oh ! oui, faites donc.<br />
<br />
Elle tira des ciseaux de sa poche et coupa la barbe du petit vieillard.<br />
<br />
— Ma bénédiction soit sur vous, dit-il, fille du roi de France, car vous m’avez délivré ! Depuis cinq cents ans, il a passé bien du monde par ici, et personne n’avait eu pitié de moi, avant vous ; mais, vous n’aurez pas lieu de le regretter. Je sais où vous allez ; vous allez à la recherche de vos deux frères. Écoutez-moi bien, et faites exactement comme je vous dirai. A soixante lieues d'ici, vous trouverez une auberge, au bord du chemin. Descendez là, mangez, buvez, puis, laissez-y votre cheval et dites que vous payerez, au retour. Tôt après que vous aurez quitté cette maison, vous vous trouverez au pied d’une montagne très haute. Vous aurez beaucoup de peine à gravir cette montagne, et il vous faudra même vous aider des pieds et des mains. Un vent furieux se déchaînera bientôt ; la grêle, la neige, la glace et un froid cruel vous assailliront ; mais, gardez-vous bien de perdre courage, et continuez à monter, quand même. Des deux côtés de la route, vous verrez un grand nombre de piliers de terre. Ce sont autant de personnes qui, comme vous, ont essayé de gravir la montagne, mais qui ont perdu courage et ont été métamorphosées en piliers de pierre. Parvenue au sommet, vous verrez une plaine, avec un gazon émaillé de fleurs, comme en plein mois de mai. Puis, vous verrez encore un siège d’or, sous un pommier. Asseyez-vous sur ce siège et faites semblant de dormir, et vous verrez un merle descendre du pommier, de branche en branche, et entrer dans une cage, qui est sous l’arbre. Fermez vite la cage, alors, car c'est là l’Oiseau de Vérité. Puis, vous couperez le branche du pommier, avec une pomme sur la branche ; c’est là la Pomme qui chante. Enfin, vous puiserez plein une fiole de l’eau d’une fontainetaine, qui est sous l’arbre, car c’est là la fontaine de l’Eau qui danse. Alors, vous pourrez vous en retourner. A mesure que vous descendrez de la montagne, vous répandrez une goutte de l’eau de votre fiole sur chaque pilier de pierre, et de chaque pierre sortira un chevalier. Vos deux frères se lèveront aussi, comme les autres.<br />
<br />
La jeune fille remercia le petit homme, et continua sa route. Elle fit tout exactement comme on lui avait recommandé. Elle mangea et but à l’auberge, y laissa son cheval, et commença à gravir la montagne. Mais, bientôt survint un froid si intense, que tous ses membres en furent presque gelés et qu’elle faillit rester là et être changée en pierre comme les autres. Elle arriva pourtant sur le sommet de la montagne. Là, le ciel était clair et l’air tiède, comme au milieu de l’été. Elle s’assit dans le siège d’or, sous le pommier, et feignit de dormir. Le merle descendit alors de l’arbre, de branche en branche, et entra dans la cage. Elle se leva aussitôt et ferma la cage, et le merle, se voyant pris, dit :<br />
<br />
— Tu m’as pris, fille du roi de France ! Beaucoup d’autres avaient essayé de me prendre, avant toi, nul n’avait pu y réussir, jusqu’à présent. Mais, tu as été conseillée par quelqu’un.<br />
<br />
Elle coupa ensuite une branche du pommier, avec une pomme dessus, remplit sa fiole de l’eau de la fontaine, puis elle partit. A mesure qu’elle descendait la montagne, elle répandait une goutte d’eau sur chaque pilier de pierre, et il en sortait des princes, des ducs, des barons, des chevaliers ; ses deux frères se levèrent aussi, les deux derniers ; mais, ils ne reconnurent pas leur sœur. Et tous se pressaient autour d’elle, lui disant :<br />
<br />
— Donnez-moi l’Eau qui danse, jeune chevalier ; d’autres : donnez-moi la Pomme qui chante ; et d’autres : donnez-moi l’Oiseau de Vérité !<br />
<br />
Mais, elle partit vite, emportant l’Eau, la Pomme et l’Oiseau. En passant par l’auberge où elle avait laissé son cheval, elle paya son écot, puis s’en retourna promptement à la maison, et y arriva longtemps avant ses frères. Quand ceux-ci arrivèrent aussi, ils embrassèrent leur sœur.<br />
<br />
— Ah ! mes pauvres frères, leur dit-elle, que d’inquiétude vous m’avez causé ! Comme votre voyage a duré longtemps ! Mais, Dieu soit loué, puisque vous voici de retour !<br />
<br />
— Hélas ! oui, ma pauvre sœur, nous sommes restés longtemps absents, et encore n’avons-nous rien fait de bien ; nous avons même eu de la chance de pouvoir revenir !<br />
<br />
— Comment, vous ne rapportez donc pas l’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité ?<br />
<br />
— Hélas ! non, pauvre sœur, un jeune chevalier, que nous ne connaissons pas, les a emportés ! Dieu ! le beau chevalier ! nous aurions voulu que tu eusses pu le voir.<br />
<br />
Le vieux roi, qui n’avait pas d’enfants (du moins il le croyait), aimait les enfants de sa belle-sœur, et était heureux de les voir revenus. Il fit faire un grand repas, auquel il invita beaucoup de monde, des princes, des ducs, des marquis, des barons, des généraux. Vers la fin du repas, la jeune fille posa sur la table l’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité, et leur commanda de faire chacun son devoir. Et aussitôt l’Eau se mit à danser, la Pomme à chanter et l’Oiseau à voltiger, au-dessus de la table. Et tout le monde, en extase, la bouche et les yeux ouverts, regardait et écoutait ces merveilles. Jamais ils n’avaient vu ni entendu rien de pareil.<br />
<br />
— A qui appartiennent ces merveilles ? demanda le roi, quand il put parler.<br />
<br />
— A moi, sire, dit la jeune fille.<br />
<br />
— Qu’est-ce que c’est ?<br />
<br />
— L’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité.<br />
<br />
— Et de qui les tenez-vous ?<br />
<br />
— C’est moi-même, sire, qui ai été les quérir.<br />
<br />
Alors, les deux frères reconnurent que c’était leur sœur qui les avait délivrés. Quant au roi, il était près de perdre la tête, de joie et d’admiration.<br />
<br />
— Ma couronne et mon royaume, dit-il, pour merveilles, et vous, vous serez reine !<br />
<br />
— Patientez un peu, sire, jusqu’à ce que vous ayez entendu mon oiseau parler, l’Oiseau de Vérité, car il a des choses importantes à vous révéler. Mon petit Oiseau, dites, à présent, la vérité.<br />
<br />
— Je le veux bien, répondit l’Oiseau, mais, que personne ne sorte de la chambre.<br />
<br />
Et l’on ferma toutes les portes. La vieille sorcière de sage-femme et une des belles-sœurs du roi se trouvaient là aussi, et elles n’étaient pas à leur aise, en entendant ces paroles.<br />
<br />
— Voyons, mon oiseau, dites la vérité, à présent.<br />
<br />
Et voici comme parla l’Oiseau :<br />
<br />
— Il y a maintenant vingt ans, sire, que votre femme est enfermée dans une tour, abandonnée de tout le monde, et vous la croyez morte depuis longtemps. Mais, elle n’est pas morte, elle n’a même souffert aucun mal, car c’est injustement qu’elle a été accusée et jetée dans une sombre prison.<br />
<br />
La sage-femme et la belle-sœur du roi se dirent indisposées, en ce moment, et voulurent sortir.<br />
<br />
— Personne ne sortira encore, leur dit le roi ; continuez de dire la vérité, petit Oiseau.<br />
<br />
— Vous avez eu deux fils et une fille, sire, reprit l’Oiseau, nés tous les trois de votre femme, et les voici ! Enlevez-leur leurs bandeaux, et vous verrez que chacun d’eux a une étoile au front.<br />
<br />
On enleva les bandeaux, et l’on vit que chacun des deux jeunes gens avait une étoile d’or au front, et la jeune fille avait une étoile d’argent !<br />
<br />
— Les auteurs de tout le mal, reprit l’Oiseau, sont vos deux belles-sœurs et la sage-femme, cette sorcière du diable ! Celles-là vous faisaient croire que votre femme ne donnait le jour qu’à des petits chiens, et vos pauvres enfants étaient exposés, aussitôt nés, sur la Seine. Quand la sage-femme, ce tison de l’enfer, apprit que les enfants avaient été recueillis, et qu’on les élevait dans votre palais, elle chercha encore le moyen de les perdre. Elle pénétra un jour dans le palais, déguisée en mendiante, prête de mourir de froid et de faim, et elle inspira à la jeune princesse l’envie de posséder l’Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité. Ses deux frères allèrent, l’un après l’autre, les lui chercher, et la sorcière pensait bien qu’ils n’en reviendraient jamais. Et ils ne seraient pas revenus, hélas ! si leur sœur n’avait réussi à les délivrer, avec beaucoup de peine, et à rapporter l'Eau qui danse, la Pomme qui chante et l’Oiseau de Vérité.<br />
<br />
Le roi s’évanouit, en entendant tout cela, quand il revint à lui, il alla lui-même chercher la reine, à la tour, et il revint avec elle dans la salle du festin, en la tenant par la main. Elle n’avait changé en rien ; elle était belle et gracieuse, comme devant. Elle mangea et but un peu ; puis, elle mourut aussitôt sur la place !<br />
<br />
Le roi, comme fou de douleur et de colère, ordonna de chauffer un four, sur-le-champ, pour y jeter sa belle-sœur et la sage-femme, ce tison de l’enfer. Ce qui fut fait.<br />
<br />
Je n’en sais pas plus long sur la princesse et ses deux frères. Je pense qu’ils firent de bons mariages, tous les trois. Et pour ce qui est de l’Oiseau, on ne dit pas s’il continua de dire toujours la vérité. Mais, je présume que oui, puisque ce n’était pas un homme !<br />
{{Ref}}<br />
[[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]]<br />
[[Catégorie:Barba Tassel]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Prince_de_Tr%C3%A9guier_(le)Prince de Tréguier (le)2012-06-03T17:27:02Z<p>Admin : Page créée avec « '''Le Prince de Tréguier et le Roi Serpent'''. Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-du-Nord). — Décembre 1868. ==Texte intégral== Il y avait, une fois, un... »</p>
<hr />
<div>'''Le Prince de Tréguier et le Roi Serpent'''. Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-du-Nord). — Décembre 1868.<br />
==Texte intégral==<br />
Il y avait, une fois, un prince en Tréguier qui avait un fils unique. Ce fils, s’ennuyant à la maison, voulut voyager. Son père lui donna de l’or et de l’argent, à discrétion, plus un beau cheval et il partit.<br />
<br />
Il dépensa tout son argent, au jeu et avec les femmes, vendit son cheval, et le voilà sans le sou, à pied, et ne connaissant aucun métier pour gagner sa vie. Que faire ? Il marcha à l’aventure.<br />
<br />
Un soir, après une longue marche, il arriva, exténué de fatigue et de faim, à une pauvre chaumière, sur une grande lande aride et désolée. Un vieux tailleur y habitait, avec sa femme. Il demanda l’hospitalité, pour la nuit. La femme était seule à la maison (son mari était allé à sa journée), et elle lui répondit :<br />
<br />
— Hélas ! mon fils, nous sommes si pauvres, Lie nous ne pouvons vous loger, et je le regrette ; nous n’avons qu’un seul lit et du pain d'orge et de la galette de sarrazin, pour toute nourriture.<br />
<br />
— Au nom de Dieu, ayez pitié de moi, je suis faible, que je ne puis aller plus loin ; je passerai la nuit sur la pierre du foyer.<br />
<br />
— Restez, alors ; nous partagerons avec vous, de bon cœur, le peu que nous avons.<br />
<br />
Le tailleur rentra, peu après, et ne trouva rien à redire à la conduite de sa femme.<br />
<br />
Le lendemain matin, le prince demanda à son hôte s’il ne connaissait pas, dans les environs, quelque bonne maison où il pourrait trouver à gagner sa vie, comme jardinier ou valet d’écurie.<br />
<br />
— Je ne connais guère que des pauvres, par ici, lui répondit le tailleur ; cependant, à une bonne journée de marche, il y a un vieux château, au milieu d’un bois, et peut-être trouverez-vous là ce que vous cherchez.<br />
<br />
Le prince remercia son hôte et se remit en route, à la grâce de Dieu.<br />
<br />
Au coucher du soleil, il arriva sous les murs du château dont lui avait parlé le tailleur. Il paraissait inhabité et depuis longtemps abandonné.<br />
<br />
Les ronces, les épines et les folles herbes l’envahissaient, de tous côtés, et grimpaient jusqu’au sommet des tours et sur les toits. Il eut toutes les peines du monde à se frayer un passage jusqu’à la porte. Il pénètre dans la cour et ne voit personne et n’entend aucun bruit. Il entre dans la cuisine, et là il aperçoit, accroupie sur la pierre du foyer, une vieille femme aux cheveux blancs en désordre, et aux dents longues comme celles d’un râteau.<br />
<br />
— Bonsoir, grand’mère, lui dit-il.<br />
<br />
— Bonsoir, mon fils ; que demandez-vous ? répondit la vieille.<br />
<br />
— Je demande l’hospitalité et du travail.<br />
<br />
— Approchez, mon enfant, venez vous chauffer un peu et me conter votre histoire.<br />
<br />
Le prince mit la vieille au courant de sa situation, et elle se montra bien disposée pour lui. Elle le fit manger, puis le conduisit à sa chambre à coucher et lui dit :<br />
<br />
— Dormez là, tranquille, mon enfant, et demain matin, je vous trouverai de l’occupation. Vous entendrez peut-être, dans la chambre à côté, quelque bruit, qui vous étonnera ; mais, quoi que vous entendiez, n’ouvrez pas la porte de cette chambre, ou vous aurez à vous en repentir.<br />
<br />
Et elle s’en alla, là-dessus.<br />
<br />
Le prince se coucha ; mais, il entendit bientôt, dans la chambre voisine, des plaintes et des gémissements, qui l’empêchèrent de dormir.<br />
<br />
— Qu’est-ce que cela peut bien être ? se dirait-il ; il faut qu’il y ait là quelque malade, qui souffre beaucoup.<br />
<br />
Et comme les plaintes et les gémissements continuaient et lui rendaient le sommeil impossible, il se leva et ouvrit la porte de la chambre défendue. Mais aussitôt il recula d’épouvante, à la vue d’un énorme serpent. Le serpent prit la parole, comme un homme, et lui dit :<br />
<br />
— Sois le bienvenu, prince de Tréguier ! Je te plains cependant, car je crains que tu ne sois traité ici comme moi-même. Et pourtant, tu peux encore éviter ce malheur et te sauver, en me sauvant aussi. Promets-moi de faire exactement ce que je te dirai, et tout ira bien.<br />
<br />
Le prince était tellement frappé de ce qu’il voyait et entendait, qu’il ne pouvait parler.<br />
<br />
— Ne t’effraie pas et ne crains rien de moi, car je ne te veux que du bien, reprit le serpent ; me promets-tu de faire ce que je te dirai ?<br />
<br />
— Oui, si je le puis, répondit-il enfin.<br />
<br />
— Écoute bien, alors : va tout doucement au bois, coupes-y un fort bâton de houx ou de coudrier, apporte-le ici et je te dirai ce que tu devras faire, ensuite.<br />
<br />
Le prince se rend au bois, y coupe un gros bâton de coudrier et revient avec. Le serpent lui dit alors :<br />
<br />
— A présent, fourre-moi le bâton dans le corps, par la bouche, puis, me chargeant sur ton dos, pars en silence, pendant que la vieille dort, et emporte-moi hors d’ici. Tu marcheras tout droit devant toi, jusqu’à ce que tu trouves un autre château. Quand tu te sentiras faiblir, ou que tu auras faim ou soif, lèche l’écume que j’aurai à la bouche, et aussitôt tu te sentiras réconforté.<br />
<br />
Le prince charge le serpent sur son dos et part, sans bruit. Il marche et marche. Quand il a faim ou soif, il lèche la bouche du reptile et continue sa route. Mais, à force de marcher, il se fatiguait et demandait souvent :<br />
<br />
— Est-ce que c’est encore loin ?<br />
<br />
— Courage ! lui répondait le serpent, nous approchons.<br />
<br />
Et il allait encore.<br />
<br />
— Je n’en puis plus, je vais vous jeter à terre, dit-il enfin.<br />
<br />
— Ne vois-tu pas, devant toi, une haute muraille ?<br />
<br />
— Si, mais c’est encore loin.<br />
<br />
— Lèche-moi la bouche, et continue de marcher ; encore un effort, et nous sommes sauvés.<br />
<br />
Enfin, avec bien du mal, le prince arrive au pied de la muraille : il franchit la porte, qu’il trouve ouverte, et le voilà dans la cour du château.<br />
<br />
— Holà ! cria alors le serpent, tout va bien ! retire-moi le bâton du corps.<br />
<br />
Le prince retira le bâton et se trouva aussitôt en présence d’un roi, avec la couronne en tête, au lieu d’un serpent.<br />
<br />
— Ma bénédiction sur toi, prince de Tréguier, lui dit le roi ; il y a cinq cents ans que j’avais été métamorphosé en serpent par un méchant magicien. J’ai trois filles, d’une beauté remarquable, qui habitent dans ce château et que le même magicien y retenait aussi enchantées et endormies ; en me délivrant, tu les as également délivrées, et je te donne la main de celle des trois que tu préféreras. Les voilà, qui nous appellent, chacune à la fenêtre de sa chambre.<br />
<br />
Et les princesses saluaient en effet leur père et tendaient vers lui leurs mains, en disant :<br />
<br />
— Voilà notre père revenu ! Il y a cinq cents ans que nous ne l’avions vu ; courons à sa rencontre !<br />
<br />
Et les trois princesses descendirent, et se jetèrent au cou du vieillard, en pleurant de joie ; puis le roi leur dit, en leur montrant le prince :<br />
<br />
— Voici, mes enfants, le prince de Tréguier, à qui nous devons notre délivrance des charmes du magicien, et je désire qu’une de vous, celle qu’il choisira, le prenne pour époux.<br />
<br />
— Le prince de Tréguier !... Qu’est-ce que cela ?... répondirent les deux aînées, d’un air dédaigneux.<br />
<br />
— Moi, mon père, je le prendrai volontiers, puisque c’est à lui que vous devez votre délivrance, dit la cadette.<br />
<br />
— Sotte ! lui dirent ses sœurs, qu’il montre du moins ce dont il est capable.<br />
<br />
— C’est juste, répondit le vieux roi.<br />
<br />
Et il donna au prince une épée enchantée et un beau cheval blanc et lui dit :<br />
<br />
— Vas en Russie avec cette épée, et ce cheval. Le cheval connaît la route et te conduira, et pendant que tu tiendras l’épée, tu pourras être sans inquiétude, car elle n’a pas son égale au monde. Avec les deux, tu triompheras partout de tes ennemis. Quand tu seras dans une bataille, au milieu de la mêlée, tu n’auras qu’à lever l’épée en l’air, en disant : — Fais ton devoir, ma bonne épée ! et aussitôt, se démenant et frappant d’elle-même, comme une enragée, elle abattra et taillera en pièces tout ce qui se trouvera sur son chemin, excepté toutefois ce que tu lui diras d’épargner. Tu arriveras en Russie, au moment d’une grande bataille ; tu lanceras ton cheval au milieu de la mêlée et diras à ton épée de faire son devoir, et elle le fera, sois tranquille ; elle massacrera et tuera tout. De même, quand tu seras à la chasse, elle poursuivra et atteindra le gibier ; tu n’auras qu’à la regarder faire. L’empereur de Russie, pour reconnaître le service que tu lui auras rendu (car c’est pour lui que tu combattras), t’accordera la main de sa fille unique, qui est d’une beauté merveilleuse, et dont tu deviendras amoureux, sitôt que tu la verras. Ta femme te trahira avec un des généraux de son père, qui sera son amant. Ils viendront à bout de te dérober ton épée, et dès lors, tu ne pourras plus te défendre. Tu seras mis à mort et ton corps haché menu, comme chair à pâté. Mais, ne t’effraye pas, car, malgré tout, tu ressusciteras et épouseras un jour la fille du roi de Naples<ref>Le roi de Naples, c’est le roi Serpent lui-même.</ref>. Avant de mourir, demande que l’on mette dans un sac ton corps, ainsi réduit en menus morceaux, et que le sac soit mis sur le dos de ton cheval, que l’on laissera aller en liberté. On te l’accordera facilement. Le cheval reviendra à la maison, et dès lors, tu seras sauvé, car avec de l’eau merveilleuse que je possède, de l’eau de vie, je te ressusciterai et reconstituerai ton corps, aussi entier et aussi sain qu’il le fut jamais.<br />
<br />
Le prince se rend en Russie avec son bon cheval et sa bonne épée. Quand il y arrive, on est au plus fort d’une sanglante bataille. Il lance son cheval dans la mêlée, va se placer entre les deux armées et lève son épée en l’air en disant : — « Fais ton devoir, ma bonne épée ! » et en lui indiquant le côté où il faut frapper. L’épée se rue comme la foudre sur les ennemis et les couche tous à terre, en un clin-d’œil.<br />
<br />
L’empereur de Russie, sauvé par une intervention si merveilleuse et si inattendue, emmena le prince de Tréguier à sa cour et le combla d’honneurs et de faveurs. Il vit la fille de l’empereur, qui était d’une beauté merveilleuse, et en tomba aussitôt amoureux. Il demanda sa main, l’obtint facilement, et le mariage fut célébré, avec pompe et solennité, de grands festins et de belles fêtes.<br />
<br />
Cependant la princesse aimait peu son mari, et lui préférait un jeune et beau général des armées de son père. Le prince de Tréguier, qui en avait été prévenu et connaissait d’avance ce qui devait lui arriver, ne paraissait pas s’en soucier, et passait la plus grande partie de son temps à la chasse. Il prenait tant de gibier de toute sorte, grâce à son épée, — perdrix, bécasses, lièvres, chevreuils, loups, sangliers, ours, — que tout le monde en était étonné, et les princes et les courtisans furent bientôt tous jaloux de lui, mais principalement le jeune général qui se montrait si assidu et si empressé auprès de sa femme.<br />
<br />
— Comment donc s’y prend-il ? se demandait celui-ci ; il doit y avoir quelque sorcellerie là-dessous, et je ferai en sorte de la découvrir.<br />
<br />
Un jour, que le prince de Tréguier avait abattu une quantité incroyable de pièces de toute sorte, sa femme se montra plus aimable que d’ordinaire à son égard, feignit d’être fière de lui et lui dit :<br />
<br />
—- Quel chasseur vous faites, prince ! Jamais on n’a vu votre pareil, et si vous ne vous modérez, vous êtes capable de détruire tout le gibier de la Russie. Tous nos chasseurs sont dépités et humiliés de vos exploits, autant que j’en suis fière, moi. Mais, comment faites-vous donc, dites-moi, pour tuer tant de bêtes, tous les jours ? C’est vraiment merveilleux !<br />
<br />
— Je vous le dirai, mais, à vous seule et en vous demandant le secret le plus absolu, répondit le prince. J’ai une épée enchantée, qui ne me quitte jamais, et quand je lui dis : — Fais ton devoir, ma bonne épée ! elle atteint et terrasse tout ce que je veux, à la chasse comme dans un combat entre deux puissances rivales.<br />
<br />
— Je pensais bien qu’il y avait quelque magie là-dessous, répondit la princesse ; — et en même temps elle se disait à part soi : — C’est bon ! cette épée sera bientôt à moi ; je substituerai une autre épée à la sienne, pendant qu’il dormira, et le tour sera joué.<br />
<br />
Et en effet, dès le lendemain matin, la substitution était opérée, sans que le prince en sût rien, et, en se levant, il prit l’épée qu’il trouva sous son oreiller, ne doutant pas que ce ne fût la sienne, parce qu’il la mettait là, tous les soirs, et partit à la chasse, comme d’ordinaire. Mais, il avait beau dire à cette épée : Fais ton devoir, ma bonne épée ! quand passaient les lièvres et les chevreuils, ou que les perdrix et les bécasses s’envolaient, elle n’en faisait rien.<br />
<br />
— Hélas ! je suis trahi ! s’écria le prince, en voyant cela.<br />
<br />
Et, pour la première fois, il rentra sans avoir rien pris, triste et la tète baissée.<br />
<br />
Sa femme et son amant le firent saisir et enchaîner aussitôt, par leurs valets.<br />
<br />
— Je n’ignore pas d’où me vient cette trahison, leur dit-il, mais, puisqu’on veut se défaire de moi, je demande, pour toute grâce, que mon corps soit découpé en morceaux, aussi menus que l’on voudra, et que tous ces morceaux, réunis dans un sac, soient chargés sur le dos de mon cheval blanc, que l’on laissera aller aussitôt en liberté.<br />
<br />
On le lui promit, et on fît ce qu’il demandait. Le cheval se rendit tout droit, avec sa charge, à la cour du roi Serpent. Quand il entra dans l’écurie, les valets furent suffoqués par l’odeur infecte qui y entra avec lui, et sortirent tous. Un d’eux alla trouver le roi et lui dit :<br />
<br />
— Le cheval blanc, qui était parti pour la Russie, vient d’arriver, sire, portant sur son dos un sac rempli de je ne sais quoi, mais qui répand une odeur si infecte, que ni homme ni bête ne peut la supporter.<br />
<br />
— Apporte-moi, vite, le sac ici, répondit le roi.<br />
<br />
Le valet apporta le sac au roi. Celui-ci l’ouvrit, répandit sur le contenu informe et puant quelques gouttes de son eau merveilleuse, et le prince de Tréguier en sortit, aussi sain de tous ses membres, qu’il l’avait jamais été.<br />
<br />
Trois jours après, le roi Serpent dit encore au prince de Tréguier qu’il lui fallait retourner en Russie.<br />
<br />
— Cette fois, ajouta-t-il, vous y irez sous la forme d’un beau cheval blanc. Je vous mettrai dans l’oreille gauche une fiole de mon eau de vie, car vous en aurez encore besoin. Quand vous arriverez à la cour de l’empereur, vous vous rendrez tout droit à l’écurie. Il y a, dans le palais, une jeune fille, dédaignée et méprisée par tout le monde, et que l’on emploie à garder les dindons, bien qu’elle soit de haute naissance. comme vous l’apprendrez plus tard. On l’appelle Souillon, et c’est elle qui vous viendra en aide. Quand elle vous verra arriver, elle dira à votre femme, qui s’est remariée à son ancien amant le général : — Ah ! Madame, le beau cheval qui vient d’arriver dans votre écurie, on ne sait d’où ! Votre femme se rendra aussitôt à l’écurie, et, en vous voyant, elle dira : — Ceci doit être quelque chose de la part de mon premier mari ! Et aussitôt, elle donnera l’ordre de vous tuer, de vous hacher en menus morceaux et de jeter le tout dans une fournaise ardente, pour y être consumé par le feu. En entendant cela, Souillon s’écriera : — Un si beau cheval ! c’est vraiment pitié de le tuer ! Et elle s’approchera de vous pour vous caresser de la main. Dites-lui alors, tout doucement, de prendre la fiole que vous aurez dans l’oreille gauche, et soyez sans inquiétude, car elle saura quel emploi elle devra en faire.<br />
<br />
Le prince se rend donc une seconde fois en Russie, sous la forme d’un beau cheval blanc. Sa femme, dès qu’elle le voit, donne l’ordre de le mettre à mort, de le hacher en menus morceaux et de jeter le tout dans une fournaise ardente. Mais, Souillon s’est déjà emparée de la fiole d’eau de vie, qui était dans son oreille. Quand le cheval est tué et haché en menus morceaux, elle forme une petite boule de son sang caillé, la dépose sur une pierre, au soleil, et l’arrose de quelques gouttes de son eau merveilleuse. Aussitôt, il s’en élève un beau cerisier, portant de belles cerises rouges et dont le sommet atteint à la hauteur de la fenêtre de la chambre de la princesse. Celle-ci, à cette vue, s’écrie encore :<br />
<br />
— C’est quelque chose de la part de mon premier mari !<br />
<br />
Et elle fait abattre le cerisier et le jeter au feu. Mais, Souillon a eu le temps d’en cueillir auparavant une belle cerise rouge. Elle la dépose au soleil, sur la pierre d’une fenêtre basse, verse dessus quelques gouttes de son eau merveilleuse, et aussitôt un bel oiseau bleu en sort, qui s’envole au jardin, en faisant : Dric ! dric !... La princesse et son mari, qui se promènent dans le jardin, remarquent l’oiseau et s’écrient :<br />
<br />
— Oh ! le bel oiseau ! essayons de le prendre ! Et ils se mettent à sa poursuite. L’oiseau vole de buisson en buisson, sans jamais aller loin, et de façon à leur laisser tout espoir de le prendre. Le mari de la princesse dépose son épée à terre, afin de pouvoir courir plus librement. Alors, l’oiseau se pose sur l’épée, et aussitôt il devient un homme, le prince de Tréguier ! Celui-ci saisit l’épée et la brandit en s’écriant :<br />
<br />
— Holà ! tout va bien ! Fais ton devoir, ma bonne épée !<br />
<br />
Et l’épée se jeta sur la princesse et son mari, et leur trancha la tète.<br />
<br />
Le prince de Tréguier vit alors s’avancer vers lui, avec un gracieux sourire, une princesse d’une beauté merveilleuse. Qui était-ce ? La plus jeune des trois filles du roi de Naples ou du roi Serpent, qui l’avait suivi et secouru, dans toutes ses épreuves, et s’était faite gardeuse de dindons, à la cour de l’empereur de Russie, afin de n’être pas reconnue, car c’était la Souillon elle-même.<br />
<br />
Ils revinrent alors à Naples, où leur mariage fut célébré, avec grande pompe et solennité, et il y eut, à cette occasion, de grandes fêtes et de grands festins. J’aurais bien voulu être aussi par là, quelque part, à la cuisine, par exemple, à laver la vaisselle ; assurément, j’aurais mieux soupé que je ne le fais ordinairement, avec des pommes de terre cuites à l’eau pour tout régal.<br />
{{Ref}}<br />
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[[Catégorie:Marguerite Philippe]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Fille_du_roi_d%27Espagne_(la)Fille du roi d'Espagne (la)2012-06-03T17:23:34Z<p>Admin : </p>
<hr />
<div>'''La fille du roi d'Espagne ''ou'' Peau-d-'Âne'''. Conté par Barbe Tassel, Plouaret, 1869.<br />
<br />
==Texte intégral ==<br />
<br />
:''Kement-man holl oa d’aun amzer''<br />
:''Ma ho defoa dennt ar ier.''<br />
<br />
:Tout ceci se passait du temps<br />
:Que les poules avaient des dents.<br />
<br />
<br />
Il y avait une fois un roi d’Espagne dont la femme venait de mourir. Il aimait beaucoup la reine, et fut si désolé de sa perte, qu’il jura de ne pas se remarier... à moins de trouver une jeune fille qui lui ressemblât, et à qui ses habits de noces iraient parfaitement. Or, la reine était d’une beauté si accomplie et de formes si parfaites, qu’il était convaincu qu’il resterait veuf, le reste de ses jours.<br />
<br />
Il avait une fille, âgée de dix-huit ans, et qui était aussi d’une grande beauté, et ressemblait à sa mère. Un jour, en jouant, elle mit les habits de noces de sa mère, et ils lui allaient à merveille et comme s’ils avaient été faits pour elle. Son père survint et se jeta à son cou, en s’écriant :<br />
<br />
— Ma femme ! ma femme !... J’ai retrouvé ma femme !...<br />
<br />
La princesse rit, pensant que son père plaisantait. Mais, il ne plaisantait pas. Quelques-uns prétendent que la douleur qu’il avait éprouvée de la perte de sa femme avait troublé sa raison. Toujours est-il que le lendemain, il parla à la princesse de l’épouser et, pendant huit jours, il la poursuivit de ses instances, sans lui laisser un moment de tranquillité. La pauvre enfant était bien embarrassée.<br />
<br />
Elle alla consulter une vieille femme, qui habitait une pauvre hutte, dans un bois voisin. La vieille lui dit :<br />
<br />
— Consolez-vous, mon enfant ; je vous conseillerai, et cette sotte passion passera à votre père. Dites-lui que vous voulez avoir d’abord une robe de la couleur des étoiles.<br />
<br />
La princesse retourna à la maison, et quand son père revint lui parler de son amour, elle lui dit :<br />
<br />
— Commencez, mon père, par me procurer une robe de la couleur des étoiles, puis nous verrons.<br />
<br />
Le roi envoie des messagers chez tous les marchands de draps et de tissus de la ville, puis par tout le royaume, avec ordre de lui apporter tout ce qu’ils trouveront de plus beau et de plus riche, sans regarder au prix. On finit par trouver un tissu de la couleur des étoiles. On le présenta à la princesse, et son embarras, loin de se dissiper, ne fit que s’accroître.<br />
<br />
Elle alla encore trouver la vieille.<br />
<br />
— Hélas ! lui dit-elle, on m’a trouvé un tissu pour faire une robe de la couleur des étoiles !<br />
<br />
— Eh bien ! répondit la vieille, dites à présent, à votre père, que vous voulez aussi une robe de la couleur de la lune. Il ne trouvera pas cela aussi facilement, et, pendant qu’on cherchera, peut-être reviendra-t-il à son bon sens.<br />
<br />
Le lendemain, quand son père vint lui faire sa cour, elle lui dit :<br />
<br />
— Je veux, à présent, mon père, avoir aussi une robe de la couleur de la lune.<br />
<br />
— Vous l’aurez, ma fille, répondit-il, quoi qu’il puisse m’en coûter.<br />
<br />
Et il envoya encore des messagers, dans toutes les directions.<br />
<br />
On finit par se procurer encore ce tissu précieux, au bout de quinze jours de recherches patientes, mais il coûta cher ! Le roi, radieux, alla le présenter à sa fille.<br />
<br />
L’embarras de la princesse ne fit qu’augmenter, car son père devenait chaque jour plus pressant, et, la nuit venue, elle alla encore, secrètement, consulter la vieille du bois.<br />
<br />
— Hélas ! lui dit-elle, il m’a encore trouvé une robe de la couleur de la lune !<br />
<br />
— Vraiment ? Comment s’y prend-il donc ?... Mais, peu importe ; demandez-lui, à présent, une robe de la couleur du soleil, et nous verrons bien comment il s’en tirera, cette fois.<br />
<br />
On envoya encore des messagers de tous les côtés, dans le royaume, et même hors du royaume, à la recherche d’un tissu de la couleur du soleil. Un mois, deux mois, trois mois se passèrent, et les messagers ne revenaient pas, et le roi était fort inquiet. On finit pourtant par le trouver aussi, ce tissu merveilleux, et le roi, ne se tenant pas de joie, courut le présenter à la princesse, en criant :<br />
<br />
— Le voilà ! Il est trouvé !... Nous allons, à présent, faire les noces !...<br />
<br />
— Oui, mon père, répondit-elle tranquillement, vous m’avez procuré tout ce que je vous ai demandé, et je dois tenir ma parole.<br />
<br />
Mais, la nuit venue, elle sortit encore secrètement du palais, pour aller trouver la vieille du bois, et elle lui dit :<br />
<br />
— Hélas ! c’en, est fait de moi ! Il m’a aussi procuré la robe de la couleur du soleil !<br />
<br />
— Et comment diable a-t-il pu faire cela ! s’écria la vieille, étonnée... A présent, ma pauvre enfant, il vous faut quitter la maison de votre père. Mettez dans un coffre vos trois robes couleur des étoiles, de la lune et du soleil, et aussi la toilette de mariage de votre mère, et emportez-les, de nuit. Vous vous habillerez simplement, comme la fille d’un artisan, et ferez en sorte de vous placer comme servante, dans quelque ferme, à la campagne.<br />
<br />
La princesse suivit les conseils de la vieille et quitta la maison de son père, en emportant un coffre contenant les trois robes merveilleuses et la toilette de mariage de sa mère.<br />
<br />
Quand le roi s’aperçut, le lendemain matin, de la disparition de sa fille, il pleura comme un enfant, et il envoya des soldats partout à sa recherche. Elle allait être prise par une troupe de cavaliers, quand elle se cacha sous l’arche d’un pont, et les cavaliers passèrent, sans l’apercevoir. Ils repassèrent presque aussitôt, en s’en retournant à la maison, et elle les entendit qui disaient : — A quoi bon aller plus loin ? La princesse est beaucoup plus sage que son père !<br />
<br />
Elle sortit alors de sa cachette et continua sa route. Au coucher du soleil, elle arriva à un vieux château, et y demanda logement, pour la nuit. On eut pitié d’elle, tant elle était exténuée de fatigue, et on la logea. Le château était habité par une veuve riche, et qui n’avait qu’un fils unique.<br />
<br />
Le lendemain, la princesse demanda à être gardée comme servante dans la maison. On la prit pour garder les pourceaux. Elle passait toutes ses journées avec ses bêtes dans le bois qui entourait le château.<br />
<br />
Un jour, que le temps était beau et le soleil clair, elle tira de son coffre, qu’elle ne quittait jamais, sa robe de la couleur des étoiles et la revêtit. Le jeune seigneur du château, qui chassait dans le bois, l’aperçut et s’approcha à la hâte. Mais, la princesse aussi l’avait aperçu de loin, et elle ôta vite sa robe et la serra dans son coffre, qu’elle cacha dans un buisson. Quand le jeune seigneur arriva près d’elle, et ne vit qu’une gardeuse de pourceaux, au lieu de la belle princesse qu’il s’attendait à trouver, il fut bien déçu, fit un geste de dépit et s’en retourna au château, sans rien dire.<br />
<br />
Le lendemain, la princesse mit sa robe de la couleur de la lune. Le jeune seigneur l’aperçut encore et courut à elle. Mais, elle eut encore le temps d’ôter sa robe et de la serrer dans son coffre, qu’elle cacha dans un buisson, et le chasseur, désappointé, se trouva, comme la veille, en présence de la gardeuse de pourceaux.<br />
<br />
— N’avez-vous pas vu une belle princesse par ici, tout à l’heure ? lui demanda-t-il.<br />
<br />
— Non, Monseigneur, répondit-elle, je n’ai vu personne.<br />
<br />
Et il tourna encore les talons, d’un air dépité, et en se disant :<br />
<br />
— Cette gardeuse de pourceaux doit être autre chose que ce qu’elle paraît ; il faut que je la surveille.<br />
<br />
Le lendemain, la princesse mit sa robe de la couleur du soleil, et elle était si belle, que les petits oiseaux sautillaient et chantaient d’allégresse, sur les branches, au-dessus de sa tête, et ses pourceaux eux-mêmes l’admiraient, en faisant : Oc’h ! oc’h !...<br />
<br />
Le jeune seigneur, qui la guettait, caché derrière un tronc d’arbre, courut à elle. Mais, il trébucha et tomba dans une fosse recouverte de fougère et d’herbes folles. La jeune fille eut encore le temps d’ôter sa robe et de la serrer dans son coffre, qu’elle cacha dans un buisson, et quand le seigneur arriva près d’elle, il se trouva encore devant la gardeuse de pourceaux. Mais, il savait à quoi s’en tenir, à présent, et il retourna au château, en songeant à la manière dont il s’y prendrait, pour connaître toute la vérité.<br />
<br />
Sa mère voulait le marier, et trois jeunes demoiselles devaient arriver au château, pour y passer quelques jours. La veille de leur arrivée, il prit son fusil et partit, plus tôt que d’ordinaire, pour la chasse, afin, disait-il, de prendre quelques pièces de gibier pour les demoiselles attendues. Il se rendit tout droit à une ferme, qui était sur la lisière du bois, et demanda à la fermière de lui permettre de passer trois ou quatre nuits et autant de jours dans un lit placé sous l’escalier, et où n’arrivait pas la lumière du jour.<br />
<br />
— Jésus ! Monseigneur, s’écria la fermière, vous serez très mal là ! J’ai un bon lit de plume, dans la chambre, et vous y serez beaucoup mieux.<br />
<br />
— Non, non ! répondit-il, c’est sous l’escalier que je veux être. Demain matin, vous irez au château, et vous demanderez un peu de bouillon frais pour une mendiante malade, à qui vous avez donné l’hospitalité. Si l’on vous demande si vous ne m’avez pas vu, vous direz que non.<br />
<br />
Il se coucha donc dans le lit, sous l’escalier, et la fermière alla, le lendemain matin, au château et dit à la dame :<br />
<br />
— Je viens, Madame, vous demander un peu de bouillon frais, pour une pauvre mendiante, à qui j’ai donné l’hospitalité, la nuit dernière, et qui est restée dangereusement malade, chez nous.<br />
<br />
— Oui, certainement, fermière, et venez tous les jours en chercher, pendant que la malade sera chez vous. Mais, dites-moi, n’avez-vous pas vu mon fils, hier ?<br />
<br />
— Nous le voyons, presque tous les jours, Madame, qui va à la chasse ou en revient, mais hier, nous ne l’avons pas vu.<br />
<br />
— Il est parti, hier matin, pour la chasse, selon son habitude, et il n’est pas rentré, et je suis un peu inquiète. Si vous le voyez, dites-lui que les demoiselles que nous attendions sont arrivées, et qu’il revienne, vite, à la maison.<br />
<br />
La fermière s’en retourna avec le bouillon, et accompagnée d’une des trois demoiselles, qui voulait voir la malade.<br />
<br />
— Où est cette pauvre femme ? demanda-t-elle, en entrant dans la maison.<br />
<br />
— La voici, dans ce lit, sous l’escalier.<br />
<br />
— Dieu ! comme il fait noir là ! Apportez une lumière, pour que je puisse la voir.<br />
<br />
— Hélas ! elle est si mal, qu’elle ne peut supporter la lumière.<br />
<br />
La demoiselle s’approcha du lit, à tâtons, et demanda :<br />
<br />
— Comment êtes-vous, ma pauvre femme ?<br />
<br />
— Mal, répondit une voix si faible, qu’on l’entendait à peine ; hélas ! j’en mourrai, sans doute ; mais, ce qui me peine le plus, c’est de songer que j’ai laissé mourir, faute de soins, un petit enfant que j’ai eu...<br />
<br />
— Que cela ne vous tourmente pas, ma pauvre femme ; moi aussi, j’ai eu un enfant, du jardinier de mon père, et personne n’en a jamais rien su.<br />
<br />
Et elle lui donna une pièce d’or et s’en alla.<br />
<br />
Le lendemain, la fermière alla encore chercher du bouillon au château, et une autre des trois demoiselles l’accompagna, pour voir la malade.<br />
<br />
— Comment vous trouvez-vous, ma pauvre femme ? lui demanda-t-elle.<br />
<br />
— Mal, fort mal ! répondit une voix d’une faiblesse extrême ; hélas ! j’en mourrai, sans doute ; mais, ce qui me peine le plus, c’est un enfant que j’ai eu, sans être mariée, et que j’ai laissé mourir, faute de soins.<br />
<br />
— Bast ! que cela ne vous tourmente pas tant ; moi aussi, j’ai eu deux enfants, sans être mariée, et ils sont morts tous les deux, et personne n’en a jamais rien su.<br />
<br />
Et elle lui donna aussi deux pièces d’or, et s’en alla.<br />
<br />
— Tout ceci est bon à savoir, se disait le jeune seigneur.<br />
<br />
Le troisième jour, quand la fermière alla encore chercher du bouillon, au château, pour la prétendue malade, la troisième demoiselle vint avec elle à la ferme.<br />
<br />
— Comment allez-vous, ma pauvre femme ? demanda-t-elle, comme les autres.<br />
<br />
— Mal, très mal ! et j’en mourrai, sans doute ; mais ce qui me tourmente le plus, en ce moment, c’est la pensée d’un enfant que j’ai eu, sans être mariée, et que j’ai laissé mourir, faute de soins.<br />
<br />
— Bast ! ne vous tourmentez donc pas tant, pour si peu ; j’en ai eu trois, moi, et ils sont morts tous les trois, sans que personne en ait jamais rien su.<br />
<br />
Et elle lui donna aussi trois pièces d’or, et s’en alla.<br />
<br />
— Je me souviendrai de tout ceci... Et elles veulent encore m’avoir pour mari !... se dit le jeune seigneur.<br />
<br />
Le lendemain matin, il dit à la fermière :<br />
<br />
— Allez encore, pour la dernière fois, chercher du bouillon au château et demandez, de plus, un panier de salade et la gardeuse de pourceaux pour vous le porter jusqu’à la ferme.<br />
<br />
La fermière se rendit au château, pour la quatrième fois, et en revint avec la gardeuse de pourceaux. Celle-ci demanda à voir aussi la malade.<br />
<br />
— Comment êtes-vous, ma pauvre femme ? lui demanda-t-elle.<br />
<br />
— Mal, très mal ! J'en mourrai, sans doute ; mais, ce qui me chagrine le plus, c’est que j’ai laissé mourir, faute de soins, un enfant que j’ai eu.<br />
<br />
— Vous êtes mariée ?<br />
<br />
— Hélas ! non.<br />
<br />
— Dieu ! que me dites-vous là ? Et moi, qui suis la fille du roi d’Espagne, j’ai quitté le palais de mon père, habillée en servante, et je me suis faite gardeuse de pourceaux, pour ne pas tomber dans le péché !... Mais, peu importe, Dieu est bon et miséricordieux ; priez-le, du fond du cœur, je le prierai aussi, et il vous pardonnera.<br />
<br />
Et elle s’en alla.<br />
<br />
— Je sais, à présent, ce que je voulais savoir, se dit le jeune seigneur.<br />
<br />
Il se leva alors et prit, joyeux, la route de la maison. Il tua une perdrix, et l’apporta au château. Quand il arriva, sa mère lui sauta au cou, pour l’embrasser, et les trois demoiselles firent comme elle. Il fit cuire la perdrix qu’il avait prise et dit à sa mère qu’il voulait souper seul avec les trois demoiselles, dans sa chambre.<br />
<br />
Quand on servit la perdrix, il la découpa en six morceaux : en mit un dans l’assiette d’une des demoiselles, deux dans celle de la seconde, et ois dans celle de la troisième.<br />
<br />
— C’est moi, pensa celle-ci, qui suis celle qu’il préfère et qui l’épouserai !<br />
<br />
— A présent. Mesdemoiselles, dit-il alors, il faudra danser !<br />
<br />
— Oui, répondirent-elles, après souper ; mais, nous n’avons qu’un danseur et pas de sonneur (ménétrier).<br />
<br />
— Voici le ménétrier qui vous fera danser, mères dénaturées et sans cœur, dit-il en prenant un fouet pendu à un clou au mur.<br />
<br />
Et il se mit à cingler les demoiselles, à tour de bras. Et des cris, des sanglots et des larmes.<br />
<br />
— Pardon ! pitié ! miséricorde ! criaient-elles.<br />
<br />
— Pitié, dites-vous ? Et avez-vous eu pitié, vous, de vos enfants, que vous avez fait mourir secrètement : vous, un ; vous, deux, et vous trois ?...<br />
<br />
Ce n’est pas vrai ! criaient-elles.<br />
<br />
Comment, ce n’est pas vrai ? Mais, c’est vous-mêmes qui me l’avez avoué ! Car sachez que je suis la prétendue malade à qui vous avez livré votre secret, dans la ferme. Retournez, vite, chez vos parents, et que je ne vous revoie plus !<br />
<br />
Et les pauvres demoiselles s’en allèrent, toutes honteuses et tout en larmes.<br />
<br />
Alors, le jeune seigneur fit appeler la gardeuse de pourceaux :<br />
<br />
— Il faut, Mademoiselle, lui dit-il, que vous me disiez, à présent, la vérité et avouiez qui vous êtes, car je sais que vous êtes autre chose que ce que vous paraissez.<br />
<br />
— Qui je suis ? répondit-elle, une pauvre fille sans père ni mère, ni aucun soutien au monde, et qui a été bien heureuse d’avoir été prise, dans votre maison, pour garder les pourceaux.<br />
<br />
— A quoi bon dissimuler, plus longtemps ? Vous êtes la fille du roi d’Espagne, et je sais pourquoi vous avez quitté le palais de votre père.<br />
<br />
— Qui donc vous l’a dit ?<br />
<br />
— Vous-même.<br />
<br />
— Moi ?... Quand donc et où ?<br />
<br />
— Dans la maison de la fermière, car c’est moi qui étais la prétendue malade couchée dans l’obscurité, sous l’escalier.<br />
<br />
— Est-ce vrai, mon Dieu ?<br />
<br />
— C’est parfaitement vrai, comme je désire vous avoir pour femme, et non une autre.<br />
<br />
On écrivit au roi d’Espagne, qui se hâta de venir, et on célébra le mariage, et il y eut des fêtes et des festins magnifiques.<br />
<br />
J’étais là moi-même, comme tournebroche ; mais comme je trempais mon doigt dans toutes les sauces, un grand diable de cuisinier vint, qui me donna un coup de pied dans le c. et me lança jusqu’ici pour vous conter ce joli conte.<br />
==Note du collecteur==<br />
Serait-ce ici le thème primitif d’après lequel Perrault aurait écrit son conte si connu de Peau d’Ane ? Dans ce cas, il l’aurait sensiblement modifié, dans sa seconde partie surtout, en substituant l’épisode du gâteau et de l’anneau à l’épreuve de la ferme, dans le nôtre, qu’il aura jugé trop cru et trop réaliste pour les jeunes lecteurs à qui il s’adressait.<br />
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[[Catégorie:Barba Tassel]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Hiver_et_le_roitelet_(l%27)Hiver et le roitelet (l')2012-06-03T17:20:50Z<p>Admin : Page créée avec « '''L'hiver et le roitelet'''. Conté par Marguerite Philippe. Décembre 1868. ==Texte intégral== Au temps jadis, — il y a longtemps, bien longtemps de cela, — il s’é... »</p>
<hr />
<div>'''L'hiver et le roitelet'''. Conté par Marguerite Philippe. Décembre 1868.<br />
<br />
==Texte intégral==<br />
Au temps jadis, — il y a longtemps, bien longtemps de cela, — il s’éleva, dit-on, une dispute entre l’Hiver et le Roitelet. Je ne sais pas bien à quel propos.<br />
<br />
— J’aurai raison de toi, petit ! disait l’Hiver.<br />
<br />
— Peut-être ; nous verrons bien, répondit le Roitelet.<br />
<br />
Et il gela à pierre fendre, la nuit après.<br />
<br />
Le lendemain matin, l’Hiver, voyant le Roitelet joyeux et pimpant, comme d’ordinaire, fut étonné et lui demanda :<br />
<br />
— Où étais-tu, la nuit passée ?<br />
<br />
— Dans la buanderie, où les lavandières fout la lessive, répondit-il.<br />
<br />
— C’est bien, cette nuit, je saurai où te trouver.<br />
<br />
Et il fit si froid, cette nuit-là, que l’eau gelait sur le feu.<br />
<br />
Mais le Roitelet n’était pas où il gelait, et l’Hiver, le retrouvant, le lendemain matin, gai et chantant, lui demanda :<br />
<br />
— Où donc étais-tu, la nuit dernière ?<br />
<br />
— Dans l’étable aux bœufs, répondit-il.<br />
<br />
— Bon ! tu auras de mes nouvelles, cette nuit, sois-en sûr.<br />
<br />
Et il fit si froid et il gela si dur, cette nuit-là, que la queue des bœufs colla à leur derrière. Mais, le Roitelet sautillait et chantait encore, le lendemain matin, comme au mois de mai.<br />
<br />
— Comment ! tu n’es pas encore mort ? lui demanda l’Hiver, étonné de le revoir ; où donc as-tu passé la nuit ?<br />
<br />
— Près des nouveaux mariés, dans leur lit.<br />
<br />
— Voyez donc où ! Qui aurait songé à l’aller chercher là ? Mais, tu n’y perdras pas pour attendre et, cette nuit, j’en finirai avec toi.<br />
<br />
— C’est ce que nous verrons bien ! Et il se mit à chanter.<br />
<br />
Cette nuit-là, il gela si fort, si fort, que le lendemain matin, on trouva le mari et la femme morts de froid, dans leur lit.<br />
<br />
Le Roitelet s’était retiré au trou d’un mur, près du four d’un boulanger, et là, le froid ne l’atteignit pas<ref>Dans une autre version, l’Hiver répond : — « Ah ! là, je ne puis pas mettre le nez, » et le conte est fini. Et en effet, ce qui suit semble être complètement étranger à ce début, qui forme un petit récit à part, comme il en existe plusieurs sur le roitelet.</ref>. Mais, il y rencontra une souris, qui cherchait aussi la chaleur, et il s’éleva une dispute fort vive entre eux. Comme ils ne purent pas s’entendre, pour vider le différend, il fut convenu qu’une grande bataille aurait lieu, dans la huitaine, sur la montagne de Bré, entre tous les animaux à plumes et les animaux à poil du pays. Avis en fut donné de tous côtés, et, au jour convenu, on vit tous les oiseaux du pays prendre leur volée vers la montagne de Bré ; les oies, les canards, les dindons, les paons, les poules et les coqs des basses-cours, les pies, les corbeaux, les geais, les merles, etc., prenaient tous cette direction, à la file les uns des autres, et aussi les chevaux, les ânes, les bœufs, les vaches, les montons, les chèvres, les chiens, les chats, les rats et les souris, et personne ne pouvait les en empêcher. Le combat fut acharné et avec des chances diverses. Les plumes volaient en l’air, les poils jonchaient le sol, et c’était partout des cris, des beuglements, des mugissements, des hennissements, des braiements, des miaulements... C’était épouvantable !<br />
<br />
Les animaux à poil allaient enfin l’emporter, quand arriva aussi l’Aigle, qui était en retard. Il se jeta dans la mêlée et, partout où il passait, il abattait et éventrait tout. Il ramena prompte-ment l’avantage du côté des siens.<br />
<br />
Le fils du roi assistait au combat, à la fenêtre de son palais. Voyant que l’Aigle allait tout exterminer, comme il vint à passer au ras de sa fenêtre, il lui porta un coup de sabre et lui cassa une aile, si bien qu’il tomba à terre. La victoire resta dès lors aux animaux à poil, et le Roitelet, qui avait combattu comme un héros, fit entendre son chant de triomphe, au sommet du clocher de la chapelle de saint Hervé, que l’on voit encore sur le haut de la montagne.<br />
<br />
L’Aigle, blessé et ne pouvant plus voler, dit au fils du roi :<br />
<br />
— A présent, il te faudra me nourrir, pendant neuf mois, de chair de perdrix et de lièvres.<br />
<br />
— Je le ferai, répondit le prince.<br />
<br />
Au bout des neuf mois, quand l’Aigle fut guéri, il dit au fils du roi :<br />
<br />
— A présent, je vais retourner chez ma mère, et je désire que tu viennes avec moi, pour voir mon château.<br />
<br />
— Volontiers, répondit le prince, mais comment y aller ? Toi, tu voles dans l’air, et je ne pourrais te suivre, ni à pied ni à cheval.<br />
<br />
— Monte sur mon dos.<br />
<br />
Il monta sur le dos de l’Aigle, et ils partirent, par-dessus les bois, les plaines, les monts et la mer.<br />
<br />
— Bonjour, ma mère, dit l’Aigle en arrivant.<br />
<br />
— C’est toi, mon cher fils ? Tu as fait une longue absence, cette fois, et j’étais inquiète de ne pas te voir revenir.<br />
<br />
— J’ai été bien malade, ma pauvre mère ; — et lui montrant le prince : — Voici le fils du roi de la Basse-Bretagne, qui vient vous faire visite.<br />
<br />
— Un fils de roi ! s’écria la vieille, c’est un morceau délicat, et nous en ferons un bon repas.<br />
<br />
— Non, ma mère, vous ne lui ferez pas de mal ; il m’a bien traité, pendant neuf mois que j’ai été malade chez lui, et je l’ai prié de venir passer quelque temps avec nous, dans notre château ; il faut lui faire bon accueil.<br />
<br />
L’Aigle avait une sœur, qui était très belle, et le prince en devint amoureux, dès qu’il la vit. Cela ne plaisait pas à l’Aigle ni à sa mère non plus.<br />
<br />
Un mois, deux mois, trois mois,... six mois s’écoulèrent, et le prince ne parlait pas de retourner chez lui. La vieille en était très mécontente, si bien qu’elle dit à son fils que si son ami ne songeait pas à s’en aller, sans retard, elle l’ accommoderait à une bonne sauce, et ils le mangeraient à leur repas.<br />
<br />
L’Aigle, voyant cela, proposa au prince une partie de boules dont l’enjeu devait être la vie de celui-ci, s’il perdait, et la main de sa sœur, s’il gagnait.<br />
<br />
— C’est entendu, dit le prince ; où sont les boules ?<br />
<br />
Et ils se rendirent dans une avenue de vieux chênes, large et très longue, où se trouvaient les boules. Hélas ! quand le prince vit ces boules-là !... Elles étaient en fer, et chacune d’elles pesait cinq cents livres. L’Aigle en prit une, et il la maniait, la jetait en l’air, très haut, et la recevait dans sa main, comme si c’eût été une pomme. Le pauvre prince ne pouvait seulement pas remuer la sienne.<br />
<br />
— Tu as perdu et ta vie m’appartient ! lui dit l’Aigle.<br />
<br />
— Je demande ma revanche, répondit le prince.<br />
<br />
— Eh bien ! soit ; à demain la revanche.<br />
<br />
Le prince va trouver la sœur de l’Aigle, les larmes aux yeux, et lui conte tout.<br />
<br />
— Me serez-vous fidèle ? lui demande-t-elle.<br />
<br />
— Oui, jusqu’à la mort ! répond-il.<br />
<br />
— C’est bien ; voici ce qu’il faudra faire : J’ai là deux grandes vessies, que je peindrai en noir, de manière à les faire ressembler à des boules, puis je les mettrai parmi les boules de mon frère, dans l’avenue, et quand vous irez jouer, demain, vous aurez soin de prendre vos boules le premier et de choisir les deux vessies. Quand vous leur direz : — « Chèvre, élève-toi en l’air, bien haut, et vas en Égypte ; il y a sept ans que tu es ici, sans avoir mangé de fer<ref>Suivant ma conteuse, aller en Égypte signifie s’élever en l’air, voyager à travers l’air.</ref> ! » elles s’élèveront aussitôt en l’air, et si haut, si haut, qu’on ne pourra les apercevoir. Mon frère croira que ce sera vous qui les aurez lancées, et, ne pouvant en faire autant, il s’avouera vaincu.<br />
<br />
Les voilà de nouveau dans l’allée aux boules. Le prince prend ses deux boules, c’est-à-dire les deux vessies, et se met à jongler avec elles, et à les lancer en l’air, aussi facilement que si c’eussent été deux balles remplies de son, et cela au grand étonnement de l’Aigle.<br />
<br />
— Que signifie ceci ? se demandait celui-ci, avec inquiétude.<br />
<br />
Il lance le premier sa boule, et si haut, qu’elle mit un bon quart d’heure à tomber à terre.<br />
<br />
— Bien joué ! dit le prince ; à mon tour. Et il murmura ces mots tout bas :<br />
<br />
:''Gavr, kers d’as bro,''<br />
:''Ez out aman seiz bloaz’zo,''<br />
:''Tam houarn na t’eus da zebri !...''<br />
<br />
c’est-à-dire : « Chèvre, retourne à ton pays ; il y a sept ans que tu es ici, sans avoir eu de fer à manger... »<br />
<br />
Aussitôt sa boule s’éleva en l’air, si haut, si haut, qu’on ne l’aperçut bientôt plus, et ils avaient beau attendre, elle ne retombait pas à terre.<br />
<br />
— J’ai gagné ! dit le prince.<br />
<br />
— Cela fait à chacun une partie ; demain, nous jouerons la belle, à un autre jeu, dit l’Aigle.<br />
<br />
Et il s’en retourna à la maison en pleurant et alla conter la chose à sa mère.<br />
<br />
— Il faut le saigner et le manger, dit celle-ci ; pourquoi attendre plus longtemps ?<br />
<br />
— Mais, je ne l’ai pas encore vaincu, ma mère ; demain, nous jouerons à un autre jeu, et nous verrons comment il s’en tirera.<br />
<br />
— En attendant, allez me chercher de l’eau, à la fontaine, car il n’y en a goutte, dans la maison.<br />
<br />
— C’est bien, mère ; demain matin, nous irons tous les deux vous chercher de l’eau, et je porterai un défi au prince à qui en apportera le plus, dans un tonneau.<br />
<br />
L’Aigle va trouver le prince et lui dit :<br />
<br />
— Demain matin, nous irons à la fontaine prendre de l’eau à ma mère, et nous verrons qui de nous deux en apportera le plus.<br />
<br />
— Très bien, répondit le prince, mais montre-moi les pots.<br />
<br />
Et l’Aigle lui montra deux tonneaux de cinq barriques chacun : il en portait facilement un, rempli d’eau, sur le plat de chaque main, — car il était aigle ou homme, à volonté.<br />
<br />
Le prince va encore trouver la sœur de l’Aigle, plus inquiet que jamais.<br />
<br />
— Me serez-vous fidèle ? lui demanda-t-elle encore.<br />
<br />
— Jusqu’à la mort, répondit-il.<br />
<br />
— Eh bien ! demain matin, quand vous verrez mon frère prendre son tonneau, pour aller à la fontaine, dites-lui : — « Bah ! à quoi bon des tonneaux ? Laissez-moi cela là, et me donnez une houe, une pelle et une civière. » — Pourquoi ? demandera-t-il.— Pourquoi ? Mais pour déplacer la fontaine et l’apporter ici, ce qui sera bien plus commode, pour y puiser de l’eau, à volonté.<br />
<br />
En entendant cela, il ira seul chercher de l’eau, car il ne voudra pas voir défaire sa belle fontaine, ni ma mère non plus.<br />
<br />
Le lendemain matin, l’Aigle dit au prince :<br />
<br />
— Allons prendre de l’eau à ma mère.<br />
<br />
— Allons-y, répondit le prince.<br />
<br />
— Prends ce tonneau, voici le mien ; — et eu même temps, il lui montrait deux énormes tonneaux.<br />
<br />
— Des tonneaux ! à quoi bon ? pour perdre du temps ?<br />
<br />
— Comment donc veux-tu apporter de l’eau ici ?<br />
<br />
— Donne-moi tout bonnement une houe, une pelle et une civière.<br />
<br />
— Pourquoi faire ?<br />
<br />
— Pourquoi, imbécile ? Mais, pour apporter la fontaine ici donc, à la porte de la cuisine, afin de nous éviter la peine d’y aller si loin.<br />
<br />
— Quel gaillard ! pensa l’Aigle ; puis il dit : — Eh bien ! reste là, j’irai seul chercher de l’eau à ma mère.<br />
<br />
Ce qu’il fit, en effet.<br />
<br />
Le lendemain, comme la vieille disait à son fils que le moyen le plus sûr de se débarrasser du prince était de le tuer, de le mettre à la broche, puis de le manger, l’Aigle répondit qu’il avait été bien traité chez lui, et qu’il ne voulait pas se montrer ingrat ; mais que, du reste, il allait lui imposer d’autres épreuves, d’où il aurait bien de la peine à se tirer à son honneur.<br />
<br />
Et en effet, il dit encore au prince :<br />
<br />
— Aujourd’hui, j’ai fait la besogne, tout seul, mais demain, ce sera aussi ton tour.<br />
<br />
— Que faudra-t-il faire, demain ? demanda-t-il. — Ma mère a besoin de bois, pour faire du feu, dans sa cuisine, et il faudra abattre une avenue de vieux chênes qui est là, et les lui apporter, dans la cour, pour sa provision d’hiver, et tout cela avant le coucher du soleil.<br />
<br />
— C’est bien, ce sera fait, répondit le prince, en simulant un air indifférent, bien qu’il ne fût pas sans inquiétude.<br />
<br />
Il alla encore trouver la sœur de l’Aigle.<br />
<br />
— Me serez-vous fidèle ? lui demanda-t-elle encore.<br />
<br />
— Jusqu’à la mort, répondit-il.<br />
<br />
— Eh bien ! demain, en arrivant dans la forêt, avec la hache de bois qu’on vous donnera, ôtez votre veste, jetez-la sur une vieille souche de chêne que vous verrez là, avec ses racines découvertes, puis frappez de votre hache de bois le tronc le plus voisin, et vous verrez ce qui arrivera.<br />
<br />
Le prince se rend donc au bois, de bon matin, avec sa hache de bois sur l’épaule. Il ôte sa veste, la jette sur la vieille souche aux racines découvertes qu’on lui a désignée, puis il frappe de sa hache de bois le tronc de l’arbre le plus voisin, lequel s’abat aussitôt, avec un grand bruit.<br />
<br />
— C’est bien, se dit-il ; si ce n’est pas plus difficile que cela, la besogne sera bientôt faite.<br />
<br />
Il frappe ensuite un second arbre, puis un troisième, qui tombent aussi, au premier coup, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ne restât plus un seul arbre debout, dans l’avenue.<br />
<br />
Il s’en retourna alors tranquillement au château.<br />
<br />
— Comment ! est-ce déjà fait ? lui demanda l’Aigle.<br />
<br />
— C’est fait, répondit-il.<br />
<br />
L’Aigle courut à son avenue, et quand il vit tous ses beaux chênes abattus à terre, il se mit à pleurer, puis il alla trouver sa mère.<br />
<br />
— Hélas ! ma pauvre mère, je suis battu ! Tous mes beaux chênes sont à terre ! je ne puis lutter contre ce démon ; quelque puissant magicien le protège, sans doute.<br />
<br />
Comme il faisait ainsi ses doléances à sa mère, arriva le prince, qui lui dit :<br />
<br />
— Je t’ai vaincu, trois fois, et ta sœur m’appartient.<br />
<br />
— Hélas ! oui, répondit-il ; emmène-la et va-t’en, vite.<br />
<br />
Le prince emmena donc dans son pays la sœur de l’Aigle. Mais, celle-ci ne voulait pas l’épouser encore, ni même l’accompagner jusqu’à chez son père. Elle lui dit :<br />
<br />
— Nous nous séparerons, à présent, pour quelque temps, car nous ne pouvons encore nous marier. Mais, restez-moi toujours fidèle, quoi qu’il arrive, et, lorsque le moment sera venu, nous nous retrouverons. Voici une moitié de mon anneau et une moitié de mon mouchoir ; gardez-les et ils vous serviront, au besoin, à me reconnaître, plus tard.<br />
<br />
Le prince fut désolé. Il prit la moitié de l’anneau et la moitié du mouchoir et revint seul au palais de son père, où l’on fut heureux de le revoir, après une si longue absence. Quant à la sœur de l’Aigle, elle se mit en condition, chez un orfèvre de la ville, qui, par hasard, se trouvait être l’orfèvre de la cour. Cependant, le prince oublia vite sa fiancée. Il devint amoureux d’une princesse venue à la cour son père, d’un royaume voisin, et le jour fut fixé pour leur mariage. On fit de grands préparatifs et de nombreuses invitations. L’orfèvre de la cour, qui avait fourni les anneaux et autres bijoux, fut aussi invité avec sa femme, et même la femme de chambre de celle-ci, à cause de sa bonne mine et de sa distinction.<br />
<br />
Celle-ci se fit fabriquer par son maître un petit coq et une petite poule en or, et les emporta, dans sa poche, le jour des noces. Elle fut placée à table vis-à-vis des nouveaux mariés. Elle posa sur la table, à côté d’elle, la moitié de l’anneau dont le prince avait l’autre moitié.<br />
<br />
La nouvelle mariée la remarqua et dit :<br />
<br />
— J’en ai une toute semblable (son mari la lui avait donnée) !<br />
<br />
On rapprocha les deux moitiés l’une de l’autre, et elles se rejoignirent et l’anneau se retrouva complet. Il en fut de même pour les deux moitiés de mouchoir. Tous les assistants témoignèrent de leur étonnement. Le prince, seul, restait indifférent et semblait ne pas comprendre. Alors la sœur de l’Aigle posa sur la table, devant elle, son petit coq et sa petite poule en or, et jeta un pois sur son assiette. Le coq croqua aussitôt le pois<br />
<br />
— Tu l’as encore avalé, glouton ! lui dit la poulette.<br />
<br />
— Tais-toi, répondit le coq, le prochain sera pour toi.<br />
<br />
— Oui, le fils du roi me disait aussi qu’il me serait fidèle, jusqu’à la mort, quand il allait joue aux boules avec mon frère l’Aigle.<br />
<br />
Le prince dressa l’oreille. La sœur de l’Aigle jeta un second pois sur son assiette, et le coq le croqua encore.<br />
<br />
— Tu l’as encore avalé, glouton ! répéta la poulette.<br />
<br />
— Tais-toi, ma poulette, le premier sera pour toi.<br />
<br />
— Oui, le fils du roi me disait aussi qu’il me serait fidèle, jusqu’à la mort, quand mon frère Aigle lui dit d’aller avec lui puiser de l’eau à la fontaine !<br />
<br />
Tout le monde était étonné et intrigué ; le prince aussi était devenu très attentif. La sœur de Aigle jeta un troisième pois sur son assiette, et le coq le croqua comme les deux autres.<br />
<br />
— Tu l’as encore avalé, glouton ! répéta la poulette.<br />
<br />
— Tais-toi, ma gentille poulette, le premier sera pour toi.<br />
<br />
— Oui, le fils du roi me disait aussi qu’il me serait fidèle, jusqu’à la mort, quand mon frère Aigle l’envoya abattre une grande avenue de vieux chênes, avec une hache de bois.<br />
<br />
Le prince comprit enfin. Il se leva, et se tournant vers son beau-père, il lui parla de la sorte :<br />
<br />
— Beau-père, j’ai un conseil à vous demander, j'avais un gentil petit coffret d’or, dans lequel était renfermé mon trésor. Je le perdis, et je m’en procurai un nouveau. Mais voilà que je viens de retrouver le premier, et j’en ai deux, à présent, lequel des deux dois-je conserver, l’ancien ou le nouveau ?<br />
<br />
— Respect toujours à ce qui est ancien, dit le vieillard.<br />
<br />
— C’est aussi mon avis, reprit le prince. Eh bien ! j’ai aimé une autre, avant votre fille, et je m’étais engagé envers elle ; la voici !<br />
<br />
Et il alla à la servante de l’orfèvre, qui était la sœur de l’Aigle, et la prit par la main, au grand étonnement de tous les assistants.<br />
<br />
L’autre fiancée, ainsi que son père, sa mère et ses parents et invités, se retirèrent, fort mécontents. Les festins, les jeux et les réjouissances n’en continuèrent pas moins, pour fêter le mariage du prince et de la sœur de l’Aigle.<br />
<br />
==Note du collecteur==<br />
Le débat entre l’Hiver et le Roitelet par lequel commence ce conte semble étranger à la fable principale et n’avoir été introduit que pour motiver le combat entre les animaux à poil et les animaux à plumes. Le reste du conte — les épreuves du héros, son oubli de l’héroïne et la reconnaissance finale — appartient à un thème très répandu et riche en variantes.<br />
{{Ref}}<br />
[[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]]<br />
[[Catégorie:Marguerite Philippe]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Janvier_et_F%C3%A9vrierJanvier et Février2012-06-03T17:14:45Z<p>Admin : </p>
<hr />
<div>'''Janvier et Février, ''ou'' le ruban de peau rouge'''. Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet (Côtes-du-Nord). — Décembre 1868.<br />
<br />
==Texte intégral==<br />
:''Eur wech a oa, eur wich a vô''<br />
:''Commansament ann holl gaozo :''<br />
:''Na eus na mar na marteze''<br />
:''Hen eus tri droad ann trébez.''<br />
<br />
:Il y avait une fois, il y aura un jour,<br />
:C’est le commencement de tous les contes :<br />
:Il n’y a ni si ni peut-être,<br />
:Un trépied a toujours trois pieds.<br />
<br />
Il y avait une fois un vieux seigneur, qui avait deux fils, nommés Janvier et Février.<br />
<br />
Comme vous le savez, Janvier vient toujours avant Février, de sorte qu’il était l’aîné.<br />
<br />
Quand il fut à l’âge de dix-huit ou vingt ans, il s’ennuyait chez son père, et voulut voyager. Il partit donc, avec la bourse légère, car ils n’étaient pas riches.<br />
<br />
Après avoir marché pendant trois jours, il se trouva dans une grande avenue de vieux chênes, au bout de laquelle était un beau château.<br />
<br />
— Il faut, se dit-il, que je demande si l’on n’a pas besoin d’un domestique, dans ce château.<br />
<br />
Et il frappa à la porte. Elle s’ouvrit aussitôt.<br />
<br />
— Bonjour ! dit-il au portier ; n’a-t-on pas besoin d’un domestique ici ?<br />
<br />
— Oui vraiment ; il vient d’en partir un, et il faut le remplacer ; suivez-moi, et je vais vous conduire au maître.... Voici, maître, un homme qui cherche condition.<br />
<br />
— Fort bien ! répondit le seigneur, j’ai précisément besoin d’un valet, dans le moment. Et s’adressant à Janvier : — Que savez-vous faire ?<br />
<br />
— Je sais faire un peu de tout. Monseigneur.<br />
<br />
— C’est bien, vous avez assez bonne mine, et vous me plaisez. Voici quelles sont mes conditions : Vous irez, tous les jours, travailler aux champs, au bois, au jardin, partout où l’on vous dira. Au coucher du soleil, vous viendrez à la maison, et alors, vous devrez prendre soin des enfants et faire tout ce qu’ils vous demanderont. Vous aurez de beaux gages, cent écus par an, et votre année finira, quand chantera le coucou.<br />
<br />
— C’est à merveille, et je ne demande rien de plus, répondit Janvier.<br />
<br />
— Il y a encore une chose que je ne dois pas vous laisser ignorer, reprit le seigneur : vous ne devrez jamais vous fâcher, quoi que l’on vous dise ou fasse, autrement, vous serez renvoyé sans le sou, et de plus, l’on vous taillera courroie, c’est-à-dire qu’on vous enlèvera un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’aux talons<ref>L'expression ''tailla correann'' ou ''sevel correann'' : tailler courroie ou lever courroie, est proverbiale, dans tout le pays de Lannion et de Tréguier. Elle est employée dans le sens de susciter des embarras, des difficultés, donner du fil à retordre, comme on dit en français. Ce doit être un souvenir de la très ancienne coutume d'après laquelle, lorsque deux hommes s'étaient engagés vis-à-vis l'un de l'autre, celui qui manquait à la parole donnée était condamné à avoir une bande de peau enlevée, depuis la nuque jusqu'à la plante du pied, et acceptait cette peine, sans essayer de s'y soustraire.<br />
<br />
La même coutume se retrouve dans les traditions populaires des Gaëls de l'Ecosse, comme on le voit dans le recueil de F.-J. Campbell. Popular tales of the West Higlands orally collected with a translation. Edinburgh, 4 vol. in-12, 1860-1862.<br />
<br />
Elle existait aussi chez les Romains, et on lit dans Plaute : ''De meo tergo degitur corium''. Cela rappelle enfin l'histoire de la livre de chair, réclamée par le Juif Shylock, dans le Marchand de Venise, de Shakespeare. Cette histoire de la livre de chair se trouve également dans Li Romans de Dolopathos, du commencement du XIIIe siècle, quatrième conte, pages 244 et suivantes de l'édition Charles Brunet et A. de Montaiglon. Paris, P. Jannet, 1856.</ref>.<br />
<br />
— Cela n’est plus aussi bien... Mais, vous-même, Monseigneur, si vous vous fâchez le premier ?...<br />
<br />
— Si je me fâche le premier, c’est à moi qu’on enlèvera le ruban de peau rouge ; mais, je ne me fâche jamais, moi.<br />
<br />
— A la bonne heure !<br />
<br />
Le lendemain matin, on donna une faucille à Janvier et on lui dit d’aller couper de l’ajonc, sur la grande lande.<br />
<br />
— Mais, je ne sais pas où est la grande lande, dit-il.<br />
<br />
— Voici un chien, lui répondit-on, en lui montrant un grand boule-dogue, qui vous y conduira et restera avec vous, jusqu’au coucher du soleil.<br />
<br />
Il se dirige donc vers la lande, conduit par le chien. Il se met à l’ouvrage. Quand il fut fatigué, il voulut se reposer un peu et fumer une pipe. Aussitôt le chien vint à lui, en grognant et en montrant les dents.<br />
<br />
— Tiens ! tiens ! le beau chien ! lui dit-il, et il voulut le caresser.<br />
<br />
Mais, le chien était toujours menaçant.<br />
<br />
— Diable de chien ! s’écria Janvier.<br />
<br />
Il lui fallut laisser sa pipe et se remettre au travail.<br />
<br />
A midi, une servante vint lui apporter son dîner.<br />
<br />
Il s’assit, sur le gazon, à l’ombre d’un hêtre, pour manger sa soupe. La servante avait apporté deux écuellées de soupe, dont l’une, de pain blanc, pour le chien, et l’autre, de pain noir, pour Janvier.<br />
<br />
Janvier mangea sa soupe, d’assez mauvaise humeur, puis il voulut fumer une pipe. Mais, le chien grogna encore et montra les dents, et il lui fallut se remettre immédiatement à l’ouvrage.<br />
<br />
Au coucher du soleil, le chien prit la route du château, et Janvier le suivit. On lui donna encore de la soupe de pain noir, pour son souper. Pendant qu’il la mangeait, les enfants se mirent à crier :<br />
<br />
— J’ai envie de...<br />
<br />
— Allons ! Janvier, dit la maîtresse, accompagnez les enfants dehors.<br />
<br />
Il se leva et sortit avec les marmots. Quand il rentra, on avait fini de manger ; il n’y avait plus rien sur la table.<br />
<br />
— N’aurai-je pas aussi un peu de lard ? de-manda-t-il, timidement.<br />
<br />
— C’est trop tard ! répondit la maîtresse.<br />
<br />
— Triste souper, après une si rude journée do travail ! murmura-t-il.<br />
<br />
— Vous n’êtes pas content ? lui demanda le seigneur.<br />
<br />
— Je ne suis pas fâché non plus ; je n’en mourrai pas, pour un mauvais souper, j’en ai fait bien d’autres.<br />
<br />
Et il alla se coucher, là-dessus.<br />
<br />
Le lendemain matin, il retourna à la lande, toujours accompagné du chien, et cette journée se passa comme la précédente. Quand il voulait se reposer un peu, le chien lui montrait les dents, et il fallait se remettre au travail. A midi, la même servante vint encore avec deux écuellées de soupe : l’une, de pain blanc, pour le chien, et l’autre, de pain noir, pour Janvier. Au coucher du soleil, le chien et le valet revinrent ensemble au château. Janvier était fatigué et avait faim. A peine avait-il entamé son écuelle, que les enfants se mirent encore à crier :<br />
<br />
— J’ai envie de faire pipi, disait l’un ; j’ai envie de faire caca ! disait l’autre.<br />
<br />
Janvier ne faisait pas semblant de les entendre.<br />
<br />
— Allons ! Janvier, lui dit le seigneur, faites votre devoir, accompagnez les enfants dehors ; vous ne les entendez donc pas ?<br />
<br />
— Je les entends bien, et dans un instant, quand j’aurai mangé un peu...<br />
<br />
— Non, non, tout de suite ! tout de suite ! Et il lui fallut sortir, à l’instant.<br />
<br />
— Vite ! allons, vite, petits ! disait-il aux enfants.<br />
<br />
Mais, il eut beau les presser, quand il rentra, le souper était encore terminé, et il ne restait plus rien sur la table. Et comme personne ne lui offrait rien, il s’aventura à dire :<br />
<br />
— J’ai bien travaillé aujourd’hui, maître, et j’ai faim.<br />
<br />
— Tant pis, mon ami. car ici l’habitude est que celui qui arrive, quand la table est desservie, n’a plus droit à rien.<br />
<br />
— Comment ! travailler toute la journée, sans un moment de repos, et n’avoir rien à manger, le soir ! Ce n’est pas là une vie à pouvoir en vivre...<br />
<br />
— Vous n’êtes pas content ?<br />
<br />
— Tout autre à ma place aurait lieu de n’être pas content.<br />
<br />
— Vous savez nos conditions ; nous allons, alors, vous lever courroie. Allons, les gars !...<br />
<br />
Et aussitôt quatre grands valets se jetèrent sur le pauvre Janvier, le dépouillèrent de ses vêtements, puis le couchèrent sur le ventre, sur la table et lui levèrent un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’aux talons. Après quoi, on lu renvoya, sans le sou.<br />
<br />
Il s’en retourna à la maison, triste et malade. Son père, en le voyant revenir, lui dit :<br />
<br />
— Tu n’as pas été loin, mon fils, et le bien-être n’a pas augmenté, chez nous.<br />
<br />
Janvier conta tout à son frère Février, qui promit de le venger.<br />
<br />
Il partit aussitôt, arriva au même château que son frère, et s’engagea au service du seigneur, aux mêmes conditions, c’est-à-dire qu’il travaillerait aux champs, dans la journée, aurait soin des enfants, après le coucher du soleil, aurait un ruban de peau rouge enlevé de la nuque aux talons, le jour où il se fâcherait, et enfin, que ses gages seraient de cent écus par an et que son année finirait, quand le coucou chanterait.<br />
<br />
On l’envoya, dès le lendemain, couper de la lande, et le boule-dogue l’accompagna aussi, A midi, la servante vint, avec deux écuellées de soupe, l’une de pain blanc, l’autre de pain noir. Le chien mangea encore le pain blanc et Février, le pain noir. Q.uand il voulait se reposer un peu, le chien grognait, lui montrait les dents et le forçait de se remettre au travail, si bien qu’il se dit :<br />
<br />
— Voici un camarade dont il faudra que je me débarrasse.<br />
<br />
Au coucher du soleil, ils revinrent tous les deux au château. Quand ils arrivèrent, les autres valets avaient déjà presque fini de manger. Une servante donna sa soupe à Février. Mais, aussitôt les enfants se mirent à crier :<br />
<br />
— J’ai envie de faire pipi ! J’ai envie de faire caca !...<br />
<br />
Février ne bougeait pas. Mais, le maître lui dit :<br />
<br />
— Eh bien ! vous n’entendez donc pas, Février ?<br />
<br />
Et il se leva et sortit avec les enfants. Quand il revint, il n’y avait plus rien sur la table.<br />
<br />
— Ici, lui dit le maître, l’habitude est que celui qui arrive, quand le repas est fini, n’a plus droit à rien.<br />
<br />
— Vraiment ? C’est bon à savoir, répondit Février.<br />
<br />
— N’êtes-vous pas content ?<br />
<br />
— Je ne dis pas cela ; mais, à l’avenir, je ferai attention.<br />
<br />
Et il alla se coucher, sans souper.<br />
<br />
Le lendemain, il alla encore couper de la lande, et toujours avec le chien. Au bout de quelque temps, il voulut fumer une pipe. Le chien grogna et lui montra les dents, et, comme il n’en tenait aucun compte, le chien s’avança sur lui, pour le mordre.<br />
<br />
— Doucement, camarade ! dit Février, qui lui coupa la tète avec sa faucille.<br />
<br />
Puis il fuma sa pipe, tout à son aise.<br />
<br />
A midi, la servante vint, comme à l’ordinaire, lui apporter à manger, et fut étonnée de voir le chien mort, et Février qui dormait, à l’ombre. Elle courut annoncer la chose à son maître.<br />
<br />
Quand Février rentra, le soir, sans le chien :<br />
<br />
— Tu as tué mon chien, misérable ! lui cria e seigneur, furieux.<br />
<br />
— Oui, je l’ai tué, répondit-il tranquillement ; est-ce que vous n’êtes pas content ?<br />
<br />
— Oh ! après tout, pour un chien, ce n’est pas la peine de se fâcher ; viens souper.<br />
<br />
Et il dissimula sa colère.<br />
<br />
Pendant que Février mangeait sa soupe, dans a cuisine, les enfants vinrent encore l’importuner en disant :<br />
<br />
— J’ai envie ! Je veux sortir !...<br />
<br />
— Eh bien ! allez au diable, et me laissez enfin manger, tranquille ! s’écria-t-il, impatienté.<br />
<br />
Et il jeta les enfants par la fenêtre dans la cour.<br />
<br />
— Que fais-tu, misérable ? Tu veux donc tuer les enfants ? s’écria le seigneur, furieux.<br />
<br />
— Vous vous fâchez, maître ?<br />
<br />
— Et qui ne se fâcherait pas ?... Puis se reprenant aussitôt :<br />
<br />
— Mais, j’ai un si bon caractère, que je ne me fâche jamais, moi ; mais, il ne faut pas recommencer.<br />
<br />
Voilà le seigneur et sa femme embarrassés de avoir comment se défaire de Février, car ils voyaient bien que celui-ci ne se laisserait pas duper, comme son frère.<br />
<br />
Le lendemain, on ne l’envoya pas couper de la lande. Le seigneur lui dit :<br />
<br />
— Venez avec moi faire un tour au bois ; on’ y coupe les plantes, on abat les arbres, et on me fait un tort considérable. Malheur à ceux que je surprendrai à me voler, car je ne les épargne pas !<br />
<br />
Et ils partirent, portant chacun un fusil sur l’épaule. Dès en entrant dans le bois, ils vire une vieille femme qui ramassait quelques brins de bois sec, pour cuire les pommes de terre de son repas. Le seigneur ajusta, tira et la tua roide.<br />
<br />
— Quel malheur ! s’écria Février ; je connais cette vieille et je sais qu’elle a trois fils qui la vengeront et ne vous manqueront pas ; en vérité, je ne voudrais pas être à votre place.<br />
<br />
Voilà le seigneur bien embarrassé ; que faire ?...<br />
<br />
— Va, vite, à la maison, dit-il à Février, et apporte deux pelles, que tu trouveras au fond du corridor, près de la chambre de ma femme, pour que nous enterrions la vieille, dans le bois, et personne ne saura ainsi ce qu’elle sera devenue.<br />
<br />
Février court au château. En passant dans le corridor, il voit la dame et sa fille, âgée de dix-huit ans, dans une chambre, la porte grande ouverte. Il entre et dit :<br />
<br />
— Mon maître m’a commandé de venir vous embrasser.<br />
<br />
Et il se jette sur la dame et l’embrasse de force. Il veut en faire autant de la fille. Les deux femmes se débattent et crient à la violence. Février ouvre la fenêtre, et s’adressant au seigneur, qui l’attend en bas :<br />
<br />
— Vous avez dit toutes les deux, n’est-ce pas, mon maître ?<br />
<br />
— Oui, toutes les deux, et dépêche-toi, répond-il.<br />
<br />
Et Février traite aussi la fille comme la mère, puis il s’en va, prend deux pelles dans le corridor et descend.<br />
<br />
— Qu’ont donc ma femme et ma fille pour crier de la sorte ? lui demande le seigneur.<br />
<br />
— C’est qu’elles ont vu un loup, répond-il tranquillement.<br />
<br />
Ils enterrent la vieille femme et retournent au château.<br />
<br />
La dame se jeta au visage de son mari en criant et pleurant de rage :<br />
<br />
— Misérable ! infâme !... tu permets à ce manant, à ce démon, de faire violence à ta femme et à ta fille !...<br />
<br />
— Est-il donc possible qu’il ait encore fait cela ?... s’écria le seigneur en se tournant, furieux, vers Février.<br />
<br />
— Je ne l’ai fait qu’avec votre permission, maître, dit celui-ci ; je vous ai demandé, par la fenêtre, s’il fallait les embrasser toutes les deux, et vous m’avez répondu : — Oui, toutes les deux, et dépêche-toi ! N’est-ce pas vrai ? Votre femme et votre fille l’ont bien entendu,<br />
<br />
— Je t’ai dit d’apporter les deux pelles, et pas autre chose, misérable !<br />
<br />
— Pour le coup, il me semble que vous vous fâchez, maître ?<br />
<br />
— Et qui ne serait pas fâché, monstre ?...<br />
<br />
— Fort bien, mais, vous savez nos conditions, le ruban de peau rouge...<br />
<br />
— Je n’ai pas dit que je suis fâché, mais, tout autre à ma place le serait, et avec raison.<br />
<br />
Voilà le seigneur bien embarrassé, car il voyait clairement qu’il avait affaire à un drôle bien déluré, et qu’il ne duperait pas, comme son frère. La dame était d’avis qu’on le renvoyât tout de suite, le jour même.<br />
<br />
— Alors, il faudra lui donner cent écus, répliquait le seigneur, puisque son année n’est pas terminée.<br />
<br />
— Qu’on les lui donne tout de suite, et qu’il parte.<br />
<br />
— Oui, mais le ruban de peau rouge, qu’il me faudra aussi me laisser enlever.<br />
<br />
— Il a été convenu, n’est-ce pas, que son année finirait, quand le coucou chanterait ? Eh bien ! le coucou chantera demain ; je me charge de le faire chanter, moi.<br />
<br />
Le lendemain matin, le seigneur dit à Février :<br />
<br />
— Prenez un fusil et allons tous les deux à la chasse.<br />
<br />
Au moment où ils sortaient de la cour, ils entendirent, dans un chêne, au-dessus de leurs têtes : Coucou ! coucou !<br />
<br />
— Comment ! dit Février, ici les coucous chantent donc, au mois de février ? Jamais je n’avais encore entendu pareille chose ; mais, je vais apprendre à cet oiseau à attendre son heure pour chanter.<br />
<br />
Et il tira dans l’arbre, et aussitôt quelque chose, qui ne ressemblait pas à un coucou, dégringola de branche en branche, et tomba lourdement à ses pieds. C’était la châtelaine elle-même, qui était montée sur l’arbre, pour faire chanter le coucou.<br />
<br />
— Malheur à toi ! cria le seigneur, en couchant en joue Février.<br />
<br />
Mais, celui-ci releva le canon du fusil, et le coup partit en l’air.<br />
<br />
— Pour le coup, dit-il alors, vous voilà fâché, maître ?<br />
<br />
— Oui, cria-t-il, fou de colère, je suis fâché, et tu me le paieras !...<br />
<br />
— Non, maître, c’est vous qui paierez, car vous savez nos conditions, et il faut payer, quand on a perdu.<br />
<br />
Hélas ! le seigneur dut, en effet, se laisser enlever un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’à la plante du pied, et, de plus, payer cent écus.<br />
<br />
Février revint à la maison avec l’argent et les deux rubans de peau rouge, car il emporta aussi celui de son frère Janvier, qui était suspendue à un clou, au mur de la salle, parmi un grand nombre d’autres.<br />
<br />
On fît alors un grand repas. La trisaïeule de ma grand’mère, comme elle était un peu parente de la mère de Janvier et Février, fut aussi du festin, et c’est ainsi que s’est conservé dans ma famille le souvenir de cette belle histoire, et que j’ai pu vous la conter, sans y rien ajouter de mon cru.<br />
<br />
==Note du collecteur==<br />
J’ai publié dans Mélusine, tome Ier, colonne 465 et suivantes, une autre version plus développée de ce conte.<br />
{{Ref}}<br />
[[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]]<br />
[[Catégorie:Marguerite Philippe]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Princesse_enchant%C3%A9e_(la)Princesse enchantée (la)2012-06-03T17:09:43Z<p>Admin : </p>
<hr />
<div>'''La Princesse enchantée'''. Conté par François Flouriot, laboureur, de Prat (Côtes-du-Nord). Septembre 1874.<br />
<br />
==Texte intégral==<br />
<br />
Il y avait, une fois, trois jeunes gens, trois frères, qui habitaient un vieux manoir, avec leur mère, qui était veuve. Depuis la mort de leur père, on entendait, chaque nuit, du bruit, dans la chambre où il était décédé, et on ne savait quelle pouvait en être la cause. Personne n’osait coucher dans cette chambre, et la veuve parlait d’abandonner le manoir. Mais, avant de prendre cette détermination, elle réunit, un jour, ses enfants et leur parla de la sorte :<br />
<br />
— Nous ne sommes plus riches, mes pauvres enfants, et ce serait un grand dommage pour nous, s’il nous fallait abandonner cette maison, pour aller habiter ailleurs. Je voudrais auparavant qu’un de vous eût la hardiesse d’aller passer une nuit, dans la chambre où l’on entend le bruit, afin de savoir ce qui en est la cause.<br />
<br />
— Moi, j’y irai, ma mère, dit l’ainé, nommé Fanch.<br />
<br />
Et, après souper, et les prières faites en commun, Fanch se rendit à la chambre. C’était au mois de décembre, et il fit un bon feu, dans la vaste cheminée, et il se mit à fumer sa pipe, en buvant un verre de cidre, de temps en temps.<br />
<br />
Dix heures étaient sonnées, qu’il n’avait encore entendu aucun bruit, si ce n’est quelques rats trotter dans le grenier. Onze heures sonnèrent, et toujours rien. Il s’endormit, dans son fauteuil, près du feu. Vers minuit, sa mère et ses frères, qui étaient en bas, entendirent le vacarme ordinaire. Fanch dormait profondément et n’entendit rien.<br />
<br />
Le lendemain matin, quand il descendit, sa mère courut l’embrasser en disant :<br />
<br />
— Dieu soit loué ! Tu es donc encore en vie, mon pauvre enfant ?<br />
<br />
— Mais oui, ma mère, comme vous voyez ; pourquoi me demandez-vous cela ?<br />
<br />
— C’est qu’il y a eu, cette nuit, tant de bruit et de vacarme, là-haut, que nous craignions pour ta vie.<br />
<br />
— Je n’ai rien vu ni entendu, ma mère.<br />
<br />
— Est-ce possible ? Nous n’en avons pas pu dormir, un instant.<br />
<br />
— Quant à moi, j’ai bien dormi.<br />
<br />
La nuit suivante, ce fut le second fils, nommé Jean, qui voulut veiller, dans la chambre hantée.<br />
<br />
Il lui arriva absolument comme à son aîné. Il s’endormit aussi, et n’entendit ni ne vit rien, bien que le vacarme allât encore bon train.<br />
<br />
— C’est mon tour, dit alors le cadet, nommé Alanic.<br />
<br />
Et, la nuit venue, il monta aussi à la chambre ; mais, il n’emporta pas de cidre et ne s’endormit point.<br />
<br />
Vers minuit, comme il lisait tranquillement, près du feu, il lui sembla entendre marcher derrière lui. Il tourna la tête, et fut bien étonné de voir son père, comme quand il était en vie. Il eut d’abord peur, puis il s’enhardit et dit :<br />
<br />
— C’est vous qui êtes là, mon père ?<br />
<br />
— Oui, mon enfant, c’est moi, répondit-il tristement.<br />
<br />
— Puis-je quelque chose pour vous, mon père ? Parlez, je suis prêt à vous servir, quoi que vous puissiez me demander.<br />
<br />
— Hélas ! mon enfant, quand je vivais encore sur la terre, j'ai promis, étant malade sur mon lit, d’aller en pèlerinage à Saint-Jean-de-Galice, si je recouvrais la santé. Je guéris et n’allai point à Saint-Jacques-de-Galice, et maintenant, je suis dans le Purgatoire, et je n’en puis sortir, que lorsqu’un de mes enfants aura accompli pour moi le pèlerinage promis.<br />
<br />
— Je le ferai, mon père, et je partirai dès demain matin, dit Alanic.<br />
<br />
— La bénédiction de Dieu soit sur toi, mon fils ! répondit le fantôme, qui s’évanouit aussitôt<ref>Tout ce début doit être une interpolation moderne, dans une fable entièrement payenne, à l’origine.</ref>.<br />
<br />
Le lendemain matin, quand Alanic descendit, sa mère lui demanda ;<br />
<br />
— Est-ce que, comme tes frères, tu n’as aussi rien entendu ni rien vu, mon fils ?<br />
<br />
— Si, ma mère, répondit-il, j’ai entendu et j’ai vu.<br />
<br />
— Quoi donc, mon fils ? Dis-moi, vite.<br />
<br />
— J’ai vu mon père, comme quand il était en vie, et il m’a parlé, ma mère.<br />
<br />
— Grand Dieu !... Et que t’a-t-il dit, mon enfant ?<br />
<br />
— Il m’a dit que c’est lui qui fait, chaque nuit, le bruit que vous savez, et qu’il est dans le Purgatoire, et n’en sortira que lorsqu’un de ses enfants aura fait pour lui le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Galice, qu’il avait promis de faire, étant gravement malade, et qu’il ne fit point, après sa guérison.<br />
<br />
— Jésus mon Dieu !... Et que lui as-tu répondu, mon enfant ?<br />
<br />
— Je lui ai répondu, ma mère, que je ferai le pèlerinage promis, à Saint-Jacques-de-Galice, et je veux me mettre en route aujourd’hui même.<br />
<br />
— Nous t’accompagnerons, lui dirent ses deux aînés.<br />
<br />
— Non, répondit-il, je veux être seul.<br />
<br />
Et il prit son arc seulement et partit<ref>Ici commence un autre conte, d’un tout autre caractère et entièrement payen. Les deux récits ont été réunis et confondus par le conteur populaire, comme cela se voit souvent, pour allonger son conte, et dans l’intention d’en augmenter l’intérêt. Je donne son récit tel que je l’ai recueilli.</ref>. Il était bon tireur, et le gibier qu’il prenait suffisait à sa nourriture. Il avait fait vœu de ne s’arrêter dans aucune hôtellerie, pour manger ou pour dormir. Il marche et marche, mettant toujours un pied devant l’autre, et arrive à une grande forêt. Il y avait trois jours et trois nuits qu’il était dans cette forêt, sans pouvoir en sortir. Il arrive à un vieux château entouré de hautes murailles. Comme il considérait ce château et en cherchait la porte, un lièvre vint à passer près de lui. Il bande son arc, lance la flèche et abat le lièvre. Aussitôt un ramier passe au-dessus de sa tête, et il l’abat aussi à ses pieds.<br />
<br />
— Voilà de quoi dîner, se dit-il.<br />
<br />
Et, comme il s’apprêtait à ramasser son gibier, il vit tout à coup apparaître, à côté de lui, deux énormes géants. Cette vue le surprit et lui fit peur, un peu.<br />
<br />
— Tu es un bon tireur, lui dit un des géants.<br />
<br />
— On en peut trouver facilement de plus mauvais que moi, répondit-il.<br />
<br />
— Ferais-tu d’un chat ce que tu as fait de ce lièvre et de ce pigeon ?<br />
<br />
— Je pense que oui.<br />
<br />
— Ce chat n’a qu’un œil, qui est au milieu du front, et il faudra le frapper dans cet œil, ou il te mettra en pièces.<br />
<br />
— Alors, je préfère ne pas essayer.<br />
<br />
— Si tu n’essaies pas, mon frère et moi nous te mettrons aussi à mort.<br />
<br />
— Alors, j’essaierai. Où est le chat ?<br />
<br />
— A midi juste, il paraîtra sur le mur du château et s’y promènera au soleil, pendant que sonneront les douze coups, et c’est dans cet intervalle que tu devras le tuer, sous peine d’être tué par lui.<br />
<br />
— C’est bien !<br />
<br />
Un moment après, frappa le premier coup de midi, et un grand chat blanc parut sur le mur et se mit à s’y promener, au soleil. Alanic tend son arc et vise ; la flèche part et le chat tombe du haut du mur, en criant : Miaou ! miaou !... d’une façon effrayante.<br />
<br />
— C’est à merveille ! dit l’aîné des géants, et la princesse nous appartient, à présent. Cependant, il nous reste encore à pénétrer dans le château, ce qui n’est pas facile. Voici comment nous pourrons y arriver : Je vais m’adosser au nur, mon frère montera sur mes épaules, toi tu monteras sur les épaules de mon frère et atteindras ainsi le sommet, puis, tu descendras dans la tour par ce chêne qui est de l’autre côté et dont les branches touchent le mur, et alors tu nous ouvriras la porte.<br />
<br />
Alanic pénétra, en effet, de cette façon, dans la cour du château. Mais, au moment où il allait ouvrir la porte, il aperçut, suspendu à un clou du mur, un beau sabre sur la lame duquel il lut ces mots :<br />
<br />
« Celui qui pénétrera dans cette cour, et qui abattra avec moi les têtes des deux géants, deviendra le maître de ce château, où il trouvera de grands trésors. »<br />
<br />
— C’est bien ! se dit Alanic, en s’emparant du sabre ; mais, je ne suis pas assez grand pour pouvoir frapper les géants à la tête ; comment faire ?<br />
<br />
Il aperçut alors, au bas de la porte, un trou rond comme une chatière, et comme les géants qui criaient déjà : — « Ouvre-nous la porte, » il leur répondit :<br />
<br />
— Je ne puis pas, je ne trouve pas la clef, mais, je vais, avec un sabre que je vois ici, agrandir la chatière, jusqu’à ce que vous puissiez passer par là.<br />
<br />
Et il agrandit le trou et dit ensuite aux géants :<br />
<br />
— Voyez si le trou est assez grand, à présent, et mettez-y la tête.<br />
<br />
Et l’aîné des géants passa sa tête par la chatière. Alanic lui déchargea de toutes ses forces un coup de sabre sur la nuque, et la tête roula sur le pavé de la cour.<br />
<br />
— En voilà toujours un, qui ne fera plus de mal à personne, se dit-il.<br />
<br />
Et il se tint en silence près de la porte. L’autre géant, qui ne savait pas ce qui venait de se passer, criait à son frère :<br />
<br />
— Passe donc, vite !<br />
<br />
Et comme il ne bougeait pas, il le tira à lui, et quand il vit qu’il n’avait plus de tête, il poussa un cri épouvantable ; puis il tomba sur la porte à coups de poings et de pieds ; mais, la porte était solide et ne cédait pas. Alanic ne soufflait mot, de son côté ; si bien que le géant pensa qu’il s’était rendu près de la princesse, que le chat blanc retenait captive, dans le château. Il mit aussi la tête à la chatière, et Alanic l’abattit, comme celle de son frère.<br />
<br />
— Voilà qui est fait ! dit-il ; voyons, à présent, ce qu’il y a dans le château.<br />
<br />
Et il entra dans le château.<br />
<br />
Dans une première salle, il vit une table toute servie. Il avait faim, et il but et mangea, sans que personne vînt le contrarier, ni qu’aucun être vivant se montrât. Au-dessus d’une porte, qui donnait sur cette salle, il lut ces mots :<br />
<br />
« C’est dans la quatrième salle qu’est le plus beau trésor : quiconque pénétrera jusque-là et donnera un baiser à la princesse qu’il y verra couchée et endormie sur un lit, possédera le château, avec tout ce qu’il enferme, même la princesse. »<br />
<br />
— Voyons, se dit Alanic, si nous pourrons aller jusqu’à cette quatrième salle.<br />
<br />
Et il entra dans la seconde salle, où il vit des monceaux de pièces de monnaie d’argent, toutes neuves. Tout était d’argent, dans cette salle, jusqu’aux murs. Il remplit ses poches et songea d’abord à s’enfuir. Mais, il lut au-dessus d’une autre porte ces mots : « Encore plus beau ! » et il entra dans la troisième salle. Là tout était d’or, et il jeta les pièces d’argent qui remplissaient ses poches, et les remplaça par des pièces d’or, puis il songea encore à s’enfuir avec son or. Mais, ses yeux tombèrent sur cette inscription, au-dessus l’une quatrième porte : « Encore plus beau ! » et il se dit :<br />
<br />
— Il faut que je voie tout, pendant que j’y suis ; c’est là, sans doute, qu’est la princesse.<br />
<br />
Et il entra dans la quatrième salle, et resta immobile, la bouche ouverte, et comme pétrifié, à la vue de la merveille qui s’y trouvait. C’était une jeune princesse, belle comme le soleil béni de Dieu, quand il se lève, un beau jour de printemps, et qui sommeillait sur un lit en or massif, enchâssé de diamants et de perles. Il s’approcha d’elle, tout doucement et sur la pointe du pied, de peur de l’éveiller. Il posa un baiser sur une de ses mains, qui pendait hors du lit. Elle ne fit aucun mouvement. Il s’enhardit et se coucha à côté d’elle, et lui donna le baiser qu’il fallait. Elle s’éveilla alors, ouvrit peu à peu les yeux et lui sourit doucement, en disant : « Mon amour ! »<br />
<br />
Mais Alanic, effrayé de son audace, sauta à bas du lit, et, dans son trouble, chaussa un de ses souliers et une des pantoufles de la princesse, et s’enfuit, au plus vite.<br />
<br />
La princesse se leva aussi, et le poursuivit, à travers les salles, puis la cour, puis hors de la cour. Elle le perdit de vue, dans le bois sombre qui entourait le château, et en éprouva une grande douleur.<br />
<br />
Sur la lisière du bois, était un grand chemin, par où passaient tous ceux qui se rendaient en Espagne. Elle se dit :<br />
<br />
— Tôt ou tard, il passera par ce chemin, — car elle savait qu’il devait aller en Espagne.<br />
<br />
Par son art magique, elle bâtit un château magnifique, au bord de la route, avec cette inscription, au-dessus de la porte principale :<br />
<br />
« Ici l’on héberge gratuitement tous les passants, à la seule condition de dire à la maîtresse de la maison qui ils sont, d’où ils viennent, où ils vont, et enfin tout ce qui leur est arrivé d’extraordinaire, dans leurs voyages. »<br />
<br />
Un jour, vers le coucher du soleil, Alanic arriva devant cette maison, en revenant de Saint-Jacques-de-Galice. Il était tout poudreux, exténué de fatigue, avait faim et point d’argent. Il lut l’inscription et s’écria :<br />
<br />
— Dieu soit béni !<br />
<br />
Il entra et fut bien accueilli par la princesse. Il ne la reconnut pas ; mais elle le reconnut, à première vue. Elle lui servit elle-même à manger et à boire et eut pour lui toutes les attentions possibles, ce qui l’étonna.<br />
<br />
Quand il fut restauré et un peu remis de sa fatigue, il la regarda attentivement et eut un souvenir vague de l’avoir vue quelque part, mais, il ne pouvait se rappeler où. La princesse lui dit alors :<br />
<br />
— Vous avez sans doute lu, jeune voyageur, l’inscription qui est au-dessus de la porte de ma maison.<br />
<br />
— Oui, je l’ai lue, répondit Alanic, et je suis prêt à m’y conformer.<br />
<br />
Et il raconta le motif de son départ de la maison paternelle, et son aventure du château du bois, mais, sans entrer dans tous les détails.<br />
<br />
La princesse lui demanda :<br />
<br />
— N’avez-vous pas aussi rencontré, dans une salle de ce château, une jeune princesse qui dormait sur un lit, et profitant de son sommeil, ne l’avez-vous pas embrassée ?<br />
<br />
— Oui, répondit-il en rougissant.<br />
<br />
— Reconnaîtriez-vous bien cette princesse, si vous la revoyiez ?<br />
<br />
— Je pense que oui, dit-il, en la regardant plus attentivement.<br />
<br />
— N’avez-vous rien emporté aussi du château ?<br />
<br />
— Non..., si ce n’est pourtant une petite pantoufle d’or.<br />
<br />
— Qu’avez-vous fait de cette pantoufle ?<br />
<br />
— Je l’ai encore ; la voici !<br />
<br />
Et, la tirant de sa poche, il la posa sur. la table.<br />
<br />
— Moi aussi, dit la princesse, j’ai une pantoufle d’or, de tout point pareille à la vôtre.<br />
<br />
Et elle posa sur la table une seconde pantoufle, absolument semblable à la première. Les deux faisaient la paire. Puis elle les chaussa, et elles lui allaient parfaitement. Et elle sauta au cou d’Alanic et l’embrassa, en disant :<br />
<br />
— C'est vous qui m’avez délivrée, en tuant le chat blanc qui me retenait enchantée, dans son château, au milieu du bois, et en me donnant le baiser qui m’a réveillée et a rompu le charme. Vous serez désormais mon époux, et ce château vous appartient, avec tous les trésors qu’il renferme.<br />
<br />
Alanic fit venir sa vieille mère et ses deux frères, et son mariage avec la princesse fut célébré, avec pompe et solennité, et il y eut, à cette occasion, de grands festins et des fêtes et des réjouissances publiques, pendant quinze jours entiers.<br />
<br />
La trisaïeule de ma bisaïeule était employée dans la cuisine du château, et c’est grâce à elle que le souvenir s’est conservé dans ma famille de cette belle histoire et que j’ai pu vous la raconter<br />
<br />
:Sans mensonge aucun,<br />
:Si ce n’est peut-être un mot ou deux<ref>''... Hep lavaret gaou,''<br />
:''Met marteze eur ger pe daou.''</ref>.<br />
{{Ref}}<br />
[[Catégorie:Contes divers - Contes populaires de Basse-Bretagne]]</div>Adminhttp://fabiendelorme.fr/wikicontes/index.php?title=Li%C3%A8vre_argent%C3%A9_(le)Lièvre argenté (le)2012-06-03T17:06:09Z<p>Admin : Page créée avec « '''Le lièvre argenté'''. Conté par Jeanne Ewen, de Louargat (Côtes-du-Nord). — 1869. ==Texte intégral== :''Kement-man hol oa d’an-amzer,'' :''Ma ho defoa dennt ar i... »</p>
<hr />
<div>'''Le lièvre argenté'''.<br />
Conté par Jeanne Ewen, de Louargat (Côtes-du-Nord). — 1869.<br />
<br />
==Texte intégral==<br />
:''Kement-man hol oa d’an-amzer,''<br />
:''Ma ho defoa dennt ar ier.''<br />
:Tout ceci se passait du temps,<br />
:Où les poules avaient des dents.<br />
<br />
On dit qu’autrefois, dans les temps anciens, il y avait un beau château, là où se voit à présent la ferme de Kerodern, dans la commune de Louargat, près de la montagne de Bré, et que ce château appartenait à un riche et puissant seigneur, qui avait un fils et trois filles, d’une beauté remarquable.<br />
<br />
Mais, des géants, laids et méchants, habitaient an autre château, situé à quelque distance de là, au milieu d’une forêt, et ils enlevaient les bœufs, les vaches, les moutons et les chevaux du vieux seigneur, qui avait grand’peur que, quelque jour, ils ne lui enlevassent aussi ses filles. Aussi, les surveillait-il et ne les laissait sortir que rarement du jardin du château, qui était entouré de hautes murailles.<br />
<br />
Son fils, qui se nommait Malo, allait chasser, tous les jours, dans la forêt.<br />
<br />
Un jour, en rentrant de la chasse, il trouva toute la maison dans la désolation. Sa sœur aînée avait été enlevée par les géants.<br />
<br />
Cela ne l’empêcha pourtant pas de retourner le lendemain à la forêt, après avoir recommandé à son père de bien veiller sur ses deux sœurs cadettes.<br />
<br />
Quand il rentra, le soir, la seconde de ses sœurs avait aussi disparu.<br />
<br />
Cependant, il retourna encore, le lendemain, à la forêt, après avoir recommandé à son père de redoubler de surveillance, attendu qu’il ne lui restait plus que sa fille cadette.<br />
<br />
— Oh ! celle-là, dit le vieillard, ne me sera pas enlevée, dussé-je y perdre la vie.<br />
<br />
Hélas ! quand Malo rentra, sa troisième sœur avait aussi disparu, et son père était mort. Sa douleur fut grande. Il resta plusieurs jours sans sortir et s’enferma pour pleurer.<br />
<br />
Cependant, au bout de quelque temps, il reprit son fusil et retourna à la forêt. Il y rencontra un beau Lièvre au poil argenté, qui, assis sur son derrière, le regardait et ne paraissait pas le craindre. Il voulut essayer de le prendre, sans le tuer. Mais, au moment où il croyait mettre la main dessus, le Lièvre s’enfuit un peu plus loin et s’arrêta encore à le regarder. Il le poursuivit et le manqua encore. Ce manège dura longtemps, l’animal paraissant assez disposé à se laisser prendre, et s’échappant toujours, au moment où le chasseur croyait être sûr de lui. Si bien que le soir survint, et que Malo, dépité et ne voulant pourtant pas tuer un si beau Lièvre, s’en retourna à la maison, d’assez mauvaise humeur.<br />
<br />
Le lendemain, il retourna à la forêt et retrouva le Lièvre argenté, au même endroit que la veille.<br />
<br />
— Pour le coup, dit-il, si tu ne veux pas te laisser prendre, je te tuerai, comme un Lièvre ordinaire.<br />
<br />
Et il recommença sa poursuite, mais, sans plus de succès. Enfin, impatienté, il se dit :<br />
<br />
— Ah ! bast, je suis bien bon de me donner tant de mal pour un lièvre !<br />
<br />
Et il coucha l’animal en joue et fit feu. Le Lièvre ne bougea pas.<br />
<br />
— Je l’ai manqué, pensa-t-il.<br />
<br />
Et il fit feu une seconde fois. Le Lièvre ne bougea toujours pas.<br />
<br />
— Il faut que je l’aie tué raide, du premier coup, se dit-il alors, car je ne suis pas si maladroit que cela.<br />
<br />
Et il s’avança pour le prendre. Mais, au moment où il allait mettre la main dessus, le Lièvre s’enfuit encore, et s’arrêta à une cinquantaine de pas plus loin. Malo, honteux de sa maladresse, fit alors pleuvoir sur lui une véritable grêle de plomb. Le Lièvre ne bougeait pas et le regardait tranquillement. Malo finit par s’apercevoir que le plomb s’aplatissait sur lui, sans lui faire du mal.<br />
<br />
— C’est un Lièvre enchanté ! se dit-il alors, et je perds mon temps et ma peine à essayer de le prendre ! Il ne me reste qu’à m’en retourner à la maison ; mais, j’en suis loin, ici, et la nuit vient ; je crains fort qu’il ne me faille coucher sous les linceuls de l’alouette !<br />
<br />
— Non, si vous voulez, lui dit le Lièvre, dans le langage des hommes.<br />
<br />
— Comment cela, s’il vous plaît ? demanda Malo, étonné.<br />
<br />
— Descendez tout du long cette avenue de vieux chênes que voilà, et vous trouverez, à l’extrémité, un château où vous pourrez passer la nuit et voir votre sœur aînée.<br />
<br />
— Je serais heureux de revoir ma sœur, pensa-t-il, et de la ramener à la maison, si je le puis, car je la soupçonne de n’être pas bien, là où elle est.<br />
<br />
Et il suivit le conseil du Lièvre, descendit l’avenue de vieux chênes et se trouva devant un vieux château, ceint de hautes murailles. Il frappa à la porte avec la crosse de son fusil et une voix, qu’il reconnut facilement pour être celle de sa sœur aînée, demanda de l’intérieur :<br />
<br />
— Qui est là ?<br />
<br />
— C’est moi qui viens te voir, sœur chérie ; ouvre-moi, vite.<br />
<br />
— Comment ! c’est loi, frère chéri ? Que je suis donc heureuse de te revoir !<br />
<br />
Et elle ouvrit la porte, et ils s’embrassèrent tendrement.<br />
<br />
Malo entra dans le château, conduit par sa sœur, qui lui fit servir à manger. Puis, elle lui dit :<br />
<br />
— J’aurais été bien heureuse, frère chéri, de te voir passer quelque temps ici, avec moi, mais, hélas ! cela ne se peut pas, sans grand danger pour ta vie. Le géant, mon mari, est parti depuis ce matin, comme tous les jours, pour la chasse aux hommes<ref>''Da duta'', expression bretonne qui ne se peut traduire littéralement que par le barbarisme hommer.</ref>, car c’est là à peu près sa seule nourriture, et quand il rentrera, ce soir, je crains fort qu’il ne veuille te manger, aussi surtout si sa chasse n’a pas été bonne.<br />
<br />
— Ah ! ton mari mange les hommes ! Il n’importe, je voudrais bien le voir. Cache-moi quelque part d’où je puisse le voir, sans être vu de lui ; derrière ces tonneaux que voilà, par exemple.<br />
<br />
Malo se cacha derrière les tonneaux, au bas de la salle, et le géant arriva aussitôt. Il jeta quatre ou cinq hommes morts sur la table, en disant :<br />
<br />
— Voilà pour mon souper !<br />
<br />
Puis, ôtant de dessus ses épaules son manteau, qui pesait cinq cents livres, il le jeta sur les tonneaux, en disant :<br />
<br />
— Je suis bien fatigué !<br />
<br />
— Pourquoi aussi vous donner tant de mal, tous les jours ? lui dit sa femme.<br />
<br />
— Il le faut bien, répondit-il : donnez-moi à boire, j’ai soif.<br />
<br />
Et la sœur de Malo prit une grande pinte, tira du vin d’un tonneau et le posa sur la table, devant le géant. Celui-ci saisit aussitôt la pinte, et il s’apprêtait à la vider, lorsqu’il s’écria en reniflant :<br />
<br />
— Que signifie ceci ? Ce vin sent le chrétien ! Il y a un chrétien ici ! Où est-il ? Je veux le voir, à l’instant !...<br />
<br />
— C’est mon frère, qui est venu me voir ; ne lui faites pas de mal, je vous prie.<br />
<br />
— Si c’est votre frère, je ne lui ferai pas de mal, dit le géant, en se calmant ; nous avons bien de quoi manger, d’ailleurs ; mais, où est-il ? Présentez-le-moi, pour que nous fassions connaissance.<br />
<br />
Et la jeune femme le fit sortir de sa cachette, derrière les tonneaux, le prit par la main et le présenta au géant.<br />
<br />
— Il est fort gentil, votre frère, dit celui-ci, et je ne lui ferai certainement pas de mal. Assieds-toi, beau-frère, à côté de moi, bois un coup de vin et causons ensemble, pendant que ta sœur nous préparera à manger. Comme tu t’es donné de la peine, depuis quelques jours, à courir après le Lièvre au poil d’argent, de la forêt !<br />
<br />
— C’est vrai, répondit Malo ; j’aurais bien voulu le prendre !<br />
<br />
— Ah ! mon pauvre ami, toi prendre le Lièvre argenté ! Songe donc que voici cinq cents ans que je cours inutilement après lui, et que je ne suis pas encore parvenu à savoir où il se retire, quand je perds sa trace.<br />
<br />
— N’importe, dit Malo, je veux le poursuivre encore, pour voir.<br />
<br />
— Crois-moi, tu ferais mieux de rester ici tranquille avec ta sœur, et de ne plus songer au Lièvre argenté.<br />
<br />
— Non, je veux encore essayer de le prendre.<br />
<br />
— Eh bien ! pour te venir en aide, autant que je le puis, prends ce cor d’ivoire, et quand tu auras besoin de secours, souffle dedans, et tu seras secouru de ma part.<br />
<br />
Malo prit le cor d’ivoire, puis, ils soupèrent et allèrent ensuite se coucher.<br />
<br />
Le lendemain, ils partirent tous les deux, de bon matin : le géant, pour la chasse aux hommes, selon son habitude, et Malo, pour poursuivre le Lièvre argenté.<br />
<br />
Il le rencontra encore, dans la forêt, à la place accoutumée, et le poursuivit jusqu’au soir, croyant le prendre, à chaque moment, et le voyant s’échapper toujours, jusqu’à ce que, épuisé de fatigue, il se laissa tomber sur l’herbe, en disant :<br />
<br />
— Le soir vient, je suis loin de la maison, et je crains qu’il ne faille passer la nuit sous les linceuls de l’alouette.<br />
<br />
— Non, si vous voulez, dit encore le Lièvre argenté, qui le regardait tranquillement, assis sur son derrière.<br />
<br />
— Comment cela donc ?<br />
<br />
— Vous n’avez qu’à suivre cette avenue tout du long, — et le Lièvre lui désignait, d’une de ses pattes de devant, une belle avenue de grands châtaigniers, — et vous trouverez au bout le château où habite votre seconde sœur.<br />
<br />
Malo suivit le conseil et se trouva, à l’extrémité de l’avenue, devant un beau château, entouré de hautes murailles. Il frappa à la porte, et une voix, qu’il reconnut pour être celle de sa seconde sœur, demanda :<br />
<br />
— Qui est là ?<br />
<br />
— C’est moi, répondit-il, qui viens te voir, ma sœur chérie ; ouvre-moi, vite.<br />
<br />
— Comment ! c’est toi, mon frère chéri ! Que je suis donc heureuse de te voir !<br />
<br />
Et elle lui ouvrit la porte, et ils s’embrassèrent tendrement.<br />
<br />
Malo entra dans le château, et mangea et but, car il avait grand’faim. Puis, comme il paraissait vouloir passer quelques jours chez sa sœur, celle-ci lui dit :<br />
<br />
— J’aurais été bien heureuse, frère chéri, de te voir passer quelques jours avec moi, dans ce château, mais, hélas ! cela ne se peut pas, sans grand danger pour ta vie. Le géant, mon mari, est parti depuis ce matin, comme tous les jours, pour la chasse aux hommes, car c’est là à peu près sa seule nourriture, et quand il rentrera, ce soir, je crains qu’il ne veuille te manger toi-même, surtout si sa chasse n’a pas été bonne.<br />
<br />
— Ah ! ton mari aussi mange des hommes ? N’importe, je voudrais le voir. Cache-moi quelque part d’où je le verrai, sans être vu de lui ; derrière ces tonneaux que voilà, par exemple.<br />
<br />
— Eh bien ! oui, cache-toi, vite, derrière ces tonneaux, car voici l’heure où il a coutume de rentrer.<br />
<br />
Malo se cacha derrière des tonneaux, qui étaient entassés au bas de la salle, et le géant arriva presque aussitôt. Il jeta quatre ou cinq hommes morts sur la table, en disant :<br />
<br />
— Voilà de quoi souper !<br />
<br />
Puis, ôtant de dessus ses épaules son manteau, qui pesait sept cents livres et le jetant sur les tonneaux :<br />
<br />
— Je suis bien fatigué, dit-il.<br />
<br />
— Pourquoi vous donner aussi tant de mal à courir, tous les jours ? lui dit sa femme.<br />
<br />
— Il le faut bien ; mais, donnez-moi à boire, car j’ai grand’soif.<br />
<br />
Et la seconde sœur de Malo prit une grande pinte, tira du vin d’un tonneau et le posa sur la table. Le géant s’apprêtait à boire, quand il s’écria, en reniflant :<br />
<br />
— Que signifie ceci ? Ce vin sent le chrétien ! Il y a un chrétien ici ! Où est-il ? Je veux le voir, à l’instant !<br />
<br />
— C’est mon frère, qui est venu me voir, répondit la jeune femme ; ne lui faites pas de mal, je vous eu prie.<br />
<br />
— Si c’est votre frère, je ne lui ferai pas de mal ; nous avons de quoi souper, du reste ; présentez-le-moi, pour que nous fassions connaissance ensemble.<br />
<br />
Et elle alla le chercher, au bas de la salle, l’amena par la main et le présenta au géant.<br />
<br />
— Il est fort gentil, votre frère, dit le géant, et je ne lui ferai sûrement pas de mal. Et s’adressant à Malo : — Assieds-toi là, mon garçon, à côté de moi, bois un coup de vin, et causons. Comme tu t’es donné du mal, depuis quelques jours, à courir après le Lièvre argenté !<br />
<br />
— C’est vrai, répondit Malo, et j’aurais bien voulu pouvoir le prendre.<br />
<br />
— Ah ! mon pauvre ami, toi prendre le Lièvre argenté ! Songe donc que voici plus de sept cents ans que je cours inutilement après lui, et que je ne sais pas encore où il se retire, quand je perds sa trace !<br />
<br />
— N’importe, dit Malo, je veux le poursuivre encore, pour voir...<br />
<br />
— Crois-moi, tu ferais mieux de rester ici, avec ta sœur, et de ne plus songer au Lièvre argenté.<br />
<br />
— Non, je veux encore essayer.<br />
<br />
— Eh bien ! pour te venir en aide, autant que je le puis, prends ce bec d’oiseau, et, quand tu auras besoin de secours, souffle dedans, et tu seras secouru de ma part.<br />
<br />
Malo prit le bec d’oiseau, et ils allèrent ensuite se coucher.<br />
<br />
Le lendemain matin, ils partirent tous les deux, le géant, pour la chasse aux hommes, selon son habitude, et Malo, pour poursuivre le Lièvre argenté. Il le trouva au même endroit, dans la forêt, le poursuivit longtemps et inutilement, comme les jours précédents, si bien que le soir le surprit encore, harassé de fatigue et n’en pouvant plus.<br />
<br />
— Il me faudra, sans doute, passer la nuit sous les linceuls de l’alouette, dit-il encore, en s’asseyant au pied d’un arbre.<br />
<br />
Et le Lièvre argenté lui dit encore :<br />
<br />
— Non, si vous voulez.<br />
<br />
— Comment cela ?<br />
<br />
— Suivez cette avenue de grands hêtres, jusqu’au bout, et vous arriverez au château qu’habite votre plus jeune sœur.<br />
<br />
Malo suivit le conseil et se trouva, à l’extrémité de l’avenue, devant un vieux château, entouré de tous côtés de hautes murailles. Il frappa à la porte, et une voix, qu’il reconnut pour être celle de sa plus jeune sœur, demanda :<br />
<br />
— Qui est là ?<br />
<br />
— C’est moi, répondit-il, qui viens te voir, ma sœur chérie ; ouvre-moi, vite.<br />
<br />
Et elle lui ouvrit, et ils s’embrassèrent tendrement.<br />
<br />
Malo entra dans le château, et mangea et but, car il avait grand’faim. Puis, comme il paraissait vouloir passer quelques jours auprès de sa sœur, celle-ci lui dit :<br />
<br />
— J’aurais été bien heureuse, mon frère chéri, de te voir passer quelques jours ici, avec moi, mais, hélas ! cela ne se peut pas, sans grand danger pour ta vie. Le géant mon mari est parti, ce matin, comme tous les jours, pour la chasse aux hommes, car c’est là à peu près sa seule nourriture, et quand il rentrera, ce soir, il aura faim, et je crains qu’il ne veuille te manger, surtout si sa chasse n’a pas été bonne.<br />
<br />
— Ah ! ton mari mange aussi des hommes ? répondit Malo ; n’importe, je veux le voir. Cache-moi quelque part, d’où je le verrai, sans être vu de lui, derrière ces tonneaux que voilà, au bas de la salle, par exemple.<br />
<br />
— Eh bien ! oui, cache-toi derrière ces tonneaux, car voici le moment où il rentre.<br />
<br />
Malo se cacha derrière les tonneaux, au bas de la salle, et le géant arriva aussitôt. Il jeta une demi-douzaine d’hommes morts sur la table, en disant :<br />
<br />
— Voilà de quoi souper !<br />
<br />
Puis il ôta de dessus ses épaules un manteau qui pesait mille livres et s’assit, en disant :<br />
<br />
— Je suis bien fatigué !<br />
<br />
— Pourquoi aussi vous donner tant de mal, tous les jours ? lui dit la sœur de Malo.<br />
<br />
— Il le faut bien ; mais, donnez-moi à boire, car j’ai grand’soif, reprit le géant.<br />
<br />
Et la jeune femme prit une grande pinte, tira du vin d’un tonneau et le posa sur la table, devant le géant, qui s’apprêtait à boire, quand il s’écria, en reniflant :<br />
<br />
— Que signifie ceci ? Ce vin sent le chrétien ! Il y a un chrétien ici ! Où est-il ? Je veux le voir, à l’instant !<br />
<br />
— C’est mon frère, qui est venu me voir ; ne lui faites pas de mal, je vous en prie.<br />
<br />
— Si c’est votre frère, je ne lui ferai pas de mal ; nous avons de quoi souper, du reste ; présentez-le-moi, pour que nous fassions connaissance ensemble.<br />
<br />
Et elle alla le chercher, derrière les tonneaux, l’amena par la main et le présenta au géant.<br />
<br />
— Il est fort gentil, votre frère, dit celui-ci, et je ne lui ferai sûrement pas de mal. Et s’adressant à Malo : — Assieds-toi là, beau-frère, à côté de moi, bois un coup de vin et causons. Comme tu t’es donné du mal, depuis quelques jours, à courir après le Lièvre argenté !<br />
<br />
— C’est vrai, répondit Malo ; je voudrais bien pouvoir le prendre !<br />
<br />
— Ah ! mon pauvre ami, toi prendre le Lièvre argenté ! Songe donc que voici plus de mille ans que je cours inutilement après lui, et que je ne suis pas encore parvenu à savoir où il se retire, quand je perds sa trace.<br />
<br />
— N’importe, dit Malo, je veux le poursuivre encore, pour voir...<br />
<br />
— Crois-moi, tu ferais mieux de rester ici tranquillement, avec ta sœur, et de ne plus songer au Lièvre argenté.<br />
<br />
— Non, je veux encore essayer de le prendre.<br />
<br />
— Eh bien ! pour te venir en aide, autant que je le puis, prends cette mèche de cheveux dorés, et quand tu auras besoin de secours, dis simplement ces mots, en la tenant à la main : — Par la vertu de cette mèche de cheveux dorés, je demande du secours ! et aussitôt tu seras secouru de ma part.<br />
<br />
Malo prit la mèche de cheveux dorés, puis ils allèrent se coucher.<br />
<br />
Le lendemain matin, le géant et Malo partirent de bonne heure ; le géant, pour se livrer à la chasse aux hommes, selon son habitude, et Malo, pour poursuivre le Lièvre au poil argenté. Il le rencontra, comme les jours précédents, au même endroit, dans la forêt, et le poursuivit jusqu’à un bras de mer, qui pénétrait sous le bois. Le Lièvre sauta lestement par-dessus l’eau, mais, Malo ne put faire comme lui, et le voilà bien embarrassé. Il aperçut sur le rivage, à l’angle de deux grands rochers, une pauvre hutte, dont la porte était ouverte. Il y entra. C’était l’habitation d’un vieux cordonnier.<br />
<br />
— Dites-moi, mon brave homme, lui demanda-t-il, n’avez-vous pas vu un Lièvre au poil d’argent, passer par ici, il n’y a qu’un instant ?<br />
<br />
— Chut ! chut ! Parlez plus bas, je vous prie, répondit le cordonnier, d’un air mystérieux ; ce n’est pas là un Lièvre, comme vous le croyez, mais bien une princesse, la fille du roi de Perse. Je suis son cordonnier. Tous les jours, je lui fournis une paire de souliers neufs, que je lui porte moi-même, dans son palais.<br />
<br />
— Je voudrais bien y aller aussi avec vous, si vous le voulez bien ?<br />
<br />
— Je le veux bien, mais, à la condition que vous ne direz pas que c’est moi qui vous y aurai conduit. Je voyage à volonté à travers les airs<ref>Le breton dit : « Je vais en Egypte, quand je veux. » Cette expression, dans nos contes populaires, signifie : Voyager par les airs.</ref>, et je traverse ainsi facilement la mer, pour me rendre au palais de la princesse. Je vous donnerai un manteau, qui vous rendra invisible ; vous monterez sur mon dos, et nous partirons, aussitôt que j’aurai terminé mes souliers.<br />
<br />
Quand les souliers furent achevés, le vieux cordonnier mit sur les épaules de Malo le manteau qui rend invisible, lui dit de monter sur son dos, et ils partirent alors, avec la rapidité du vent. Ils traversèrent ainsi la mer, et arrivèrent promptement au château de la princesse. Ils descendirent dans la cour.<br />
<br />
— Suivez-moi, dit le vieux cordonnier à Malo, et ne craignez rien, car personne ne pourra vous voir, tant que vous aurez le manteau sur les épaules ; gardez-vous donc de l’ôter.<br />
<br />
Ils pénétrèrent jusqu’à la chambre de la princesse. Elle était absente. Le vieux cordonnier y déposa les souliers, et s’en alla. Malo y resta.<br />
<br />
La princesse rentra, peu après, et dit à sa servante :<br />
<br />
— J’ai bien couru par la forêt de Kerodern, espérant y rencontrer mon amoureux, comme d’ordinaire, et je ne l’ai pas vu ; aussi, suis-je bien fatiguée et bien en peine de lui.<br />
<br />
— Consolez-vous, ma maîtresse, lui dit la servante, vous le reverrez, sans doute, demain. Mangez et buvez, pour réparer vos forces, et demain vous serez plus heureuse.<br />
<br />
La princesse mangea et but, mais, moins que d’ordinaire, puis, elle se retira dans sa chambre, toute soucieuse. Malo, qui avait faim aussi, et qui, grâce à son manteau, avait pu entendre la conversation de la princesse et de sa servante, sans être vu d’elles, dit, quand la princesse arriva dans sa chambre, où il l’avait suivie :<br />
<br />
— Vous avez mangé et bu, princesse, mais, moi, je suis à jeun, depuis longtemps, et je voudrais faire comme vous.<br />
<br />
— Qui est là ? demanda la princesse, étonnée et effrayée d’entendre parler ainsi, à côté d’elle, et de ne voir personne.<br />
<br />
— Le fils du seigneur de Kerodern, répondit Malo ; ne vous effrayez pas, je vous prie, princesse.<br />
<br />
— Le fils du seigneur de Kerodern ?... Mais, où êtes-vous donc ? Montrez-vous, je vous prie.<br />
<br />
Malo ôta son manteau, et redevint aussitôt visible. La princesse, transportée de joie, lui sauta au cou, pour l’embrasser. Puis, elle lui fit servir à manger et à boire, et ils passèrent la nuit ensemble. Malo resta au château, sans que personne en sût rien, et la princesse ne sortit plus.<br />
<br />
Un jour, elle dit à son père :<br />
<br />
— Il est temps de me marier, mon père.<br />
<br />
— A qui veux-tu que je te marie, ma fille ? répondit le vieillard ; aucun prince ne m’a encore demandé ta main.<br />
<br />
— J’ai moi-même choisi mon mari, mon père<br />
<br />
— Qui est-ce donc, ma fille, et où est-il ?<br />
<br />
— Il n’est pas loin, mon père ; je vais vous le faire voir.<br />
<br />
Et elle se rendit à sa chambre et en revint aussitôt, en tenant Malo par la main.<br />
<br />
— Voici, mon père, dit-elle, celui que je désire pour époux !<br />
<br />
Le vieillard ne fit aucune difficulté d’accepter Malo pour son gendre, d’autant plus que le jeune Breton avait fort bonne tournure, et les noces furent célébrées promptement, et avec grande pompe et solennité.<br />
<br />
Quelque temps après, la princesse recommença à sortir, toujours sous la forme d’un Lièvre au poil argenté. Chaque matin, avant de partir, elle remettait à son mari les clefs de toutes les chambres, de toutes les salles et de tous les cabinets du château, même celle de son trésor, le laissant libre d’entrer partout, à l’exception d’un petit cabinet, dont elle lui recommanda bien de ne jamais ouvrir la porte, sous peine des plus grands malheurs.<br />
<br />
Malo, une fois la princesse partie, se promenait de tous côtés, dans les jardins et les salles et les chambres du château, et partout il voyait des trésors et des merveilles de tout genre. Il avait bien envie de visiter aussi le cabinet défendu, mais, il se rappelait la défense de la princesse, et n’osait pas. Un jour, pourtant, il succomba à la tentation : il ouvrit la porte, et aussitôt le diable s’élança hors du cabinet et dit :<br />
<br />
— C’est très bien ; ta femme est à moi, à présent, et je vais l’emporter !<br />
<br />
— Vous attendrez bien, au moins, jusqu’à dix heures, demain matin, répondit Malo.<br />
<br />
— Oui, mais à dix heures précises, demain matin, je l’emporterai.<br />
<br />
Quand la princesse rentra, le soir, elle trouva Malo tout embarrassé et tout triste.<br />
<br />
— Je sais, lui dit-elle, ce qui est cause de ta tristesse ; tu m’as désobéi ; tu as ouvert la porte du cabinet défendu, et à présent, j’appartiens au diable, qui y était enfermé.<br />
<br />
— J’ai commis une faute, je le reconnais, répondit Malo, mais, soyez sans inquiétude pourtant, car je saurai bien vous défendre contre le diable.<br />
<br />
Le lendemain matin, le diable se présenta à Malo, à dix heures juste, et lui dit :<br />
<br />
— Où est ta femme ? Je viens la chercher.<br />
<br />
— Je vais vous la livrer, tout à l’heure. Rendez-vous là-bas, au milieu de la plaine, devant le château, et je vous la conduirai là, dans un instant.<br />
<br />
Le diable se rendit au milieu de la plaine. Malo l’y vint rejoindre bientôt, accompagné de la princesse. Mais, au lieu de la lui livrer, il souffla dans le cor d’ivoire, que lui avait donné le géant, mari de sa sœur aînée, et aussitôt arrivèrent toutes les bêtes à cornes du pays, qui coururent sus au diable. Celui-ci aurait bien voulu s’échapper, mais de tous côtés, il se heurtait à des cornes aiguës, qui lui fermaient la retraite. Il perdit un œil et demanda quartier, jusqu’à dix heures, le lendemain matin ; ce qui lui fut accordé.<br />
<br />
Le lendemain matin, à dix heures, on se trouva encore, de part et d’autre, dans la plaine, et le diable réclama encore la princesse.<br />
<br />
— Oui, si tu la gagnes, lui répondit Malo, car il te faudra encore combattre.<br />
<br />
Et aussitôt il souffla dans le bec d’oiseau, que lui avait donné le second géant, et tous les oiseaux du pays, petits et grands, arrivèrent de tous côtés, se précipitèrent sur le diable, et lui crevèrent l’œil qui lui restait. Si bien qu’il demanda encore quartier, jusqu’à dix heures, le lendemain matin.<br />
<br />
— Je le veux bien, répondit Malo, mais, ce sera pour la dernière fois.<br />
<br />
Le lendemain matin, à l’heure dite, on se retrouva dans la plaine, de part et d’autre, et le diable réclama encore la princesse. Malo, pour toute réponse, tira de sa poche la mèche de cheveux dorés, que lui avait donnée le troisième géant, lui commanda de faire son devoir, et aussitôt tous les animaux à poil du pays, petits et grands, accoururent, de tous côtés, et tombèrent sur le diable, l’attaquant chacun à sa manière. Le combat fut terrible, et le diable, quoique aveugle, se défendit comme un diable. Il poussait des cris épouvantables, sous les coups de dents et de griffes des assaillants... Enfin, il fut vaincu, abattu, foulé aux pieds et enchaîné.<br />
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On construisit un grand bûcher, au milieu de la plaine ; on y mit le feu et le diable fut jeté dans le brasier. Comme il était habitué au feu, il n’y mourait pas, mais, il poussait des cris, qui effrayaient tout ce qui vivait à plusieurs lieues à la ronde, et il essayait de s’échapper. Mais, les animaux faisaient cercle autour du bûcher, et l’y repoussaient. Voyant cela, il dit à Malo que, s’il voulait le laisser partir, il renoncerait à tout droit sur la princesse. Comme on ne pouvait venir à bout de lui, d’aucune manière, Malo y consentit, mais, à la condition qu’il signerait sa renonciation avec son sang. Il signa, et on le laissa partir, alors.<br />
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Et voilà pourquoi il vit encore, et fait tant de mal sur la terre. Si on avait pu en venir à bout, quand on le tenait, le pauvre monde serait, sans doute, plus heureux qu’il ne l’est.<br />
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Malo se maria alors à la princesse, et il y eut, à cette occasion, des fêtes magnifiques, des jeux et des festins, pendant quinze jours.<br />
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