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La nouvelle du mois : "L'Éléphant en porcelaine"

Ce matin-là, alors qu’elle rentre chez elle, la détective privée Laura Chapuis reçoit un cadeau déconcertant. Un éléphant en porcelaine. Aucun mot ne l’accompagne. Aucune adresse. Aucun nom d’expéditeur.
Qui a envoyé cet objet ? Peut-être Jérôme Leblanc, l’homme avec qui elle a passé la soirée la veille ? Quelqu’un d’autre ? Et pourquoi ?
Bientôt, Laura découvre que la réalité est bien plus inquiétante…
Troisième épisode des aventures de Jérôme Leblanc et Laura Chapuis, « L’Éléphant en porcelaine » est une nouvelle rapide mêlant action, suspense et romance.
Cette nouvelle a été initialement publiée dans le recueil « Jérôme et Laura », du même auteur.
Le premier jour de chaque mois, je vous propose une de mes nouvelles, disponible gratuitement sur ce blog, pendant un mois. “L’Éléphant en porcelaine” est également disponible en version ebook et papier chez la plupart des vendeurs.
Quand Laura Chapuis rentra dans son petit appartement, ce matin-là à l’aube, les cheveux en bataille, des cernes sous les yeux, mais le sourire aux lèvres, son chat lui passa un savon.
Elle venait de passer une nuit exquise chez Jérôme Leblanc, l’homme qu’elle avait rencontré à l’époque où elle travaillait pour une agence de détectives privés. Ce temps-là était révolu désormais, son ancien boss était en prison depuis qu’il avait été mêlé à un projet d’attentat visant le préfet et le ministre de l’Intérieur, et Laura, après avoir frôlé la mort dans cette affaire, se retrouvait sans emploi. Et donc, sans revenu. Ce qui allait poser un problème au moment de payer le loyer.
Mais chaque chose en son temps.
Le plus urgent, c’était de nourrir Patachon, qui semblait outré d’avoir été abandonné pendant toute une soirée. Le chat se mit à miauler comme un damné, tout en se frottant aux jambes de sa propriétaire.
— Oui, deux secondes, tu vas me faire tomber, idiot !
Il était encore très tôt, à peine sept heures, il faisait encore frais dans la pièce et la lumière du soleil perçait à peine entre les interstices des volets.
Laura avait quitté l’appartement de Jérôme une heure plus tôt, à pas de loup, alors que ce dernier dormait encore. Pourtant plus rien ne la forçait à se lever aux aurores maintenant qu’elle était sans emploi. Mais elle avait pris le rythme, c’était comme ça. Et puis, l’estomac de Patachon était réglé comme une horloge, lui aussi.
Elle ouvrit un sachet de pâtée, grimaça en sentant l’odeur écœurante, tandis que son chat, lui, se mit à ronronner frénétiquement.
Elle avait à peine fini de vider le sachet que la sonnette de la porte d’entrée retentit.
Elle fronça les sourcils. Qui cela pouvait-il bien être à une heure si matinale ? Pas quelqu’un qui venait de l’extérieur en tout cas. Ce n’était pas la sonnerie de l’interphone qui venait de retentir, mais bien celle de la sonnette de sa porte. Quelqu’un qui était sur son palier donc.
Un voisin ? Mais qui, et pourquoi ? C’était à peine si elle connaissait les autres habitants du vieil immeuble. Cela ne faisait que quelques mois que Laura était arrivée dans la région, et elle n’avait pas pris le temps de faire connaissance.
Elle hésita. Et si c’était un piège ? Elle était devenue parano avec ce qui lui était arrivé récemment. Elle avait plus ou moins aidé à déjouer un attentat quelques jours auparavant, et elle ne savait pas si tous les coupables étaient déjà derrière les barreaux à l’heure qu’il était. Et si c’était quelqu’un qui venait se venger ?
On sonna à nouveau, cette fois en laissant le doigt appuyé plus longtemps, comme si la personne de l’autre côté voulait bien lui faire comprendre qu’elle ne lâcherait pas l’affaire aussi facilement.
Laura s’approcha et se colla contre la paroi pour ne pas faire face à la porte, comme elle avait souvent vu faire dans les films. Si la personne de l’autre côté avait une arme et tirait à travers la porte, au moins, Laura serait à l’abri.
Elle demanda d’une voix forte :
— Oui ?
— Ouvrez mademoiselle Chapuis, c’est mademoiselle Mulliez !
Laura soupira. Mademoiselle Mulliez, la gardienne de la résidence, un petit bout de femme énergique, qui devait avoir la soixantaine et qui tenait absolument à ce qu’on l’appelle « mademoiselle ».
Elle ouvrit la porte et vit la concierge, ses lunettes aux verres épais sur le nez, qui tenait un paquet de la taille d’un gros livre, couvert de papier kraft. La gardienne dit :
— Un livreur est venu poser ça dans votre boîte à lettres, à l’instant. Moi comme je viens de vous voir arriver je me suis dit « je vais le prendre et le lui monter maintenant », d’ailleurs ça m’a bien surprise de vous voir arriver comme ça de bon matin, je me suis dit « tiens, elle a découché mademoiselle Chapuis, » d’ailleurs, la nuit a dû être courte, vous avez l’air bien fatiguée ce matin.
Laura ne répondit rien d’autre qu’un simple « merci » et prit le paquet que mademoiselle Mulliez lui tendait. Il était tellement léger que, l’espace d’une seconde, elle se demanda s’il était vide. Sur le papier kraft, il y avait juste une étiquette, collée, avec le nom et l’adresse de la jeune femme, écrits à la main. Pas de nom d’expéditeur. Rien. Elle demanda :
— Il ressemblait à quoi ce livreur ?
— Oh, je l’ai pas bien vu, il est parti aussi vite qu’il est arrivé, sinon je lui aurait pris directement le paquet. Mais il avait quoi, la trentaine, un peu comme vous quoi. Et il avait l’air un peu… il m’a paru légèrement efféminé quoi, vous voyez le genre, je veux dire il portait un pantalon moulant, très près du corps, et puis aussi un foulard rouge autour du cou, vous voyez, le genre de choses qu’on verrait plutôt chez les femmes normalement. Enfin, de mon temps en tout cas c’était comme ça. De nos jours, on sait plus trop !
Laura ne put s’empêcher de sourire en entendant la description de l’expéditeur. En tout cas, ça ne l’avançait pas à grand-chose. Mademoiselle Mulliez commença à s’éloigner en disant :
— Bon, eh bien, je vous laisse hein, et puis bonne journée surtout !
Laura alla poser le paquet sur la table basse et le regarda, perplexe.
Et si c’était un colis piégé ? Non, vu comme la gardienne l’avait secoué avant de le lui donner, il aurait sans doute déjà eu mille fois le temps d’exploser. Elle hésita à approcher l’oreille, se disant qu’elle entendrait peut-être le tic-tac d’un minuteur, avant de se trouver à nouveau ridicule, à se croire dans un film.
Et puis c’était tellement léger… Une bombe à retardement, ça doit peser son poids, non ? Mais, finalement, elle approcha quand même son oreille. Après tout, sait-on jamais.
Aucun bruit suspect.
Elle déchira l’emballage en papier kraft. L’enveloppe recouvrait une boîte en carton blanc. Elle hésita une dernière fois, puis ouvrit le carton.
Il était plein de papier-bulle, celui qu’on utilise pour protéger les objets fragiles. Elle déroula le papier-bulle. Et trouva à l’intérieur un petit éléphant en porcelaine blanche grossière. Elle fut étonnée du poids de l’objet. Il paraissait plutôt lourd pour sa petite taille.
Elle fouilla à nouveau le papier-bulle, puis le carton, mais ne trouva rien d’autre. Aucune note d’explication. Ni rien d’approchant.
Juste cet éléphant en porcelaine.
Qui avait bien pu lui offrir un truc pareil ? Sa mère ? Pauline, sa meilleure amie ? Un ex désespéré, oublié depuis longtemps, mais qui espérait la reconquérir en lui offrant un bibelot de ce genre ? Jérôme, qui avait décidé de lui offrir un cadeau pour la remercier de leur folle nuit d’amour ?
Non, c’était ridicule. Elle éluciderait ce mystère plus tard. Pour l’instant, elle avait besoin d’une bonne douche, et d’un bon thé bien chaud.
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Les yeux toujours à moitié collés par le sommeil, Jérôme bougonna en mettant la machine à café en route. Le moteur de l’appareil s’activa et les grains furent rapidement moulus, diffusant une odeur intense à travers la petite cuisine. Il était mal réveillé, et n’avait pas encore trouvé le temps ni de se raser, ni de se laver, ni de prendre son café. Mais dans quelques minutes, ça irait mieux, sans aucun doute.
Quand il s’était réveillé, quelques instants plus tôt, il était seul au milieu des draps tièdes. Depuis combien de temps Laura était-elle partie ? Il l’ignorait. Elle était encore là quand il s’était endormi pour la dernière fois, sur les coups de quatre heures, mais elle était déjà partie quand il avait ouvert les yeux et que les chiffres rouges de son radio-réveil indiquaient qu’il était neuf heures trente. Elle avait pris toutes ses affaires, donc elle n’avait manifestement pas prévu de revenir.
Jérôme ne savait pas comment interpréter son départ. Est-ce que cela voulait dire qu’il ne la reverrait plus, ou pas en tant qu’amante en tout cas ? Est-ce qu’elle ne le voyait que comme un simple coup d’un soir ? Est-ce qu’elle regrettait de s’être jetée aussi rapidement dans ses bras ? Est-ce qu’ils étaient allés trop vite tous les deux ?
Il regarda son téléphone, pour la énième fois depuis qu’il était levé. Aucun message ni appel en absence. Il hésita à lui envoyer un petit mot, puis se ravisa. Si elle voulait prendre un peu de distance, autant ne pas la brusquer.
Il essaya de penser à autre chose. Mais à quoi ? Impossible de se réfugier dans le boulot pour le moment. Il était consultant indépendant, spécialisé dans la sécurité informatique et la lutte contre la cybercriminalité.
Il travaillait seul, sa dernière mission s’était terminée depuis un peu plus d’une semaine, et la prochaine ne débuterait pas avant trois bonnes semaines. Et à ce moment-là, il aurait besoin des services d’une détective privée. C’était pourquoi il avait fait appel à Laura, à la base.
Laura.
Il en revenait toujours là.
Pour tenter de se changer les idées, il décida d’aller prendre une bonne douche bien brûlante. Puis il irait faire un tour sur l’ordinateur, pour tenter de se tenir au courant de l’actualité en matière de cybersécurité. Une nouvelle faille de sécurité venait d’être découverte sur la dernière version du noyau Linux, et elle compromettait tout un tas de routeurs. Un correctif devait être publié rapidement, peut-être même que c’était déjà fait. Oui, voilà, il allait se focaliser sur les correctifs de sécurité, pour tenter de ne plus penser à Laura, tant qu’elle ne donnerait plus signe de vie.
Il avala d’une traite son café, grimaça tant le breuvage était encore chaud, et prit la direction de la salle de bains. Il laissa l’eau chaude couler sur sa peau pendant de longues minutes, espérant que cela lui permettrait d’avoir les idées au clair.
Quand il quitta la salle de bains embuée quelques minutes plus tard, il vit qu’il avait reçu un message de Laura :
« Coucou, excuse-moi d’être partie comme une voleuse tout à l’heure, j’avais pas envie de te réveiller, tu dormais tellement bien ;) J’avais des choses à faire chez moi, ça te dit de passer ce soir ? Aujourd’hui c’est moi qui régale ! »
Il ne put s’empêcher de sourire. La journée s’annonçait bien, après tout. Et les correctifs de sécurité pourraient attendre.
#
Laura venait de nettoyer son appartement de fond en comble. Elle voulait qu’il soit impeccable pour ce soir. Jérôme allait arriver dans moins d’une heure, et il était hors de question qu’il trouve un logement en désordre.
Elle alluma les guirlandes qu’elle avait installées un peu partout dans son deux-pièces, pour égayer les lieux et leur donner une atmosphère cosy. Elle alluma ensuite quelques bougies parfumées. Senteur fruits rouges. Ses préférées. Elle mit en marche sa chaîne stéréo, et lança un vieux vinyle qu’elle avait acheté sur un vide-grenier dans la semaine. Un jazz tranquille des années cinquante.
Elle avait enlevé les vêtements qui traînaient ici ou là, avait replacé les livres dans la bibliothèque du couloir, et avait fait la poussière au milieu des bibelots qui décoraient son appartement.
Elle avait placé le petit éléphant en porcelaine sur le meuble télé. Elle se demandait encore qui lui avait offert ce drôle de machin. En tout cas, il s’accordait plutôt bien avec le reste de sa déco.
En regardant tout autour d’elle, pendant que la voix entêtante de Chet Baker se faisait entendre dans tout l’appartement, tandis que le chat dormait paisiblement sur le vieux canapé, elle ne put s’empêcher d’éprouver de la satisfaction. Elle était tellement bien ici. Il s’en dégageait une âme, une atmosphère qui lui correspondait totalement. D’ailleurs, peut-être qu’un de ces jours, si les choses devenaient sérieuses entre eux, il faudrait qu’elle s’occupe de mettre de la vie dans l’appartement sans âme de Jérôme. Un vrai appartement de mec.
Elle se dirigea vers la kitchenette. Ce soir, c’était elle qui préparait le dîner. Mais il ne fallait pas qu’il s’attende au repas luxueux qu’ils avaient partagé la veille au resto. Non. Ce soir, ce serait lasagnes épinards-saumon. C’était déjà pas mal. Laura n’était pas un cordon-bleu, loin s’en fallait.
Alors qu’elle venait d’enfourner le poisson, elle entendit un bruit de verre brisé dans la grande pièce. Elle s’y précipita en criant :
— Patachon ! Qu’est-ce que tu as encore fichu ?
Au sol, elle vit des éclats de porcelaine blanche juste à côté du canapé.
— Mon éléphant ! Tu l’as cassé…
Elle commença à ramasser les morceaux en disant :
— Je sais même pas encore qui me l’a offert qu’il est déjà en mille morceaux. T’es pire que les dix plaies d’Égypte toi !
Le chat s’éloigna, comme si de rien n’était. Laura alla chercher une pelle et une balayette dans la cuisine, et ramassa tous les morceaux qui traînaient sous le canapé. L’objet était en miettes. Pas la peine d’espérer le réparer. Pourvu que la personne qui le lui avait offert ne se vexe pas !
Elle regarda de plus près les morceaux qu’elle venait de ramasser. Il y avait plein de minuscules morceaux de verre, presque cubiques, à peine de la taille d’un ongle de petit doigt.
— Qu’est-ce que c’est que ces machins ?
Elle avait l’impression que les morceaux de verre venaient de l’intérieur de l’éléphant. Oui, c’était pour ça qu’il était si lourd, malgré sa petite taille. On avait mis du verre dedans, sans doute pour le lester.
Eh bien, ça n’avait pas suffi. Pas pour résister à Patachon la tornade. Elle jeta les éclats de porcelaine et les petits morceaux de verre à la poubelle et sentit soudainement une odeur de brûlé.
— Oh non, c’est pas vrai !
Elle se précipita pour ouvrir le four. Une fumée noire et âcre s’en échappa. Le saumon était loin d’avoir la teinte rose-orangée qu’il était censée avoir.
Elle n’eut même pas le temps de tenter de réparer les dégâts que, déjà, Jérôme sonnait à la porte.
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Quand Jérôme arriva chez Laura, c’est une jeune femme aussi ravissante que stressée qui lui ouvrit la porte. Il comprit tout de suite ce qui s’était passé, en sentant la forte odeur de brûlé qui émanait d’une pièce toute proche. Elle dit sur un ton désespéré :
— Oh, je suis désolée, j’avais préparé des lasagnes au saumon et aux épinards mais j’ai tout fait foirer !
Il lui sourit et dit :
— T’inquiète, je suis sûr que ça sera super bon quand même. Tiens, dit-il en sortant une bouteille de champagne de derrière son dos, j’ai ramené ça pour ce soir. Il faudrait la mettre au frigo.
Laura prit la bouteille, le débarrassa de son manteau, et lui proposa de visiter son logement. C’était un petit appartement. Une pièce principale, une petite cuisine, une petite chambre et une salle de bains minuscule. Mais il était décoré avec goût. La jeune femme avait placé des guirlandes lumineuses partout, ce qui donnait une ambiance tamisée et chaleureuse. Elle avait également allumé des bougies parfumées. Il y avait des bibelots un peu partout, parfaitement rangés. Chaque chose était à sa place, et c’était comme si elle n’avait négligé aucun détail. Jérôme se dit que l’endroit n’avait rien à voir avec son propre appartement, fonctionnel, spacieux, rempli d’ordinateurs et de matériel électronique, mais en désordre permanent et décoré de façon spartiate.
Elle avait aussi un chat, qui n’avait pas quitté sa cachette dans le placard de la chambre depuis que Jérôme était arrivé. Tout ce qu’il avait pu en voir, c’étaient ses deux yeux qui brillaient comme des braises dans l’obscurité.
Ils passèrent à table. Les lasagnes étaient à peine mangeables, mais Jérôme ne fit pas la fine bouche, et dit que c’était délicieux. Laura ne semblait pas le croire mais le remercia quand même.
Ils abordèrent également le sujet du travail. Jérôme avait un client avec lequel il allait bientôt travailler. Une affaire d’espionnage industriel. Il dit :
— Sans rentrer dans les détails, il va y avoir beaucoup de travail à faire. Un peu de travail que je pourrai faire moi-même, depuis l’ordinateur. Mais il va aussi falloir mener des opérations de surveillance. Ce qui veut dire : des heures à planquer, à attendre que quelque chose se passe. Peut-être pour rien du tout. C’est quelque chose que je pourrais faire je pense, si je n’avais pas le choix, mais je préfèrerais faire appel à une professionnelle, si tu vois ce que je veux dire. Une détective privée expérimentée, qui a sa licence et tout.
— Euh, expérimentée c’est vite dit, hein. J’ai un mois d’expérience, à tout casser.
— Mais je suis bien placé pour savoir que tu sais très bien faire ce genre de boulot.
Peu de temps avant leur divorce, l’ex-femme de Jérôme avait envoyé Laura le surveiller. Elle le soupçonnait, à l’époque, d’avoir une maîtresse. À tort. Jérôme était en mission à l’époque, et avait tout fait pour rester discret et introuvable. Laura avait quand même réussi à retrouver sa trace et à le surveiller pendant toute une journée, sans qu’il ne se doute de quoi que ce soit.
Il reprit :
— Moi, rester planqué comme ça, j’aurais pas la patience. C’est un gros client, j’ai pas envie de tout faire foirer. Oh, au fait, je t’ai dit que tu serais très bien payée ?
— Non, combien ?
Il lui annonça le montant qu’il avait prévu de lui verser. La moitié de ce que lui toucherait, une fois les frais déduits. Laura écarquilla les yeux et dit :
— Attends, mais c’est énorme ! Tu sais combien je touchais quand j’étais salariée à l’Agence ? Même pas le quart de ça !
— C’est l’avantage quand on est indépendant, dit Jérôme un sourire aux lèvres. Alors, ça te dit ?
— Carrément, on commence quand ?
— Un peu de patience, la mission commencera dans quelques semaines. T’as hâte, on dirait ?
— Je te cache pas qu’une somme pareille ça me permettrait de mettre un peu de beurre dans les épinards, oui.
— Ça t’évitera de les faire brûler, la prochaine fois, les épinards.
Elle lui lança un regard assassin. Il éclata de rire, et elle fit une mine faussement boudeuse.
Puis ils laissèrent de côté les sujets professionnels pour aborder des sujets plus personnels. Et, quelques instants plus tard, ils se rendirent dans la chambre de Laura, où ils passèrent une nuit divine tous les deux.
Au petit matin, cette fois, ce fut Jérôme qui s’éclipsa sans bruit. Laura avait fait pareil la veille, et il ne voulait pas lui donner l’impression de précipiter les choses entre eux.
En passant dans l’entrée, il vit le sac poubelle qui attendait d’être descendu dans le local à poubelles. L’odeur des restes de poisson de la veille commençait à s’en échapper. Il pouvait bien lui rendre ce petit service. Il prit le sac avec lui. Il le déposerait dans le local une fois arrivé en bas.
La dernière chose que Jérôme vit au moment de fermer la porte d’entrée de l’appartement, ce fut le chat de Laura qui sortait enfin de sa cachette, fièrement dressé sur ses quatre pattes, comme s’il venait de reconquérir son territoire de haute lutte.
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Laura était chargée de deux lourds sacs de courses quand elle revint dans son immeuble le lendemain, en fin de matinée. Vivement qu’elle arrive en haut ! Ça pesait une tonne.
Mais quand elle passa dans le hall d’entrée, la gardienne, mademoiselle Mulliez, l’interrompit :
— Ah, mademoiselle Chapuis ! J’ai trouvé votre sac à puces qui divaguait dans l’escalier tout à l’heure. Ça m’a fait une drôle de surprise de le voir débouler dans mes pattes !
— Patachon ? Mais comment…
— J’ai voulu l’attraper, mais en me voyant il s’est enfui vers chez vous. Et c’est là que j’ai vu que vous aviez laissé votre porte d’entrée entrouverte. Il est retourné à l’intérieur, alors moi j’ai fermé derrière lui. Mais j’ai pas les clés alors, évidemment, j’ai pas pu verrouiller.
— Quoi ? Mais… Je suis sûre d’avoir fermée derrière moi pourtant…
— Oh ça nous arrive à tous hein d’être étourdis de temps en temps. Mais vous devriez vous méfier, avec ce qui se passe de nos jours. Et puis moi je suis pas tout le temps là à surveiller les allées et venues dans l’immeuble, c’est que j’ai quatre bâtiments à m’occuper moi.
Tout en réfléchissant, Laura monta les marches quatre à quatre, malgré les sacs tellement lourds qu’ils lui cisaillaient les mains.
Elle était certaine d’avoir fermé la porte derrière elle. Elle verrouillait toujours à double-tour quand elle sortait. Elle vérifiait à chaque fois, et plutôt deux fois qu’une, parano comme elle était.
Fébrile, elle ouvrit la porte. Et, comme elle s’y attendait, elle découvrit un carnage à l’intérieur.
Tous les meubles avaient été retournés. Les coussins du canapé jetés au sol.
Les plantes dans les pots, renversées. Il y avait de la terre partout.
Les livres étaient par terre.
Elle se précipita dans sa chambre. Tous les tiroirs avaient été vidés, les vêtements jetés en tas, par terre.
Elle fit le tour une nouvelle fois, cherchant ce qui avait pu être volé. Les cambrioleurs n’avaient pris ni le téléviseur, ni son ordinateur portable, et n’avaient pas touché à la chaîne non plus.
Vu qu’ils avaient tout retourné et qu’ils étaient partis sans toucher au matériel électronique, cela voulait dire qu’ils étaient à la recherche soit d’argent, soit de bijoux de valeur, soit de drogue ou de médicaments. Et, comme Laura n’avait rien de tout cela chez elle, ils étaient repartis bredouille.
Finalement, ça aurait pu être beaucoup plus grave. Ils étaient rentrés sans effraction, sans doute en crochetant la serrure, ce qui, par chance, voulait dire qu’elle ne se retrouvait pas avec une porte HS, à devoir attendre pendant des mois que l’assurance daigne la rembourser. Ils n’avaient pas touché à Patachon, qui s’était sans doute enfui en les voyant arriver.
En plus de ça, si elle était arrivée ne serait-ce qu’une demie-heure plus tôt, elle les aurait croisés la main dans le sac. Laura frémit d’horreur en y pensant. Qu’est-ce qu’ils lui auraient fait ?
Elle se préparait à tout remettre en place, quand elle se dit qu’il valait sans doute mieux appeler la police. Elle prit son téléphone, et vit qu’elle avait un message de Jérôme :
« Hello, bien dormi ? Est-ce que ça serait possible pour toi de passer à mon bureau, à Global Consulting, histoire que l’on discute plus en détail de ta prochaine mission ? Il y a pas mal de paperasse à remplir, ça serait bien de s’occuper de ça rapidement. Bisous. »
Elle répondit simplement :
« Désolée, je viens tout juste de me faire cambrioler. Il va falloir que j’appelle la police, puis mon assurance. Ça te dérange si on fait ça demain, à la place ? »
Cela faisait à peine dix secondes qu’elle avait envoyé le message que Jérôme la rappela. Elle décrocha :
— Laura ? Ça va ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Oui, ça va, enfin… Ça peut aller, quoi, vu les circonstances. Ils sont venus pendant que je faisais les courses, ils ont retourné tout l’appartement, mais ils n’ont rien pris je crois, ils cherchaient de l’argent je pense, mais enfin comme je suis à sec en ce moment… J’allais appeler la police, là.
— Je m’en occupe. J’ai des contacts dans la police. Je vais m’arranger pour qu’ils t’envoient des gens compétents. Et après je fonce chez toi. Ça va aller ?
— Oui, t’inquiète. C’est gentil, Jérôme. Merci d’être là.
— À tout à l’heure. Je fais au plus vite.
Laura s’assit sur une chaise en attendant l’arrivée de la police, et fondit en larme. Même s’il n’y avait apparemment pas de dégât matériel, elle se rendait compte à quel point un cambriolage pouvait être traumatisant. Savoir que des inconnus étaient entrés, ainsi, dans son sanctuaire, en son absence… Alors qu’elle était partie pour quelques heures à peine… Jamais plus elle ne s’y sentirait en sécurité.
Elle était assise depuis quelques minutes, le temps de se remettre de ses émotions, quand on frappa à la porte. La police était déjà là ? Jérôme devait effectivement avoir des contacts haut placés pour qu’ils se pointent aussi rapidement à son domicile. Laura se leva et alla ouvrir.
Mais derrière la porte, l’homme qui lui faisait face n’avait rien d’un policier.
C’était un homme qui avait une barbe de trois jours. Le visage dur, le regard froid. Il était en jean et baskets.
Et tenait un cutter ouvert dans sa main.
Elle aurait dû se méfier. Des policiers auraient sonné à l’interphone en bas. Ils ne se seraient pas pointés comme ça, à son étage, sans s’annoncer. Mais c’était trop tard pour penser à ça maintenant.
Laura resta figée. L’homme avança vers elle, déterminé à entrer. Par réflexe, elle se recula et le laissa passer.
Il referma derrière lui, sans quitter la jeune femme des yeux, son arme toujours orientée vers elle.
— Toi, dit-il, continuant de plonger son regard perçant dans le sien, tu as quelque chose qui m’appartient. Et je viens le récupérer.
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Jérôme venait d’appeler deux de ses connaissances au commissariat situé juste à côté des locaux de Global Consulting, son entreprise. Des hommes de confiance. Il avait déjà travaillé avec eux, et il savait qu’ils ne traiteraient pas le cambriolage de l’appartement de Laura à la légère. S’il y avait quelque chose à trouver, ils le trouveraient.
Ils étaient occupés au moment où Jérôme les avait appelés, mais avaient promis d’arriver chez elle d’ici une heure. Il se précipita donc chez la jeune femme, afin de la rassurer en attendant leur arrivée. Elle aurait certainement besoin de soutien.
Arrivé en bas, il n’eut pas besoin de sonner à l’interphone. Un homme était en train d’entrer dans l’immeuble. Un type quelconque, avec une barbe de trois jours, habillé d’un jean et d’une paire de baskets standards. Il rattrapa la lourde porte d’entrée de l’immeuble derrière lui, avant qu’elle ne se referme.
L’homme ne sembla pas remarquer sa présence. Il avait l’air préoccupé. Il prit l’escalier. Comme Laura vivait au premier, Jérôme le suivit. Il n’allait pas prendre l’ascenseur pour monter un seul étage.
Alors qu’il était arrivé dans l’angle, au milieu de l’escalier, il vit l’homme mal rasé sonner à la porte de Laura. Intrigué, Jérôme s’arrêté, sans bouger.
Qui était ce type ? L’homme n’avait toujours pas remarqué sa présence. Alors que Laura ouvrait la porte, le type sortit un cutter et entra de force dans l’appartement.
Jérôme se précipita derrière lui, mais le type venait de claquer la porte.
— Merde !
D’un côté, le type était armé, pas Jérôme, et il ne faut pas sous-estimer un homme armé d’une lame.
D’un autre côté, Jérôme ne pouvait pas rester planté là, à ne rien faire, alors qu’un homme armé venait d’entrer chez son amie.
Il ne pouvait pas non plus attendre l’arrivée des deux policiers. Ils ne seraient pas là avant une bonne dizaine de minutes. Et s’il appelait le 17, il allait perdre des instants précieux, le temps d’expliquer la situation.
Il allait devoir agir lui-même. Il n’était pas armé, mais il aurait l’effet de surprise pour lui.
Il se précipita en haut de l’escalier. Ouvrit la porte brutalement.
De l’autre côté, le type, surpris, se retourna. Il regarda Jérôme sans comprendre ce qui se passait, le cutter fermement serré dans sa main gauche.
Jérôme courut sur lui, donna un coup de pied dans sa main gauche, et un autre, de son autre pied, au niveau du foie. Le type lâcha son arme, par réflexe, et bascula légèrement en arrière.
Laura, derrière lui, en profita. Elle le tira vers elle. L’agresseur tomba au sol, se cognant violemment la tête contre le rebord de la bibliothèque. Il semblait avoir perdu connaissance.
Jérôme se précipita vers la jeune femme, l’enlaça et lui demanda :
— Ça va ?
Elle se mit à sangloter et dit :
— Oui, c’est bon. Mais j’ai eu si peur !
— C’est fini maintenant.
Jérôme la relâcha et dit :
— Tu as une corde ou quelque chose du genre ? La police ne va pas tarder mais il peut se réveiller à n’importe quel moment. Il faut au moins qu’on lui attache les mains.
— Non, j’ai pas ça. Un lacet de chaussure, ça fera l’affaire ?
— Ça sera parfait, dit-il.
Tandis qu’elle ôtait le lacet d’une de ses chaussures, Jérôme demanda :
— Tu ne sais pas ce qu’il te voulait alors ?
— Si, enfin je pense, il m’a juste dit « vous avez quelque chose qui m’appartient », sans m’en dire plus.
— C’est lui qui est venu te cambrioler ce matin, c’est ça ? Il a retourné ton appartement parce qu’il cherchait quelque chose, et comme il n’a pas trouvé, il est venu te demander directement ?
— Oui. Et à mon avis, il cherchait un truc qu’on m’a livré hier.
Elle lui tendit le lacet. Jérôme passa les mains de l’agresseur encore inconscient dans son dos et commença à les attacher, en demandant :
— Comment ça ? Quel truc ?
— Un éléphant en porcelaine, de cette taille-là en gros.
Elle fit un geste avec son pouce et son index pour indiquer la hauteur de l’objet. Quelques centimètres, sept ou huit, tout au plus.
— Qui t’a livré ça ?
— Je sais pas, la gardienne m’a donné un paquet qu’on avait mis dans ma boîte aux lettres, mais il n’y avait pas d’expéditeur ni rien. J’avais pas l’impression que ça puisse avoir de la valeur ou quoi que ce soit.
Il finit de serrer le nœud et poursuivit :
— Et il est où cet éléphant maintenant ?
— Je l’avais posé sur un meuble hier soir mais le chat l’a fait tomber. Je l’ai jeté à la poubelle. Avec les morceaux de verre qui… Eh, attends une seconde… Ça ne pouvait pas être l’éléphant qui l’intéressait, parce que c’était vraiment un objet quelconque. Mais à l’intérieur il y avait des tout petits morceaux de verre, enfin, je pensais que c’était du verre, mais… Ça devait être autre chose…
— Des diamants ?
— C’est vrai que j’ai remarqué qu’ils avaient un reflet bizarre, mais c’était pas des diamants, la forme était beaucoup trop grossière, ça ressemblait vraiment à des éclats de verre…
— Des diamants bruts, à tous les coups. Pas encore taillés. Ça ne paye pas de mine, mais ça vaut une fortune. Et moi j’ai descendu le sac poubelle ce matin, comme une andouille.
À ce moment, l’interphone sonna. Laura décrocha, et invita ses visiteurs à monter.
— Voilà la police !
Le type commençait peu à peu à reprendre connaissance. Jérôme lui mit une gifle légère pour le réveiller, et lui dit :
— Oui, t’as raison, réveille-toi l’ami. T’as de la visite.
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Laura regarda les morceaux qu’elle et Jérôme avaient posés sur la table du salon, au milieu des éclats de porcelaine. Maintenant qu’elle les voyait mieux, à la lumière du jour, c’était évident. Ils avaient beau avoir passé une journée entière au milieu de détritus, leur reflet était magnifique. Et, si leur forme était grossière, elle rappelait vaguement celle d’un octaèdre. Un solide à huit faces.
Elle soupira.
— T’es sûr qu’on doit les rendre, Jérôme ?
— Tu sais bien que oui.
À leurs pieds, le sac poubelle répandait son odeur nauséabonde de poisson. Ils avaient dû en vider intégralement le contenu pour retrouver tous les minuscules diamants qui avaient été jetés la veille.
Tout autour d’eux, l’appartement était encore en désordre. La police était tout juste repartie avec l’agresseur de Laura encore à moitié sonné, et la jeune femme n’avait pas encore pris le temps de ranger quoi que ce soit. Juste après leur départ, elle s’était précipitée en bas, pour récupérer le sac poubelle dans le grand conteneur, avant que mademoiselle Mulliez ne le sorte dans la rue.
Elle demanda à son ami :
— Mais on pourrait bien en garder un ? Quelle différence ça ferait ? Ils ne s’en rendront même pas compte je suis sûre !
— Bien sûr que si ils s’en rendront compte. Tu penses bien que celui à qui ils appartiennent sait exactement combien il en avait.
— Pff… Mais on sait même pas qui c’est !
À ce moment, le téléphone de Jérôme se mit à sonner. Il regarda l’écran et dit :
— Mes amis de la police.
Il posa le téléphone sur la table et décrocha, en activant le haut-parleur.
— Oui ?
— Jérôme ? L’homme qui a agressé ton amie est passé aux aveux.
— Déjà ? C’est quoi cette histoire alors ?
— Il avait fait la connaissance, en ligne, d’un type qui a participé à un cambriolage chez un diamantaire, à Anvers, il y a quelques mois. Le type en question cherchait à se débarrasser de sa marchandise. Des diamants bruts. C’est bien beau les diamants, ça ne prend pas de place et ça vaut très cher, mais ce n’est pas facile à revendre. Tout le monde dans le milieu des diamantaires aurait su qu’il s’agissait de marchandise volée. Il faut connaître quelqu’un dans le milieu. Quelqu’un qui n’est pas très regardant sur la provenance de ce qu’il achète.
Laura demanda :
— Et donc l’homme qui est venu chez moi, c’était ce genre d’acheteur ?
— Oui ! Enfin, il servait d’intermédiaire auprès d’un diamantaire véreux. Il achetait les diamants au rabais, les revendait un peu plus cher à son client, et tout le monde était content. Tout le monde, sauf le propriétaire original, évidemment.
Elle prit une des pierres et la fit rouler entre son pouce et son index, jouant avec les reflet lumineux, et demanda :
— Mais enfin, c’était quoi moi mon rôle dans cette histoire ? Pourquoi m’avoir livré les diamants à moi ? Et pourquoi les avoir cachés à l’intérieur d’un éléphant en porcelaine ?
— Le vendeur, celui qui a déposé le colis donc, ne voulait pas être vu en compagnie de l’acheteur, celui qui vous a agressée. D’une part, parce qu’il pensait que l’acheteur était peut-être sous surveillance, et d’autre part, parce qu’il ne lui faisait pas vraiment confiance, à mon avis. Et il fallait que la transaction se fasse rapidement. La seule solution qu’ils ont trouvée, c’était de déposer les diamants dans un lieu sûr. Le vendeur les déposait quelque part, et l’acheteur venait les récupérer quelques heures après. Mais ils ne pouvaient pas laisser le paquet dans la nature. N’importe qui aurait pu le prendre !
Laura dit, d’un ton qui sous-entendait qu’elle ne comprenait pas vraiment :
— D’accord…
— Ils se sont donc dit que, s’il laissait les diamants dans une boîte aux lettres quelconque, dans un immeuble, l’acheteur pourrait les récupérer dans les heures à venir. C’est très facile de pénétrer dans un hall d’immeuble, et encore plus facile d’ouvrir n’importe quelle boîte aux lettres : il suffit d’avoir un passe, et ils sont très simples à obtenir. D’autant que votre agresseur a l’air très compétent en matière de crochetage de serrures.
— OK, dit Laura, alors l’idée, c’était que je n’allais sans doute pas aller chercher mon courrier si tôt dans la matinée, donc, l’acheteur aurait eu tout le temps qu’il voulait pour récupérer le colis, c’est ça ?
— Tout à fait. Et si, par le plus grand des hasards, vous y alliez quand même, ou si, comme cela s’est produit, la gardienne de l’immeuble remontait le colis pour vous, il ne fallait évidemment pas que vous tombiez directement sur les diamants. C’est pour ça qu’ils ont été cachés dans un objet d’apparence innocente. Un bibelot sans valeur. Quelque chose que quelqu’un aurait pu vous offrir. Quelque chose que vous auriez posée bien en évidence, chez vous, le temps de retrouver laquelle de vos connaissances vous l’avait offerte.
— Et ensuite, il ne restait plus à l’acheteur qu’à me cambrioler ! Facile, pour un habitué comme lui. Il n’avait qu’à attendre que je m’absente. Sauf que mon chat avait cassé l’éléphant dans l’après-midi, et que je l’avais jeté à la poubelle, avec tous les diamants, sans savoir de quoi il s’agissait.
— Et moi, dit Jérôme, j’ai descendu la poubelle en repartant ce matin. Donc il a eu beau fouiller les lieux de fond en comble, il n’a rien pu trouver.
— Finalement, c’est Patachon qui a sauvé les diamants, en quelque sorte.
Laura regarda autour d’elle. Son chat n’était pas dans les parages. Forcément. Entre la présence de Jérôme à qui il ne faisait pas encore confiance, tout ce bazar dans l’appartement, et ce qui s’était passé dans la journée, la pauvre bête devait être paniquée. Il était certainement caché dans le placard de la chambre. Sa cachette préférée.
— Bien. Jérôme, madame, je vais vous laisser maintenant, il faut que nous retrouvions la trace du vendeur, avant qu’il ne se fasse la malle. Des collègues vont passer à votre domicile, pour récupérer les diamants. Nous venons d’appeler le propriétaire, il dit qu’il s’était fait voler douze diamants. Vous avez réussi à tous les retrouver ?
Jérôme et Laura les comptèrent. Il y en avait douze.
— Oui, ils sont tous là, dit Jérôme.
Laura lui lança un regard plein de déception. Qu’est-ce que ça aurait changé de dire qu’il en manquait un ? Après tout, le vendeur aurait pu en garder un pour lui et n’en mettre que onze dans le petit éléphant ?
Non, Jérôme avait raison, c’était sans doute mieux ainsi. Laura ne voyait pas trop ce qu’elle aurait pu faire d’un diamant brut, de toute façon. À quoi bon garder un objet volé qu’on ne peut ni utiliser ni revendre ? Ce n’était pas ça qui allait régler ses problèmes d’argent.
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Jérôme jeta un rapide coup d’œil dans la pièce. Après deux heures de travail acharné, ils avaient enfin fini de remettre de l’ordre dans l’appartement de Laura. Une heure plus tôt, la police était venue récupérer les diamants.
Et là, la jeune femme sortait tout juste de sous la douche, fraîche et pimpante. Retour à la case départ. C’était comme si rien ne s’était passé.
Évidemment, pour Laura, ce n’était pas la même chose, il en était certain. Même si matériellement, tout était à nouveau en ordre, le traumatisme de l’agression et de l’intrusion, lui, était encore vivace et n’allait pas disparaître de sitôt.
Il était près de dix-neuf heures. Dehors, la nuit avait commencé à tomber. Jérôme dit :
— Ça te dit d’aller manger quelque part ? Histoire de se changer les idées ?
Elle soupira et dit :
— Ouais, pourquoi pas. Bonne idée.
Il la prit dans ses bras. Elle sentait cette délicieuse odeur de jasmin, comme à chaque fois qu’elle sortait de la douche. Il lui dit :
— Écoute, je sais que c’est dur ce qui vient de se passer et…
— Non mais t’inquiète, dit-elle, un sourire en coin, ça va passer hein, j’ai connu pire depuis que je te connais. J’ai déjà frôlé la mort plusieurs fois ces derniers temps, et à chaque fois c’était à cause de toi.
— C’est vrai. Et à chaque fois, c’est moi qui t’ai tirée d’embarras. Heureusement que je suis là.
— Ça, c’est sûr que ma vie à changé depuis que je te connais, dit-elle avec un sourire narquois.
— Je vais prendre ça pour un compliment.
Elle baissa le regard une fraction de seconde, comme pour cacher sa gêne, et demanda :
— Au fait… Ça te dérangerait de rester dormir ici ce soir ? Je veux dire, je me sens pas trop de passer la nuit ici tout seule, vu ce qui s’est passé aujourd’hui…
Il demanda sur un ton sarcastique :
— Comment ça toute seule ? T’as Patachon quand même.
— Ouais, c’est pas pareil. Lui à part se planquer, il sait pas faire grand-chose.
Jérôme regarda vers la chambre de Laura. Dans le placard, les deux yeux du chat brillaient.
— Je vois ce que tu veux dire. Bon, d’accord, je vais rester alors. Mais prends pas ça pour une habitude.
— Pas de risque. Bon, on va manger ? J’ai faim.
Quand ils sortirent, juste avant qu’ils ne ferment la porte d’entrée, Jérôme vit à nouveau le chat sortir de sa cachette et reprendre rapidement possession des lieux. Il ne semblait pas encore prêt à accepter Jérôme sur son territoire.