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La Crème du crime # 5 - Louise Penny
Le cinquième épisode de la Crème du crime, enregistré en mai 2016, était consacré à Louise Penny.
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Une Canadienne à l’école du whodunit, le polar classique
Louise Penny est une autrice canadienne, elle vit à Toronto. Ce qui veut dire que c’est une canadienne anglophone : elle écrit ses romans en anglais, et nous, pauvres petits lecteurs Français, on est obligés d’attendre des traductions pendant parfois bien longtemps.
Bien souvent dans cette chronique, je vous parle d’auteurs qui sont plutôt dans la tendance « hard-boiled » du roman policier, de la tendance noire. Donc des romans très réalistes, où la violence est décrite sans détour et où la réalité sociale est très présente, où elle est même parfois au premier plan. Eh bien, ce n’est pas du tout le cas chez Louise Penny. Elle appartient plutôt à l’école du roman policier « classique ». Mais si, vous savez, Agatha Christie, Conan Doyle, Edgar Poe, etc., tous ces auteurs qui étaient très en vogue dans la première moitié du vingtième siècle. Et d’ailleurs, ne vous inquiétez pas pour eux, ils continuent d’être énormément lus. Pour vous en convaincre, allez dans le rayon librairie de n’importe quel supermarché ou n’importe quelle librairie de gare, vous verrez qu’Agatha Christie est une auteure encore largement « bankable », comme on dit.
Le roman policier classique, donc. C’est un sous-genre de la littérature policière dans lequel, en tant que lecteur, on va assister à un meurtre, sans savoir qui l’a commis et où l’on va suivre un enquêteur. Et pas forcément un policier, d’ailleurs. Souvent c’est un détective privé, voire un détective amateur. Et cet enquêteur va tenter de résoudre le mystère du roman en démasquant l’assassin. On va donc être avec l’enquêteur pendant qu’il étudie les lieux du crime, qu’il interroge tous les suspects, qu’il recoupe les déclarations et les alibis et, à quelques pages de la fin, il va s’arranger pour rassembler tout le monde au même endroit, expliquer ce qui s’est réellement passé et enfin confondre le coupable grâce à des preuves irréfutables. Le coupable, lui, n’a rien vu venir tant il pensait que son plan était parfait et sans faille, en général il s’offusque mais, devant la démonstration impeccable de l’enquêteur, eh bien il finit par baisser les bras, il s’en remet à la justice et tout rentre dans l’ordre dans le meilleur des mondes. C’est donc une formule extrêmement classique et, ce qui fait l’intérêt de ces romans, c’est que le lecteur va tout faire pour tenter de démasquer le coupable avant la fin.
Parce que normalement, si le roman est bien construit, il est possible, pour un lecteur aguerri, de résoudre le mystère avant la révélation finale. Tous les éléments sont là, et il suffit de bien prêter attention au moindre petit détail, au milieu de toutes les fausses pistes semées ça et là par l’auteur pour trouver la solution. Et c’est là que réside le plaisir du lecteur dans ce genre de romans : c’est un petit jeu entre le lecteur et l’auteur, le but étant de pouvoir s’écrier « ha, j’en étais sûr ! J’avais trouvé dès qu’ils sont sortis du vieux moulin, là, à la page 50, j’en étais sûr ! » Évidemment, il faut que l’auteur se débrouille bien. Il ne faut pas que ce soit trop facile, sinon la solution saute aux yeux et, bon, lire pendant 200 pages les pérégrinations d’un enquêteur qui est incapable de résoudre un mystère dont la solution saute aux yeux de tout le monde, ce n’est pas très intéressant. Et à l’opposé, s’il est impossible de trouver la solution, le lecteur est frustré et se dit « c’était introuvable, de toute façon ».
Le whodunit, un genre codifié
C’est un genre qui est devenu extrêmement codifié, on a même élaboré des règles, qu’un roman policier digne de ce nom se devait de respecter.
Dans ces romans, l’ambiance est toujours très feutrée, et la violence est presqu’absente. Bon, d’accord, on tue, certes, mais on préfère utiliser le poison ou planter un coupe-papier dans le dos de sa victime plutôt que, par exemple, de le torturer pendant des heures. Et puis, une fois que la victime est décédée, tout le monde redevient très sage.
Eh bien, petit à petit, c’est un genre qui est passé de mode, qui a été concurrencé par le roman noir, beaucoup plus rythmé, beaucoup plus vivant, plus violent aussi, avec beaucoup plus d’action. Parce que bon, pendant qu’Hercule Poirot s’étonnait du nombre de macarons que la comtesse avait mangés lors de son dernier repas avec monsieur le baron, Sam Spade, lui, il était en train d’envoyer son poing dans le visage du bonhomme qui le menaçait de son arme et voulait mettre fin à ses jours dans une ruelle glauque. Et ça, mine de rien, c’est un tout petit peu plus excitant.
Non pas que les romans policiers classiques aient totalement disparu du paysage. Il y en a toujours eu, et il y en aura certainement toujours. Mais, voilà, c’est passé de mode, surtout chez nous, en France. Les anglo-saxons ont quand même conservé un certain goût pour ces romans-là, mais c’est loin d’être le sous-genre majeur que ça a pu être par le passé.
Enquêtes à Three Pines, à la manière d’Agatha Christie
« Nature morte », le premier roman de la série des enquêtes à Three Pines de Louise Penny.
Louise Penny s’inscrit complètement dans cette tradition du roman policier classique. Ses romans se passent, pour la plupart, dans le petit village imaginaire de Three Pines, au Québec, à un peu plus d’une heure de Montréal. Conformément aux canons du genre, c’est un lieu bucolique, où l’on sent qu’il doit faire bon vivre, une véritable petite communauté où tout le monde se connaît et se supporte… plus ou moins bien. Eh oui, il y a un assassinat ou deux de temps en temps, c’est inévitable, et si ce n’est pas la langue de vipère qui habite au bout de la rue qui est coupable, c’est certainement que c’est les petits nouveaux, qui sont arrivés il y a quelques mois à peine, qui ont racheté la maison au bout du village, là. Mais si, c’est vrai, ils avaient un comportement bizarre ces derniers temps…
Bref, un meurtre est commis et rapidement, le héros de la série, Armand Gamache (un nom qui fleure bon la Belle Province), qui est inspecteur-chef de la Sûreté du Québec, est envoyé à Three Pines pour enquêter, de manière tout à fait traditionnelle, et résoudre le (ou les) meurtre(s) tout au long du roman. On est donc dans un format de roman policier classique, à la manière d’Agatha Christie, à tel point d’ailleurs que Louise Penny a remporté quatre années de suite le prix Agatha. Alors, en général je suis assez méfiant vis-à-vis des prix littéraires, ne serait-ce que parce que, souvent, les livres primés d’un auteur sont rarement mes préférés dudit auteur, mais là c’est particulièrement révélateur. Le prix Agatha, c’est un prix qui est donné, chaque année, à un roman policier dont le style est le plus proche du style d’Agatha Christie. Et Louise Penny a obtenu ce prix quatre années de suite, de 2007 à 2010, pour chacun de ses romans publiés jusqu’alors. Autant dire que, si vous aimez particulièrement la créatrice d’Hercule Poirot, normalement, vous devriez apprécier l’oeuvre de Louise Penny.
Des personnages en trois dimensions
Ce que j’aime chez cette autrice, c’est que, même si elle écrit de la littérature policière classique, elle ne tombe pas dans les travers habituels du genre. Quand je dis ça, je pense particulièrement aux personnages. Parce que c’est vrai que, dans les romans de ce genre, et c’est notamment le cas chez Agatha Christie, les personnages sont particulièrement caricaturaux, et leur psychologie est aussi épaisse qu’une feuille d’un livre de la collection de la Pléiade. C’est que, dans ces romans, l’intrigue tient le haut du pavé, ce qui nous intéresse, c’est l’énigme et sa résolution, alors les personnages sont priés de bien vouloir se conformer au scénario en béton et de ne pas avoir d’états d’âme, merci.
Eh bien, chez Louise Penny, ce n’est pas le cas, les personnages ont de l’épaisseur. Tenez-vous bien, il arrive même au héros, Armand Gamache, d’avoir des problèmes familiaux, d’avoir des mauvais jours, et même de commettre des fautes professionnelles. Et même si on n’a pas envie de se prendre la tête à trouver qui est le coupable, on peut se laisser guider, assister à une tranche de vie au sein du village de Three Pines, et passer un bon moment.
Donc, si vous recherchez un roman policier sans trop de violence, calme, poétique, dans un lieu idyllique mais néanmoins peuplé d’êtres humains, vous trouverez sans doute votre bonheur chez Louise Penny. Depuis 2005, elle a écrit 12 romans dans la série, dont 11 ont été traduits. Les romans mettent parfois un peu de temps à être disponibles en version poche, et ça peut être un problème pour ceux qui ont un petit budget, mais il y en a déjà 5 (au moment de l’enregistrement de la chronique, en 2016), qui sont disponibles à petit prix. Je conseille de lire les romans dans l’ordre, parce que les personnages et les situations évoluent au fur et à mesure, et puis, évidemment, attention aux spoilers si vous les lisez dans le désordre. Et le premier de la série, c’est « Nature morte », disponible chez Actes Sud, et notamment en poche dans la collection Babel Noir.
« Nature morte », le premier roman de la série des enquêtes à Three Pines de Louise Penny.